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«Il y a assez de causes
réelles de conflits pour ne pas les accroître en encourageant les jeunes gens à
se lancer des coups de pied dans les tibias au milieu de rugissements de
spectateurs en furie.» George Orwell.
Les médias ont toujours présenté le football comme le meilleur vaccin pour promouvoir la paix entre les peuples, l'amitié entre les supporters. Or, à observer les derniers heurts provoqués dans les stades, on redécouvre que le football, depuis plusieurs décennies, recèle un virus congénital qu'aucune vaccination rééducative ne parvient à endiguer : la violence. Jets de projectiles envers des joueurs, bagarres entre supporters et joueurs, pelouse envahie par des supporters : tel est le sinistre spectacle footballistique offert, depuis plusieurs semaines, dans les stades désormais contaminés par virus de la violence. Cette violence traduit la dépravation morale d'une société capitaliste en pleine crise économique et civilisationnelle, aggravée par les destructions sociales et psychologiques générées par la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19. Comme l'écrivait l'écrivain George Orwell : « pratiqué avec sérieux, le sport n'a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence ; en d'autres mots, c'est la guerre, les fusils en moins ». L'occasion, pour nous, d'analyser le phénomène du football selon une approche historique et sociologique critique, et non pas sportive, encore moins footballistique. Le football : véritable entreprise intégrée à la logique capitalistique Le football demeure un sport au rayonnement mondial indiscutable. Preuve nous est administrée par l'organisation quadriennale de la Coupe du monde : cette grand-messe planétaire footballistique orchestrée par l'organisation lucrative privée la FIFA, les multinationales partenaires de la FIFA et les diverses organisations mafieuses, sans oublier les États nationaux toujours en quête d'événements cérémonials pour entretenir et attiser la fibre patriotique pestilentielle. Assurément, en dépit de sa pollution par la logique marchande, le football conserve néanmoins sa légendaire dimension populaire. Certes, le football est devenu une véritable entreprise intégrée par le capitalisme, mais il représente toujours, pour la majorité des masses populaires, un spectacle divertissant. Sans conteste, le football, à l'instar de la religion à qui il s'apparente par ses rites solennisés et sa vocation sacrale universelle, est l'objet d'idolâtrie et de dévotion aussi bien par des hordes fanatiques belliqueuses que par des citoyens ordinaires civilisés. Et si, longtemps, il fut accompli avec un esprit amateur et ludique dans une ambiance conviviale et fraternelle, ces dernières décennies le football s'est radicalement métamorphosé par sa professionnalisation mercantile outrancière et son embrigadement idéologique chauviniste belliqueux. Devenu football-business, son esprit sportif convivial s'est altéré, érodé. Il n'en demeure pas moins que les classes populaires continuent à pratiquer le football dans un esprit amateur et cordial, à l'abri des attractions vénales. En effet, par la simplicité de ses règles, ce sport attire encore une masse importante d'amateurs, d'autant plus qu'il peut aisément et librement se pratiquer dans la rue, même à l'aide d'un ballon confectionné avec des moyens de fortune. Singulièrement pour des d'enfants en quête de jeux ludiques et éducatifs, il constitue une bonne école de distraction et de formation de l'esprit. Grâce à la fois à son jeu collectif mais aussi à ses foisonnants gestes techniques individuels, notamment les spectaculaires dribbles, le football représente un remarquable outil pédagogique de socialisation exercé dans l'euphorie. Outre la beauté du jeu, le football procure également de très fortes émotions lors des matchs. Le suspense tient en haleine les joueurs et les spectateurs jusqu'à la dernière seconde du match. Le football, c'est l'émotion de l'incertitude anxieuse et la possibilité de la jouissance orgasmique ludique. Du football ludique au football disciplinaire Historiquement, le football naît en Angleterre en pleine révolution industrielle et expansion de la classe ouvrière. Certes, le football, pratique sportive destinée à l'origine à la formation des futures élites anglaises, fut l'apanage des classes privilégiées, mais il fut progressivement adopté par les classes populaires comme exercice sportif ludique. Au départ, sport amateur sans règles définies, il devint rapidement objet de sollicitudes de la part de la bourgeoisie pour mieux l'encadrer. En effet, au milieu du XIXème siècle, pour discipliner une jeunesse populaire turbulente et frondeuse, la bourgeoisie prit en charge ce nouveau sport désintéressé et bénévole pour lui insuffler, par une codification rigoureuse inspirée de l'univers carcéral du travail, l'esprit de compétition et de performance, de productivité et de rentabilité. Depuis lors, pour enseigner les vertus de la discipline professionnelle et de la subordination sociale, mieux inculquer l'esprit d'obéissance à l'autorité dans les nouvelles manufactures, les patrons imposèrent aux ouvriers d'intégrer des équipes de football, sport réputé désormais pour son apprentissage de la discipline. Néanmoins, les ouvriers surent avantageusement utiliser ce nouveau sport par la création d'une forte solidarité au sein de l'équipe de quartier, matérialisée notamment par leurs rencontres dans les pubs, et plus tard dans les stades. Progressivement, le football devint un sport populaire, dans lequel la classe ouvrière se reconnut. Corollairement, par la pratique sportive du football, elle se forgea un esprit de lutte et de combativité. Aussi, grâce au football, les classes populaires, après des journées d'exploitation, trouvèrent-elles un exutoire pour se divertir. À la même époque, les élites bourgeoises, aux fins de se démarquer des masses populaires désormais adeptes du ballon rond, délaissèrent le football pour s'adonner à l'exercice d'autres sports réputés plus prestigieux (le tennis, le golf). Globalement, au point de vue technique, la codification du football fut établie au XIXème siècle. Ce fut en 1863 que 17 représentants des publics schools anglais se réunirent pour unifier les règles du football qui variaient alors d'un collège à l'autre. Tout un ensemble de règles encadra désormais ce nouveau sport, notamment celles relatives à la superficie du terrain définitivement fixées. Inéluctablement, comme il sied à une société de classe, progressivement envahi par la logique capitalistique industrielle, le football calqua son fonctionnement sur la division du travail en vigueur dans les entreprises. À l'instar de l'atelier de la manufacture, la spécialisation des joueurs et des postes au sein de l'équipe fut instaurée. Désormais, l'objectif devint productif : marquer des buts, autrement dit accumuler du «capital-point ». Seule importe la lucarne qui capitalise, sans jeu de mots, tout l'intérêt de l'enjeu footballistique, au détriment du terrain réduit à une surface d'affrontement guerrier occupée 90 minutes durant par des joueurs robotisés équipés de crampons pour neutraliser l'adversaire, abattre l'ennemi. Le plaisir du jeu céda devant l'angoisse de l'enjeu. La créativité devant la rentabilité. L'esprit ludique devant la mentalité cupide. L'innocence sportive devant la rouerie athlétique. Éric Cantona, dernier dinosaure demeuré fidèle à l'esprit du football ludique collectif, à la question sur le plus beau but de sa carrière, répondit spontanément (j'allais écrire sportivement): «Mon plus beau but, c'était une passe !» Aujourd'hui, une telle réplique, pour son hérésie sportive, vaudrait à son auteur un bannissement définitif des instances footballistiques dominantes. Car le footballeur n'est pas payé pour jouer mais marquer des buts, remporter des victoires. Comme l'entreprise capitaliste ne fonctionne pas pour satisfaire les besoins humains, mais vendre ses marchandises, remporter des parts de marché, accumuler du capital. L'esprit d'équipe du football : terrain d'entraînement de discipline à l'usine Dès la naissance du football, dans le cadre de la pacification des rapports sociaux, les instances patronales et religieuses s'invitèrent sur le terrain pour valoriser amplement ce nouveau sport fondé sur l'esprit d'équipe et l'efficacité collective, incarnant un modèle identificatoire idéal pour les travailleurs réputés pour leur insubordination. « Les patrons des usines mesurent l'intérêt et le prestige que peut leur apporter un club de football. Celui-ci, à la fois, permet une union plus forte entre les ouvriers et peut assurer une plus grande renommée à l'entreprise. » À l'instar de l'univers industriel, le football valorise la performance individuelle, le travail d'équipe, la division des tâches, la planification collective, la solidarité. Progressivement, le football devint le sport préféré de la classe ouvrière, tandis que le rugby deviendrait l'apanage des élites. De même, ces instances favorisèrent le développement de la pratique du football et la fréquentation des stades. De fait, pour amortir la trop forte pression de l'exploitation, les institutions patronales et étatiques incitèrent (excitèrent ?) les ouvriers à se défouler frénétiquement sur le terrain de football, pour les détourner de l'espace de la contestation sociale. Et sur les gradins des stades pour leur procurer une aire d'épanchement de leurs ardeurs combatives, une zone de purgation de leurs frustrations sociétales. Le football constitue ainsi une extraordinaire soupape de sûreté pour l'ordre établi. Un efficace instrument cathartique social apte à purger les énergies libidinales, un mécanisme de sublimation collective efficient. Le football est une excellente école d'usinage des esprits, de façonnement des comportements. Le football est l'antichambre de l'entreprise. Au cours du XXème siècle, le jeu footballistique évolua, se perfectionna. D'amateur, il devint professionnel. Le jeu de passe se développa au détriment de la prouesse individuelle. Le football reposa désormais sur la coopération et la construction collective du jeu. Les stades devinrent des espaces de sociabilité populaire. Dans certaines circonstances historiques exceptionnelles, le football devint un puissant catalyseur de revendications politiques. Football : espace d'expression politique et d'identité nationale au cours de la Révolution algérienne Parfois, des espaces d'expression politique. Le football servit même d'instrument de revendications politiques, d'affirmation d'identité nationale, de moyen de lutte anticolonialiste. L'Algérie illustra de manière triomphale cette instrumentalisation politique du football comme arme héroïque de lutte. Dans sa lutte pour son indépendance, l'Algérie s'appuya entre autres sur le football pour lutter contre le colonialisme. C'est ainsi qu'en 1958, le FLN créa sa propre équipe de football, incarnée notamment par Rachid Mekhloufi de l'AS Saint-Étienne, Mokhtar Arribi et Abdelhamid Kermali. Ces joueurs, dont certains furent sélectionnés en équipe de France, abandonnèrent leur carrière et leur mode de vie confortable pour s'engager dans la lutte anticoloniale. À l'époque, à l'apogée de la lutte de Libération nationale, 29 footballeurs évoluant dans des équipes de la France métropolitaine, rejoignirent clandestinement la Tunisie pour se mettre au service de la Révolution algérienne. Grâce à leur notoriété, ces footballeurs mirent en lumière la cause algérienne. Ces joueurs populaires algériens montrèrent que la lutte contre le colonialisme ne pouvait plus être réduite aux doléances pacifiques politiques et à la marginalité revendicative. Aussi, la lutte anticolonialiste s'invita-t-elle sur le terrain du combat révolutionnaire. Elle refusa d'être toujours mise sur la touche. Elle brûla les règles de jeu imposées par l'adversaire pour chausser les treillis du maquis et enfiler la tenue de combat. Des gradins parlementaires, le combat descendit sur le terrain militaire. De défensive, la lutte devint offensive. Le jeu de plume sémantique céda devant le fusil d'attaque héroïque. Les gardiens de la Révolution algérienne n'eurent qu'un but : remporter la victoire. Après l'indépendance, après avoir servi de caisse de résonance anticoloniale, les stades de football deviennent des espaces de revendications politiques et sociales pour la jeunesse algérienne paupérisée, issue des quartiers populaires, en butte à la déchéance sociale et la misère affective et sexuelle. En effet, depuis le début de notre siècle, avec l'émergence de la culture ultra (supporteurisme radical), lors des rencontres de football, les stades servent de tribunes d'expression de contestation politique contre le régime algérien, matérialisée notamment par les chants des supporters des clubs de la capitale. Lors de chaque match, les supporters de certains clubs entonnent des hymnes de contestation dont le plus célèbre est La casa del Mouradia, chant composé par les supporters de l'Union sportive de la médina d'Alger (USMA). Ce chant fut fréquemment repris par les foules lors des manifestations hebdomadaires au cours de l'Acte I du Hirak. La casa del Mouradia, emblématique hymne footballistique, résume ce que pense du régime la majorité de la jeunesse algérienne. Ces multiples chants fustigent le despotisme étatique, la corruption des dirigeants, la misère, le chômage, la hogra. On peut citer, en vrac, d'autres célèbres tubes footballistiques : celui des supporters du Mouloudia Club d'Alger (MCA), 3am Saïd (« Bonne année ») ; de l'Union sportive de madinet El-Harrach (USMH), Chkoun sbabna ? (« Qui est coupable - de nos malheurs - ? ») ; Quilouna (« Foutez-nous la paix » ; Babour ellouh (« Barque de bois », 2018), qui évoque la situation des harraga. En Kabylie, les berbéristes se servent également des stades pour clamer des slogans hostiles au pouvoir, utiliser les gradins comme tribune de propagande pour appuyer leurs revendications ethnolinguistiques, voire sécessionnistes. Lors de certains matchs, d'aucuns brandissent le folklorique emblème tribal amazigh, entonnent des chants chauvinistes berbéristes pour proclamer leurs particularismes culturels. Sur le continent sud-américain, dans les pays latino-américains, le football représenta également un moyen de lutte et d'émancipation. Par exemple, au Brésil, à l'origine le football fut l'apanage de la bourgeoisie blanche. Progressivement, sans jeu de mots, les afro-brésiliens envahirent le terrain et s'emparèrent du ballon pour se transformer grâce au dribble en artistes du football. Avec l'entrée en jeu des afro-brésiliens dans le football, le terrain dès lors devint une scène de spectacle où les plus belles prouesses footballistiques se déployaient au grand bonheur des spectateurs ébahis. Contrairement au football européen demeuré encore très rigide (frigide ?), car il valorisait toujours la rigueur et la discipline. De nos jours, les joueurs du monde entier adoptent la technique de jeu martiale européenne. Ils sont devenus les mercenaires des capitalistes en quête d'investissements fructueux. Ils ne mouillent pas seulement le maillot dans le milieu du terrain, mais ils sont aussi mouillés avec le milieu mafieux du football-business international. (Ces millionnaires en crampons se mouillent aussi bien dans les mœurs des affaires que dans les affaires de mœurs - affaires des prostituées-). |
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