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L'ancien ministre de la
Jeunesse et des Sports, Kamel Bouchama, reconverti avec un certain succès en un
«historien du futur antérieur» comme il se qualifie lui-même, était jeudi à
Tiaret où il a animé une conférence-débat autour de son dernier livre: «Kaïd Ahmed, un homme d'Etat». Nous l'avons approché pour
lui poser quelques questions auxquelles il a bien voulu répondre sans détours
ni fioritures.
Le Quotidien d'Oran: Pourquoi ce livre sur Kaïd Ahmed et pourquoi à ce moment précis de l'histoire du pays ? Kamel Bouchama: L'écriture de ce livre procède d'abord d'une motivation première, celle de participer à l'écriture de l'histoire de mon pays. Et puis pour répondre est-ce qu'il faut réhabiliter Kaïd Ahmed ou pas, je vous dis tout de go que mon intention n'est pas de réhabiliter ce grand monsieur puisque c'est l'histoire elle-même qui l'a fait à ma place. Parce que c'est justement l'Histoire avec un grand «H» qui n'oublie pas ses hommes auxquels elle est la première à rester fidèle. Je veux dire par là si les hommes sont oublieux, l'histoire a bonne mémoire. A travers le contenu de mon livre, j'ai surtout voulu mettre en exergue le caractère exceptionnel de cet illustre personnage et ce sur tous les plans, que ce soit sur l'orientation qu'il a donnée à son action alors que le pays sortait exsangue d'une très longue nuit coloniale, ses conceptions en matière de gestion politique et économique du pays ou encore le rêve inaccompli qu'il nourrissait de voir l'Algérie, en un temps relativement court, arrimée au train à grande vitesse du développement au sens où l'entendaient les hommes faits de la même pâte que lui et même les dirigeants politiques de son époque. Q.O.: Ne pensez-vous pas que votre livre intervient à un moment où le pays est toujours en quête d'une écriture décomplexée et surtout «dépassionnée» de son histoire ? K.B.: Justement, nous sommes à la veille de la célébration du cinquantième anniversaire de l'indépendance du pays. Et parce que le message de l'histoire est d'abord destiné aux franges les plus jeunes de notre société, j'ai écrit ce livre pour non pas aller dans le sens de ceux qui disent que les révolutions commencent par dévorer les hommes qui les pensent mais juste pour marquer une halte salutaire et dire à quel point des hommes dignes de cette Algérie ont été victimes de campagnes et autres manoeuvres très dures et toujours enfoncés encore plus profond, même enterrés dans leurs tombes. Q.O.: Justement, pour revenir sur la question de la réhabilitation, selon vous, Kaïd Ahmed doit-il être réhabilité ou l'a-t-il déjà été au travers de votre livre ? K.B.: Non je ne crois pas, personne n'a ou n'a pas à le faire pour réhabiliter le commandant Si Slimane. La question ne se pose pas en ces termes mais s'impose comme un devoir de mémoire qui ne peut qu'être juste vis-à-vis des artisans de l'histoire comme l'enfant digne de Tiaret. Je vous ai déjà dit que l'histoire elle-même sait réhabiliter ceux qui le méritent mais, pour moi, mon livre se veut comme une sorte de remémoration d'un grand homme qui a vécu comme un fleuve impétueux qui se tarit parce que quelqu'un a voulu casser le robinet. Pourquoi ? L'histoire est encore interpellée pour nous le faire savoir un jour qui viendra, c'est du moins là l'espoir que nourrissent les jeunes qui auront à gérer ce pays un jour qui viendra. Q.O.: Mais pourquoi, selon vous, l'homme continue toujours de souffrir d'une sorte d'ostracisme «tacite» plus de trente-trois ans après sa disparition ? K.B.: Cela est la conséquence de la culture que nous avons dans ce pays, c'est-à-dire la culture de l'oubli. Il y a même pire, celle que l'on appelle la culture du mépris. Mais bien au-dessus de tout cela, je sais que Kaïd Ahmed de son vivant ne voulait jamais répondre par le mépris à ceux qui n'ont eu de cesse de le dénigrer juste parce que sa tête ne cadrait pas avec le «casting» de l'époque. Le commandant Slimane se plaçait toujours plus haut que ces attaques gratuites et orientées au point qu'il se prenait lui-même pour un «décalé» tellement tout lui paraissait décalé autour de lui. Et j'en veux pour preuve, ses pairs au sein du Conseil de la Révolution qui savaient tous que l'enfant de l'antique Tihert avait quelque chose de «spécial» par rapport à la bien-pensance de l'époque. Pour moi, celui qui a dit que l'Algérie est au bord du précipice mais elle a fait un grand pas en avant est tout simplement un visionnaire. Un homme en avance sur son temps et qui savait mieux que quiconque ce que voulait dire les trois révolutions de l'époque. Q.O.: Vous avez été vous-même formé à l'école de Kaïd Ahmed, que vous inspire ce personnage trente-trois ans après sa mort ? K.B.: J'ai appris en fréquentant son école, comme vous dites, ce que veut dire courage, volonté et surtout don de soi-même. Moi, personnellement, c'est avec lui que j'ai appris ce que voulait dire le sens de l'initiative et la nécessité de combattre cette satanée «chose» que l'on appelle l'expectative. Kaïd Ahmed était de cette race qui abhorrait de participer à une bagarre sans y prendre part d'une manière ou d'une autre. Q.O.: Savez-vous quelque chose de précis sur les raisons réelles de sa mort ? K.B.: Vous savez, je ne fais pas partie de ceux qui cherchent des poux dans la tête des autres. Mais je dois vous dire que les circonstances de sa mort sont relatées dans mon ouvrage sur la base de témoignages vérifiés et vérifiables. Pour être franc avec vous, Kaïd Ahmed est mort de son exil injuste. Il est parti parce qu'il a trop aimé sa patrie (sans jeu de mots) jusqu'à la mort, même si personne aujourd'hui n'est capable de dire avec certitude de quoi est mort cet homme si particulier. Q.O.: En tant qu'ancien commis de l'Etat, quelle est votre opinion sur les réformes politiques engagées dans le pays et qu'en attendez-vous ? K.B.: Personnellement, j'ai une opinion tranchée sur le sujet. Pour moi, il ne s'agit pas de faire changer le costume lorsqu'il devient trop ample ou trop étroit. Vous n'avez qu'à observer ce qui se passe actuellement dans les pays arabes et le prix à payer pour une orientation résolue dans le sens de la marche de l'histoire moderne universelle. Les révolutions dans les pays voisins et autres ne sont pas des parties de plaisir au sens que la notion fallacieuse de réformes pour réformer ne veut plus rien dire, y compris pour ceux qui réfléchissent à trois fois avant d'ouvrir leur bouche. J'ai la conviction ferme qu'à trop vouloir replâtrer la façade, on finit par laisser apparaître la grosse montagne de poussière cachée sous le tapis. En un mot, et à mon humble avis, les Algériens ont besoin de voir des idées nouvelles incarnées par des visages nouveaux intervenir dans la gestion de leur destin commun, à moins de huit mois du 50e anniversaire du retour du soleil de la liberté sur un pays qui a de tout temps suscité la jalousie maladive des uns et la félonie impardonnable des autres. |