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Toutes les personnes de ma
génération ayant poursuivi des études de droit constitutionnel et de sciences
politiques en France savent combien le régime de la Vème République a, non
seulement été le plus farouche opposant au scrutin proportionnel, mais également
l'a enterré jusqu'à le diaboliser. Les élections allemandes prouvent que
l'argument principal sur lequel repose ce choix est tout à fait fallacieux.
Quelle autre définition de la démocratie pourrait contredire le principe de la proportionnalité de la représentation nationale à celle des suffrages exprimés ? Autrement dit, le système proportionnel de représentation est la définition même de la démocratie. L'Allemagne vient de nous enseigner, encore une fois, que l'argument principal des détracteurs de la proportionnelle, soit l'instabilité, ne tenait pas vu l'incroyable stabilité politique de ce pays. Essayons d'analyser ce phénomène qui fait de la France le seul pays européen à cumuler le système de scrutin majoritaire à celui de la prééminence quasi-souveraine du président de la République. La Grande-Bretagne a un système majoritaire encore plus renforcé puisque l'élection de leurs députés est à un tour mais ce pays laisse une large place au maintien des fondamentaux du régime parlementaire (il en fut le berceau). Que s'est-il passé, pourquoi et comment en est-on arrivé en France à refuser un système proportionnel dont l'Allemagne vient de nous prouver qu'il est l'allié de la démocratie en même temps que celui de la stabilité politique ? Essayons, comme toujours dans ce genre d'investigation, de remonter le temps et aller à la racine profonde des causes. Le général de Gaulle, celui par lequel tout débute C'est par le célèbre discours de Bayeux en 1946 que le général de Gaulle développe ce qui sera, bien plus tard, en 1958, sa proposition de cinquième République. Il faut comprendre que s'il est loin d'avoir été le premier à accuser l'instabilité gouvernementale, le discours du dirigeant de la France libre était à ce moment dans une situation très favorable pour obtenir une grande écoute. Dès 1875, date à laquelle fut proclamée la Troisième République qui fit suite à la défaite des troupes françaises face aux ennemis prussiens, l'instabilité gouvernementale était un fait marquant de la vie politique française. Les majorités étaient vacillantes et se recomposaient au gré des chamailleries entre les partis politiques, très puissants à l'époque. Survint la Seconde Guerre mondiale pour laquelle on connaît la critique virulente de la défaite par l'ancien sous-secrétaire d'État à la Défense, un certain colonel de Gaulle. Le régime des partis politiques étaient, dans son analyse, l'un des poisons qui a entraîné l'humiliation de la France. Ce ne fut donc pas une surprise lorsqu'au lendemain de sa traversée du désert et son rappel à la tête du gouvernement en 1958, le général ait posé comme condition première l'instauration d'une Cinquième République qui donnerait au pouvoir exécutif une puissance pour contrebalancer celle des partis politiques. Bien entendu que la Cinquième République est autre chose qu'un simple mode de scrutin mais il faut comprendre que c'est l'ingrédient absolument nécessaire pour que la charpente du régime tienne dans son concept comme dans son fonctionnement. Si nous remontions le temps qui avait précédé le retour du général nous constaterions que la France avait subi ce qu'elle redoutait le plus, soit le sentiment d'humiliation des défaites militaires, comme en 1875 et 1940. La faute en fut entièrement reportée sur l'instabilité gouvernementale et la mainmise des partis politiques. Il n'en fallait pas plus à ce général pour remettre en selle sa vieille idée de refonte des institutions et l'arrêt de la puissance des partis politiques, accusés de tous les maux qui ont entraîné cette grande puissance coloniale vers ce qui paraissait à beaucoup comme le début du grand déclin. Mais, sur le fond, en quoi ce système pestiféré, redouté et écarté par la France, serait-il dangereux ? Deux concepts, deux conséquences opposées Le principe est simple, le système majoritaire est basé sur un scrutin uninominal dans une circonscription. Ainsi, celui qui aura récolté la majorité des voix au second tour obtiendra le siège de la députation, les minoritaires n'obtenant rien puisque par définition le siège ne peut se répartir entre les deux pourcentages de vote. Au niveau national, l'effet majoritaire surmultiplie le résultat en sièges du parti arrivant en tête. L'écart entre les voix obtenues et le nombre de sièges, forcément beaucoup plus grand, peut atteindre des niveaux très choquants, contraires au principe de la démocratie. Quant au système proportionnel, il est naturellement celui d'un scrutin de liste car on peut répartir les sièges par proportionnalité aux premiers de chaque liste. Ainsi, un parti qui comptabilise 15% des suffrages obtiendra 15% du nombre de sièges distribués dans un ordre d'inscription dans la liste. Le chef de file, le premier de la liste, est, sauf pour les partis groupusculaires, assuré d'un siège et donc d'une visibilité du mouvement politique concerné. Il y a là une hégémonie du parti dominant qui ne laisse aucune marge de représentation significative et opérante aux concurrents. On l'aura compris, le système majoritaire favorise l'émergence d'une majorité forte qui ne laisse pas de possibilités pour des renversements permanents du gouvernement. Et lorsque le parti majoritaire n'arrive pas à obtenir la majorité absolue, le système majoritaire oblige les partis, au score rapproché, à s'entendre. Ils sont dans l'obligation de le faire, au lendemain du premier tour, au risque de perdre leur place gouvernementale. Le système majoritaire a donc clairement favorisé l'argument de la stabilité gouvernementale en écorchant le principe de démocratie. Son argument de stabilité est-il aussi convaincant ? Une mauvaise interprétation des causes de la stabilité L'aveuglement par la « vérité » du gaullisme, même si on ne peut nier la force de stabilité qu'elle portait en elle-même, a fait occulter une autre raison, pourtant essentielle à l'explication de cette relative stabilité (la stabilité absolue n'existe pour aucun pays). La France, comme tous les autres pays de même dimension dans le monde a bénéficié d'une période très faste au lendemain du drame et de la désolation de la Seconde Guerre mondiale, de progrès comme d'évolution des mœurs. L'effet de ce qu'on surnomma « les trente glorieuses », soit les décennies allant du général Gaulle à Pompidou, puis jusqu'au début de la crise pétrolière, est le fait des périodes fastes, bien connues dans l'histoire de l'humanité lorsqu'elle sort de périodes de guerre et d'épidémies. Le taux de croissance, les évolutions technologiques et le niveau moyen d'instruction n'ont jamais été aussi forts dans l'histoire au regard d'une aussi courte période. Ce fut le cas pour tous les autres pays, anciennement alliés ou belligérants. La majorité écrasante de la droite gaulliste ne s'expliquait que par la reconnaissance à l'homme et à la prospérité économique. Il y avait assez de « grain à moudre » et de progrès pour que les grognes soient circonscrites à des partis minoritaires comme ce fut le cas du parti communiste, même si son score de l'époque était très important. La douce période des trente glorieuses a totalement confondu dans les esprits ce qui revenait aux conséquences du système institutionnel et ce qui est dû à l'explosion du bien-être économique et des avancées technologiques. Et c'est lorsque la crise s'est manifestée durablement, économique comme identitaire, que le système montre son incroyable inefficacité comme son dos tourné à la démocratie. Et c'est pour cela que l'exemple opposé, celui de l'Allemagne, donne une leçon magistrale. L'Allemagne, un modèle d'instabilité politique ? C'est tout à fait étonnant que la France persiste à avancer cet argument si lointain dans l'histoire alors que l'Allemagne nous prouve depuis aussi longtemps que son régime politique est l'incarnation même de la stabilité gouvernementale. Et là apparaît une autre vision des choses. La stabilité ne viendrait donc pas seulement du système électoral mais aussi de la profonde nature d'un peuple qui a la notion du compromis vissée au corps comme un principe naturel que rien ne semble contredire. L'Allemagne, on le sait, est un pays de consensus, aussi bien syndical que politique. C'est bien entendu l'explication par une histoire différente que les deux peuples voisins ont des natures qui s'opposent. Le consensus allemand est une marque de fabrique construit par un pays qui n'existait même pas lorsque la révolution française marqua l'histoire de l'hexagone, entraînant la constitution de clivages forts et de perpétuels conflits internes, doctrinaux comme sociaux. Et ne l'oublions jamais, l'Allemagne n'a pas été autant impactée, presque pas du tout même, par le gigantesque conflit des religions. Ce sont, entre autres facteurs, des considérations qui expliquent fortement la nature peu conciliante des uns et celle, très prompt à trouver des consensus, des autres. Mais à régimes électoraux différents, des fléaux identiques peuvent naître Si la tentative argumentaire développée dans les paragraphes précédents reste la conviction de l'auteur de l'article, il faut néanmoins la nuancer par des rajouts. Le premier est que l'Allemagne, même si son système électoral n'a pas dissimulé l'émergence des extrêmes, n'a cependant pas pour autant pu éviter leur émergence. Ses partis d'extrême gauche et d'extrême droite sont aussi puissants et menaçants qu'ils le sont en France. Le fait de ne pas avoir voulu les dissimuler par un système majoritaire ne les rend donc pas inexistants ou invisibles. L'autre constat relativise beaucoup plus fortement mon argumentaire précédent. Certes, le système électoral allemand, tout comme l'état d'esprit général, favorise les coalitions et l'obligation de s'entendre pour une direction gouvernementale. C'est tout à fait vrai mais il serait illusoire et naïf de penser que nous sommes réellement dans un meilleur monde. Les disputes et les chocs entre les adversaires, s'ils sont atténués car les partis politiques savent que le système les obligera à un accord en fin de compte et qu'il faut laisser de la marge à la négociation, ne sont pas moins profonds dans la réalité. La seconde réserve concerne l'échec relatif de la réunification, tout au moins on est loin de l'euphorie que cela suscitait depuis quelques décennies. Les clivages territoriaux et sociaux apparaissent à nu, maintenant que la crise mondiale et l'épidémie sont passées par là, comme la mer qui se retire et laisse apparaître les fonds découverts. Puis, l'Allemagne semble avoir mangé son pain blanc car un grand danger la guette, celui de la démographie. Le geste d'Angela Merkel d'accueillir un million de réfugiés n'était pas aussi innocent que cela, le vieillissement des populations plombe fortement un espoir de pérennité de la puissance économique allemande. Sans compter que le miracle allemand a produit des millions de « salariés pauvres » avec un système économique qui a privilégié la baisse du chômage au salaire, conformément à la vieille théorie économique d'Adam Smith. En conclusion, la proportionnelle, la culture du compromis et la relative stabilité cachent certainement des travers que l'on a tendance à occulter. Néanmoins, pour le présent, nous constatons que le diable, distillateur d'instabilité politique selon la doctrine de pensée française, n'est vraiment pas à rechercher dans le mode de scrutin proportionnel. En cela, aujourd'hui, pour le moment, l'Allemagne nous donne une leçon d'approche constitutionnelle car elle cumule la parfaite démocratie autant que la stabilité et la relative prospérité. *Enseignant |
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