Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
COVENTRY/KOLKATA
Ces dernières années, les États moins nantis se sont mis à expérimenter de
nouvelles méthodes pour alléger le fardeau financier des frais médicaux non
remboursés, qui comptent pour 40 % des frais médicaux des ménages en cas
d'urgence médicale. Pour assurer un accès universel, ils s'éloignent
progressivement de la prestation de services médicaux par le secteur public
pour s'orienter vers des régimes d'assurance médicale financés par l'État qui
couvrent les coûts de traitement dans des établissements privés.
L'Inde en est le parfait exemple. Depuis le milieu des années 2000, les autorités fédérales et régionales ont inauguré de tels programmes d'assurance dans le but d'élargir l'accès aux services médicaux dans les collectivités à faible revenu. Ces formes de partenariats public-privé (PPP) font depuis longtemps partie intégrante des analyses des politiques publiques en matière de santé dans les pays en développement. Puisque la création des infrastructures physiques est le plus souvent onéreuse et accompagnée de retards administratifs, de favoritisme politique et de contraintes budgétaires, les autorités nationales et régionales en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud ont mis en place des régimes d'assurance médicale qui permettent aux familles à revenu modique de recevoir des soins privés à des prix substantiellement ou entièrement subventionnés. Les résultats de ces programmes varient selon les pays et dépendent de leur structure et du contexte local. La Chine et le Vietnam sont ainsi souvent cités comme exemples de réussite, avec presque 100 % et 80 % de leur population, respectivement, qui, depuis 2016, sont couverts par une forme ou une autre d'un régime d'assurance médicale. Même si les frais non remboursés pour des soins tertiaires ont augmenté en Chine, au Vietnam, l'élargissement du programme de PPP les a réduits. La stratégie de l'Inde est proche de celle du Vietnam, se concentrant sur les collectivités les plus démunies en mettant à leur disposition une assurance financée par l'État. L'assurance entièrement subventionnée peut améliorer les résultats des interventions sanitaires en assurant l'accès aux établissements privés tout en libérant des lits dans les hôpitaux publics. Pourtant, malgré de nombreux régimes d'assurance et des frais non remboursés élevés, le taux d'adhésion en Inde demeure faible. Les estimations basées sur les données du recensement national de l'Inde sur la santé familiale indiquent que seulement 41 % des ménages adhèrent à une forme ou une autre d'assurance médicale. Et même ceux qui sont couverts semblent ne pas savoir comment ces programmes fonctionnent réellement. Ceci met en évidence l'importance du contexte particulier des pays en développement, dans lesquels des réseaux parallèles de partage des risques contribuent normalement à réduire les répercussions des problèmes de santé. Dans les régions rurales, les ménages ont souvent recours à des intervenants de leur localité et même rejoignent des groupes dont les membres se cotisent pour pallier les urgences médicales. Certaines études démontrent que la présence de ces groupes parallèles peut réduire l'intérêt de souscrire une assurance officielle. Même si elles laissent entendre que les formes non officielles d'assurance évincent les régimes institutionnels, nos études indiquent plutôt que les réseaux parallèles faciliteraient l'adhésion massive aux régimes publics. Par exemple, le soutien de ces réseaux permet aux malades de se rendre dans les hôpitaux éloignés. Néanmoins, l'État doit évaluer si le modèle de PPP est bien le meilleur mode de prestation des services de santé. La pandémie de la COVID-19 a montré que la santé est un bien public présentant un grand nombre d'externalités positives et dans certains cas, la prestation des soins directe par le secteur public pourrait bien être la seule option matériellement possible. Même dans des circonstances moins extrêmes, il est primordial de déterminer si les sommes affectées à un type de programme auraient pu être employées plus efficacement ailleurs. Dans une étude en cours, les implications complexes du modèle de PPP sont examinées sur le plan de l'accessibilité aux soins. En théorie, lorsque l'efficacité du réseau privé est supérieure ou égale à celle du réseau public, le bilan sanitaire pourrait être amélioré. Mais lorsque le réseau public est plus efficace que sa contrepartie privée, les résultats d'ensemble pourraient en pâtir. Par exemple, l'Inde est toujours à la remorque de ses pairs dans le domaine de la santé maternelle et infantile, notamment en raison de la faible proportion des femmes qui accouchent à l'hôpital, ce qui est attribuable au coût élevé des services privés et aux longs délais d'attente dans des établissements publics bondés. Lorsque les soins privés sont subventionnés, plus de femmes pourraient choisir d'accoucher dans les hôpitaux privés plutôt que chez elles ou dans des milieux non cliniques. Nous y constatons qu'après l'introduction d'un régime structuré d'assurance médicale, les femmes vont souvent passer du public au privé pour accoucher. De plus, de tels programmes réduisent les frais médicaux non remboursés, ce qui laisse croire que les personnes qui payaient auparavant pour des soins privés peuvent désormais y accéder à un tarif subventionné. Cependant, ces programmes ne semblent pas aider les ménages résidant loin des hôpitaux. Les estimations récentes des comptes publics nationaux de l'Inde dans le secteur de la santé révèlent deux tendances importantes : une réduction massive des dépenses publiques dans les soins de santé tertiaires et une forte hausse dans les charges sociales de l'État, notamment le système d'assurance sociale et de santé. Ceci cadre avec la transition du pays d'un modèle de prestation directe de soins par le secteur public vers le modèle de PPP pour les soins médicaux tertiaires. En revanche, il y a trop peu d'établissements privés, et les réductions des dépenses publiques pourraient bien obliger les patients à faire de longues distances pour avoir accès aux soins. Nos données indiquent que dans l'État d'Andhra Pradesh, où la densité des établissements hospitaliers est parmi les plus élevées en Inde, la difficulté de se rendre à l'hôpital - que ce soit par manque d'argent ou autre chose - influe sur le taux d'adhésion aux régimes d'assurance, même lorsque le coût de l'assurance est entièrement subventionné. À l'inverse, les résultats positifs du Vietnam dans l'atteinte d'une couverture universelle sont en partie attribuables aux investissements publics substantiels dans les hôpitaux et les centres médicaux. Si la nouvelle politique d'assurance sociale de l'Inde débouche sur la création d'hôpitaux privés, elle pourrait élargir l'accès aux soins médicaux tertiaires pour compenser les réductions des dépenses publiques. Cependant, si la croissance de ces établissements se concentre en zone urbaine, beaucoup moins de personnes en profiteront. Pour rendre les services médicaux essentiels accessibles à tous, il ne suffit pas d'instaurer des PPP. Il est également primordial de veiller à ce que les hôpitaux privés soient accessibles dans toutes les régions du pays. Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier 1 - Chercheuse attachée à l'Université de Warwick. 2 - professeure adjointe au Indian Institute of Management de Calcutta. |
|