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Souvent, évacuant
la complexité du discours et les jeux énonciatifs caractérisant toute pratique
langagière qui ne devrait, en aucune manière, être l'otage exclusif des jeux
linguistiques, mais les dépassant pour devenir le lieu d'articulation de
plusieurs approches et disciplines, notamment les sciences sociales, certains
universitaires passent à côté de l'essentiel.
Analyser le discours politique algérien, c'est interroger forcément tous les éléments référentiels et convoquer les espaces politiques, philosophiques, anthropologiques et sociologiques, c'est-à-dire les conditions de production des différentes formations discursives. Il est peu opératoire de lire un texte ou une quelconque instance discursive en se limitant exclusivement à la dimension linguistique et en évacuant l'aspect social. La connaissance de l'environnement social et politique à l'origine de la mise en œuvre du discours politique algérien nécessite une sérieuse mise au jour des conditions d'émergence et d'énonciation. Le discours est ancré dans le social. C'est ce que nous enseigne Ferdinand de Saussure, contrairement à certaines idées reçues dans nos universités, qui reste à relire autrement, surtout après la redécouverte de son texte-phare, Note sur le discours qui s'insurge contre cette propension manifeste à la prégnance et à la domination de la grammaire scolaire et normative, insistant sur «le caractère social des faits de langue». Même Emile Benveniste poursuit la même démarche, en interrogeant d'autres territoires et en mettant en œuvre d'autres perspectives, évoquant «le caractère social de la langue»qui serait «l'un de ses caractères internes». Michel Foucault rejoint sans le dire, Saussure, surtout quand il estime que le sens ne relève nullement d'un questionnement strictement linguistique : «L'énoncé, ce n'est ni la proposition, ni la phrase, ni l'acte de langage». Michel Foucault est l'un des rares auteurs qui ont réussi la gageure de réaliser de très grandes transformations méthodologiques et épistémologiques, proposant des outils pertinents pour déceler l'implicite, le caché, le non dit tout en nous expliquant que toute production discursive est prisonnière d'un contrôle et d'une réorganisation visant à neutraliser ses pouvoirs, à éviter l'imprévisible et à éluder sa matérialité. Le discours, lieu de rapport de forces, est toujours en quête d'une certaine légitimité travaillée par les jeux complexes du vécu. Cette entreprise de dévoilement est mise en œuvre grâce à un jeu de déconstruction (qui se retrouve également chez Jacques Derrida) et de mise en lumière des processus de formation du savoir et des formes de normalisation participant d'un contrôle préalable du discours. C'est à la lumière de tous ces éléments que nous allons interroger le discours politique algérien qui se caractérise par la présence obsédante des allusions à l'histoire et l'usage d'un vocabulaire puisé tantôt dans l'univers du langage «socialiste» et de la vulgate révolutionnaire. L'Histoire perd ses attributs temporels pour épouser les contours du mythe, ce qui favorise l'emploi de mots «creux» et de formules redondantes. Ce qui permet la mise en jeu de «métaphores obsédantes», illustrées par la répétition de certains termes et de formules ambigus, sans grande densité. Ce qui ressort du travail sur le discours politique algérien, c'est la réutilisation, dans maints endroits, d'un vocabulaire puisé dans le discours colonial. Ce qui sous entend une certaine filiation avec l'univers lexical colonial. Dans les temps de crise, il est fait appel à un vocabulaire du «complot» («main de l'étranger», «forces impérialistes», «quelques», «certains»?) suggérant la présence d'attitudes paranoïaques. L'ennemi est souvent indéfini, indéterminé. L'imprécision signifie, elle produit du sens. Aussi, devine t-on l'embarras et l'impuissance du locuteur qui reconnait à demi mots la gravité de la situation et l'absence de possibilités de sortie de crise. Cette entourloupe lexicale exprime une sorte de désarroi. L'Autre est rarement cité, il est parfois suggéré. La production de l'ennemi participe d'une posture politique essentiellement présente dans les régimes totalitaires. La convocation de la peur et de l'ennemi extérieur fonctionne comme une machine de guerre cherchant à neutraliser toute production lexicale et discursive différente, autonome. L'Autre est diabolisé, marqué du sceau d'une possible trahison. Le récit est sentencieux. Le «pouvoir» politique est en danger dès qu'il sent que l'Autre, l'innommé, prend l'initiative et produit son propre langage, contestant et contournant sa propre parole. La différence, dans le cas des régimes totalitaires, délégitime la parole dominante, le discours officiel et le dépouille d'une certaine «sacralité» accompagnant les attitudes discursives des détenteurs du pouvoir politique. Ce recours très courant au langage du complot produit une parole double, ambivalente, c'est-à-dire marquée par des attitudes schizophréniques. L'ambigüité est l'expression d'une pauvreté du langage et de l'absence de perspectives politiques et philosophiques. Le dédoublement au niveau du langage présuppose une attitude politique confuse et floue. L'analyse des différents textes officiels (chartes ou constitutions) nous renseigne sur le manque de clarté et la présence de trous, symptomatique d'une absence d'un projet politique cohérent. C'est dans ce sens que l'Histoire est convoquée pour suppléer ce manque. Elle est dépouillée de tout conflit et de personnages peu acceptés par l'historiographie officielle, présentée comme idyllique et dénuée de contradictions. La modalisation subjective le discours censé apporter une information objective et participe d'une volonté de mettre en œuvre un discours monologique, partant du fait que le pouvoir fournit les éléments du discours et oriente les débats, monopolisant tous les tenants et les aboutissant. Celui qui inaugure et fournit les éléments du débat domine souvent la discussion neutraliser toute possible articulation polyphonique. L'histoire du mouvement national illustrée par une propension à l'unicité et du parti unique favorisent cette intervention monologique qui considère toute voix distincte comme non pertinente et dangereuse. Les jeux de simulacre du langage politique et l'absence d'économie linguistique traversent la communication des responsables usant souvent de termes et d'expressions redondants. Cette inflation de formules répétitives exprimerait un sérieux déficit en matière de gestion de la vie courante et mettrait en lumière l'absence de perspectives et de projets concrets. La gestion au jour le jour suppléerait ainsi à l'absence d'un projet et d'une ouverture stratégique. La multiplication de clichés et de stéréotypes témoignerait de la déroute du langage et d'une parcellisation du territoire de la culture de l'ordinaire trop marquée par une série de résistances mettant en scène la présence de plusieurs Algérie s'excluant les unes les autres. Le discours des membres du gouvernement et de leur relais principal, la télévision, est marqué par une absence presque totale d'un «dit» clair au profit d'une «parole» bavarde qui nie toute relation avec une société et une autre Algérie, profonde et manquant tragiquement d'espaces de représentation légitimes. Le discours du pouvoir, lieu d'articulation d'univers d'exclusion et de manifestation de généralités historiques, s'inscrit souvent dans la perspective d'un affrontement lexico-sémantique avec la société empruntant une langue radicalement différente. Cette situation donne à voir la présence de deux mondes, de deux langages et de deux formations discursives. Dans des situations de crise, le présent se retrouve marqué du sceau de l'absence pour épouser les contours d'une Histoire fonctionnant par à-coups, travestie pour les besoins d'une parole paradoxalement et apparemment vidée de sens. Mais, l'apparence pourrait produire un sens inattendu, imprévu, suggérant, à travers la pauvreté lexicale et syntaxique, une faillite au niveau de la gestion de cette parole et au-delà de celle-ci une crise éthique et politique. Le recours à des faits historiques est en fin de compte l'expression d'une absence d'une voie cohérente. Le discours n'a de sens que dans sa relation avec sa réception et les données sociopolitiques et anthropologiques. Nous sommes en présence de champs lexicaux s'entrechoquant et s'opposant continuellement, reflétant cette profonde césure caractérisant la société profonde trop éloignée des bruits de parole de gouvernants employant à profusion le futur antérieur comme espace de justification d'une ambiguïté et d'une ambivalence servant paradoxalement d'outil de gestion et répétant à outrance des mots vidés, à force d'être rabâchés, de leur sens originel. L'emploi du futur antérieur obéit tout simplement à une volonté de ne pas évoquer un présent trop marqué par les jeux du désenchantement. Le futur antérieur qui met en jeu une action qui sera achevée dans le futur sied très bien au discours politique dominant. Le passé et le futur articulent un discours porté par une propension à éviter le présent considéré comme un possible vecteur de malentendus. La crise langagière désarticule le discours caractérisé par une certaine transparence et la profusion de notions-valise et d'ambigüités linguistiques. Combien de fois, n'a t-on pas entendu les dirigeants algériens utiliser des mots et des expressions comme «réformes», «démocratie», «manipulation», «économie de marché», «privatisation», «société civile», «populisme»1 sans pour autant fournir une définition de ces termes ou de ces groupes de mots qui, ainsi, isolés de tout contexte, se vident de leur sens premier et se muent en des lieux de mise en sourdine du réel chloroformé. La déterritorialisation du mot ou du groupe de mots l'enferme dans une sorte de nouveau territoire qui l'investit d'un nouvel effet sémantique produit par la relation avec un locuteur qui détourne le sens proclamé pour l'investir d'une nouvelle réalité. Ce détournement de sens est engendré par la présence de deux formations discursives et idéologiques antagoniques. Le problème, c'est que nous avons souvent affaire à une «décontextualisation» perpétuelle des mots et des expressions utilisés, reproduits le plus souvent sans aucune interrogation sérieuse des conditions de production de telle ou telle structure langagière. Quand on évoque «économie de marché» ou «bonne gouvernance», on est souvent sans définition, perdu dans une logique démultipliant le sens ou l'intention et faisant du mot ou du groupe de mots l'otage de l'utilisateur de ce lexique. Cet usage trop peu informé des sens originels des mots renseignerait sur la médiocrité de la formation intellectuelle du personnel politique qui use de mots-simulacres pour tenter de produire un discours fait sur mesure et s'inscrivant dans un processus de contrôle social et dans un travail d'embastillement de la parole de la société. Les jeux de la réception désarticulent et neutralisent le discours du bloc gouvernant vidé de sa substance originelle. Dans les années 1960 et 1970, le pouvoir en place usait d'un discours mettant en avant la vulgate socialiste et la légitimité historique et révolutionnaire. La presse et les dirigeants usaient et abusaient tellement du terme «nouveau» qu'il avait été dépouillé de son sens originel fonctionnant comme un non sens. Durant cette période faite à la fois d'enthousiasme et d'inquiétude, les champs lexicaux de l'Histoire et du socialisme revenaient sans cesse accompagnant d'autres mots puisés dans le jargon anti-impérialiste. Le mot peuple et l'adjectif populaire étaient souvent associés à la «révolution» ou à la lutte contre la «réaction», un mot qui revient comme un leitmotiv dans la presse et les discours politiques. Ce terme est opposé au mot «révolution». Ces mots subissent de sérieux glissements sémantiques, ambigus et marqués du sceau de l'abstraction. Nous sommes en présence d'une langue «blanche», «transparente». Le mot «peuple» est employé indistinctement dans les discours du pouvoir et de l'opposition, chacun des deux se l'approprie tout en saisissant le «peuple» comme un bloc monolithique, une entité aphone, passive. Célébré dans les moments de crise et d' «élection», il est péjoré au moment des bilans économiques et financiers, il est ainsi qualifié d'assisté. Cette péjoration est l'expression du choix du discours néolibéral. A partir des années 1980 et le décès du président Houari Boumediene, la scène linguistique découvre d'autres mots liés aux choix socioéconomiques des nouveaux dirigeants algériens désormais convertis au discours libéral. Mais dans les moments de crise, on continue toujours à convoquer un lexique «révolutionnaire» et à évoquer encore l'opposition impérialisme/révolution/réaction. Désormais, les mots et syntagmes «liberté», «démocratie», «droits de l'homme» prennent de plus en plus de place. Le discours néolibéral parcourt et investit, notamment depuis le milieu des années 1980, les intentions proclamées des différents locuteurs qui usent, à n'en pas finir, des mots «privatisation», «désengagement de l'Etat» et «Etat-providence» qui perd ici son explication originelle et ses attachements idéologiques (qui désormais se transforme en un espace de diverses facilités offertes aux plus riches et à la bourgeoisie arriviste), perçus comme des évidences épousant les contours de choix politiques et par conséquent, idéologiques excluant toute parole différente ou tout acte se caractérisant par une certaine singularité. Même le syndicat officiel, l'UGTA, n'arrête plus de pérorer ces termes avec une certaine délectation et un engouement paradoxal. Le dernier projet du code du travail va dans ce sens en faisant l'éloge de la flexibilité de l'emploi (contrats à durée déterminée). Les différents ministres excluent dans leurs interventions toute idée différente de gérer le pays comme d'ailleurs les «chefs de gouvernements» successifs qui voient dans les manifestations de mécontentement une manœuvre extérieure. Les mots utilisés «manipulateurs», «complot» et «politiciens» restent prisonniers d'un champ lexical tellement galvaudé qu'il perd ainsi sa substance sémantique originelle pour se muer en mot-slogan, pour reprendre le sociologue Pierre Bourdieu qui analyse ce phénomène dans on ouvrage, «Ce que parler veut dire». On exclut l'Autre : «il n'y a pas d'opposition» tout en usant d'une logique langagière qui confirme son existence. Cette propension à user de formules toutes faites et de paroles creuses s'expliquerait par l'absence d?un projet clair et cohérent et d'une multiplication des interventions parlées à la télévision qui désarticulent le langage et lui enlèvent sa force locutrice. La télévision emploie la langue arabe dite classique, excluant les langues populaires considérées par les dirigeants comme vulgaires, approfondissant encore davantage le fossé séparant le «pouvoir» politique et la société profonde qui utilise l'arabe populaire. Le choix de l'arabe «littéraire» permettrait, selon eux, d'apporter une certaine respectabilité et de donner à voir une attitude policée, militaire. Revenir à cette suite de mots trop galvaudés comme «société civile» sans la situer dans son contexte de production, c'est risquer de provoquer de multiples malentendus et de sérieux quiproquos. On se souvient de ces deux rencontres parallèles organisées, il y a quelques années, durant la même période par le RND et le RCD où chacun cherchait à réunir sa «société civile». Jusqu'à présent, cette notion de «société civile» reste floue et trop peu opératoire et ne permet nullement de saisir les jeux de société ni d'approcher les couches moyennes, sérieusement décimées. Ce flou définitoire exprime à lui seul la difficulté d'adopter des expressions, d'ailleurs vidées de leur sens par les gouvernants et certaines élites politiques privilégiant le plus souvent la matière au sens. Cette séduction du mot comme masse matérielle exclut le sens en privilégiant sa périphérie. C'est l'utilisateur qui donne du sens au mot. Ainsi, l'ambiguïté qui caractérise le discours politique algérien est l'expression d'un déficit de légitimité et d'un dédoublement structural. Cette situation de dualité mettant en œuvre deux entités, le formel et l'informel, vivant une certaine contiguïté, mais où l'informel prend tout à fait le dessus. Comme d'ailleurs, l'oral qui prime sur l'écrit. Les différents gouvernants, depuis l'indépendance, ont signé des milliers de textes qui, souvent, sont produits en fonction des humeurs et des règlements de compte du moment. Les chiffres et les mots obéissent à des conjonctures et à des situations politiques parfois ambiguës. On use de redites et de redondances. Les mêmes mots sont réemployés pour dire les mêmes situations qui ont lieu dans des époques différentes. Ce serait extraordinaire de comparer les textes écrits et publiés dans la presse publique autour de la même question. Les analogies linguistiques et langagières sont frappantes à tel point qu'on se dit qu'on a uniquement reproduit les «papiers» de cette période. Les titres, les «attaques»(le début), les «chutes» (la fin) et les arguments sont identiques. Le discours politique ne se renouvelle pas, malgré les changements et les traumatismes subis par la société. Le président, hyper-homme, est considéré comme «le père de la nation», dans le jargon officiel, l'homme-providence, irremplaçable. Les mots employés dans la presse gouvernementale et dans le discours de ses partisans le présentent comme l'équivalent du messie, sans lequel l'Algérie serait à feu et à sang. Cette sacralisation du président (le dernier est sacralisé aux dépens de ses prédécesseurs) est essentiellement présente dans les régimes autoritaires, autocratiques. Le président fait sienne cette formule attribuée à Louis XIV : l'Etat, c'est moi. Le président fonctionne dans le discours de ses thuriféraires au niveau de l'axe du désir. Le seul «manque» qu'il lui faut combler, c'est être divin. L'Etat acquiert un caractère religieux et mythique. Nous avons affaire à cette équation Etat=force divine=président. Le mot «démocratie», par exemple, est obsessionnellement présent dans un univers marqué par une absence d'échanges et de dialogue entre le pouvoir politique en place et la société qui, à travers la symbolique de Borgeaud-Bouchaoui, pose encore le problème de la légitimité sujette à maintes interrogations et à la présence de mots et de syntagmes déjà employés par les dirigeants coloniaux. Ainsi, il est permis de parler, mais la parole devrait rester inoffensive, loin de l'écoute du gouvernant. La lecture de la presse nous permet de constater la mise en lumière de maints dépassements restés sans suite, les mots employés par les autorités sont puisés dans le champ lexical de la manipulation, on ne cite jamais le nom du manipulateur. Est-il normal, pour citer un simple exemple, que des Algériens se retrouvent sans eau depuis plus d'une quinzaine de jours ? Quel est dans ce cas précis l'auteur de la violence ? Les gens de la rue usent d'un langage imagé et détournent la parole des «chefs» la neutralisant en employant le rire. Tout discours répressif serait contre-productif. L'absence d'un débat pluriel se fait réellement sentir dans une société qui a subi une sérieuse politique discriminatoire provoquant de profondes divisions et d'inextricables césures. Dans ce contexte, un mot fait son apparition dans la plupart des discours des autorités algériennes : démocratie. Si, dans le passé, on lui collait, les mots «révolutionnaire» dans les années 1960-1970, puis du temps de Chadli Bendjedid, l'adjectif «responsable» accompagnait ce terme. Le grand linguiste américain, Noam Chomsky a raison de définir ainsi la démocratie : «Une caractéristique des termes du discours politique, c'est qu'ils sont généralement à double sens. L'un est le sens que l'on trouve dans le dictionnaire, et l'autre est un sens dont la fonction est de servir le pouvoir- c'est le sens doctrinal. Prenez le mot démocratie. Si l'on s'en tient au sens commun du terme, une société est démocratique dans la mesure où les gens qui la constituent peuvent participer de façon concrète à la gestion de leurs affaires. Mais le sens doctrinal de démocratie est différent- il désigne un système dans lequel les décisions sont prises par certains secteurs de la communauté des affaires et des élites qui s'y rattachent. Le peuple n'y est qu'un «spectateur de l'action» et non pas un «participant» comme l'ont expliqué d'éminents théoriciens de la démocratie (dans ce cas, Walter Lippmann). Les citoyens ont le droit de ratifier les décisions prises par leurs élites et de prêter leur soutien à l'un ou l'autre de leurs membres, mais pas celui de s'occuper de ces questions- comme par exemple l'élaboration des politiques d'ordre public- qui ne sont aucunement de leur ressort. Lorsque certaines tranches du peuple sortent de leur apathie et commencent à s'organiser et à se lancer dans l'arène publique, ce n'est plus de la démocratie. Il s'agit plutôt d'une crise de la démocratie, dans l'acception technique du terme, d'une menace qui doit-être surmontée d'une façon ou d'une autre». Les émeutes, les sorties parfois peu conformistes de la presse et les grèves marquant le terrain social ont été, comme indiqué par le linguiste américain, accueillies par les gouvernements comme une sorte d' «anarchie», d' «irresponsabilité», de «crise et de dépassement» de la démocratie. La difficulté de gérer l'espace social pousse souvent les gouvernants à des actions répressives et à des restrictions des libertés justifiées par l'usage de mots empruntés au champ lexical de l'illégalité, de l'anarchie et de la violence. Le langage se perd dans le non sens et retrouve les marques originelles du mythe excluant le «politique» de la sphère nationale. Mais souvent, l' «illicite» se transforme, en fonction des conjonctures, en «licite», comme c'est le cas des Arouch ou le «légal» en «hors-la loi» comme les «élus» de Kabylie invités à prendre leurs valises. Ce qui pose sérieusement le problème de la relation du pouvoir formel des mots et le discours de l'informel, du statut réel des institutions formelles et de la légitimité des élections ayant eu lieu en Algérie depuis l'indépendance. La langue «formelle» est souvent narguée par un vocabulaire particulier du monde de l'informel. Le mot vient uniquement pour dissimuler les espaces réels du pouvoir. L'écrit est le lieu du formel, ce qui n'est pas le cas de l'oral qui domine toutes les relations sociales et met en œuvre de nouveaux champs lexicaux. Les explications de Chomsky s'appliquent, de manière extraordinaire, à la situation algérienne marquée depuis longtemps par un déni de citoyenneté tirant son origine de cette assimilation des comportements et des attitudes à ceux du pouvoir colonial. Le parallèle entre le simple changement de dénomination du domaine Borgeaud- Bouchaoui pourrait être opératoire à l'approche de l'Etat algérien qui ne s'est pas adapté aux nouvelles réalités engendrées par l'indépendance. Ce changement de nom peut ne pas avoir d'incidence sur le sens, otage des différentes interactions contextuelles. Aucune réforme sérieuse ne saurait être pertinente si on ne prend pas en considération le caractère syncrétique des représentations politiques et sociales. Le langage est traversé par de multiples contingences sociologiques et idéologiques. Toute parole reste tributaire des conditions de sa production et du processus de fabrication du sens. La lecture du vocabulaire utilisé par les dirigeants algériens correspondrait ainsi à une sorte d?archéologie du langage. 1- Souvent, les dirigeants politiques algériens emploient des termes ayant déjà subi des mouvements sémantiques constants et caractérisés par un flou définitoire. Ce qui rend le mot ou la notion trop peu opératoire. C'est le cas de «société civile», qui a connu de très sérieux glissements et de très âpres discussions depuis Hegel, en passant par Gramsci, Althusser, Aron et Rancière. Le mot «populisme» est souvent pris dans son acception négative alors qu'une interrogation sérieuse aurait apporté une nouvelle signification plus positive. Le populisme qui est apparu au 19ème siècle en Russie comme un mouvement anti-tsariste soutenu par les communautés agraires tentant de mettre en œuvre un socialiste agraire, considère le peuple comme unique souverain désignant, selon l'historien Philippe Roger «un complexe d'idées, d'expériences et de pratiques qu'aucune typologie, si fouillée soit-elle, ne saurait épuiser» (Le Monde, 10 février 2012). Cette doctrine présuppose le rejet du capital mettant en opposition le peuple et les gouvernants, substituant à la démocratie représentative la démocratie participative. Le populisme, basé sur un discours anti-impérialiste et anticapitaliste qui exclut de sa démarche la lutte des classes s'est surtout développé à partir des années 1930 en Amérique latine, le Péronisme est considéré comme une expérience illustrant cette pratique. |