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Les déclarations que vient de
faire Emmanuel Macron au quotidien français le Monde comportent, de toute
évidence, des relents de colonialisme, déclarations qui ne sont pas sans
rappeler celles faites par Maurice Thorez, secrétaire général du Parti
communiste français, lors de sa tournée de propagande effectuée en Algérie du
29 janvier au 12 février 1939.
A cette occasion, Thorez avait déclaré que la «nation algérienne [était] en voie de formation», sous entendu qu'elle n'existait que sous la forme d'une masse confuse et désordonnée «d'indigènes» dépourvus d'histoire et de culture «civilisée». Les Français n'étaient là, pensait-il, que pour les soustraire des ténèbres dans lesquels ils auraient été plongés depuis l'aube des temps. Quatre vingt deux ans plus tard, Emmanuel Macron réédite sous une forme aggravée l'idée colonialiste et négatrice de la nation algérienne. La nation algérienne n'existait pas avant l'arrivée des Français en Algérie, selon Macron Dubitatif, Macron s'interroge : «Est-ce qu'il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? C'est ça la question (...). Moi, je suis fasciné de voir la capacité qu'a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu'elle a joué en Algérie et la domination qu'elle a exercée». Ici, l'évocation de la Turquie se lit comme des piques lancées à la face du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui avait dénoncé, à maintes reprises, les «crimes commis en Algérie par la France durant la colonisation ». Les deux présidents, on le sait, ont des comptes à régler: l'un accuse la Turquie d'avoir commis un génocide contre les Arméniens, l'autre, la France, d'avoir massacré 15% de la population algérienne à « partir de 1945 » et là, « il s'agit d'un génocide », déclarait, lors d'une conférence de presse, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, en décembre 2011. Ce faisant, ce dernier réagissait au vote la veille, 22 décembre, par les députés français d'une proposition de loi sanctionnant quiconque contesterait le génocide arménien de 1915. Ainsi, l'Algérie et l'Arménie deviennent-elles le prétexte pour les deux pays pour apurer leur contentieux historique. Les insultes et le négationnisme du président Macron En l'occurrence, les propos tenus par Macron sur l'Algérie et sur ses dirigeants sont malséants et ne siéent pas à un président de la République qui se veut le représentant d'une grande nation. Alors qu'on s'attend à ce qu'un chef d'Etat tienne des propos sages, mesurés ou neutres, et nous voilà, au contraire, face à un président qui s'agite comme un militant engagé et qui reprend à son compte tous les poncifs propagés par les doctrinaires et les nostalgiques de l'Algérie française. Ses propos teintés de racisme et de paternalisme n'ont, en fait, rien à envier à ceux que tentent d'accréditer les Eric Zemmour et consorts. Macron mal conseillé ? Comment se fait-il que Macron qui se trouve flanqué de conseillers de «la mémoire franco-algérienne » issus aussi bien de la droite que de la gauche, comme ce fameux et super médiatique qui est Benjamin Stora, puisse commettre de telles « bévues », pour ne pas dire, de telles graves dérapages politiques ? Comment se fait-il que Stora, cet historien de « gauche » et « ami » de surcroît, de l'Algérie, n'a pas su freiner ou tempérer la passion véhémente du président Emmanuel Macron ? Le comportement inadmissible du président de la République française envers l'Algérie qu'il semble regarder comme une « colonie française , n'a pas choqué seulement les opposants algériens de l'intérieur, dont les hirakistes honnêtes, mais aussi beaucoup de Français ordinaires, et des historiens intègres et impartiaux de ce pays, comme Gilles Manceron, Pascal Boniface et bien d'autres qui n'ont pas ménagé leurs critiques contre les déclarations scandaleuses du président Macron, lequel tente vainement de réparer les dégâts qu'il a causés en en appelant à « l'apaisement » entre les deux pays... A supposer que les dirigeants de l'Algérie soient corrompus jusqu'à la moelle, -et, en effet, certains le sont bel et bien-, comme il y a des corrompus en France, y compris l'ex-président Nicolas Sarkosy qui vient d'être condamné justement par la justice française pour motifs de prévarications, il n'appartient pas au président Macron de les insulter comme il l'a fait; cette manière de procéder est indigne d'un chef d'Etat et relève d'un comportement politique et moral répréhensible. L'insulte est le contraire des bienséances, et venant d'un homme politique, elle devient profanation, un vrai sacrilège. Une ingérence insupportable dans les affaires de l'Algérie Accuser nommément «le système politico-militaire» algérien d'entretenir une «rente mémorielle», c'est faire preuve non seulement de provocation et d'insultes, mais également d'ingérence politique impardonnable dans les affaires d'un Etat et d'une nation qui tentent de défendre vaille que vaille leur indépendance et leur dignité naguère niées et bafouées par le système colonial français... En reprenant le slogan agressif de certains groupuscules du hirak, le président Macron ne se rend pas compte qu'il verse, comme eux, dans l'insulte, le dénigrement et l'anathème. On ne fait pas de bonne politique avec l'insulte, l'agressivité et la vulgarité. Comme le dit à juste titre Pascal Boniface : «Un président ne devrait pas dire cela. Quand on est en responsabilité, on n'insulte pas sauf à savoir que cela va déboucher sur une crise surtout avec un pays avec qui les relations sont aussi éruptives». Et que dit Gilles Manceron ? Que : «Ça ne me semble pas être le rôle d'un président de la République de porter des jugements sur les sociétés et sur l'histoire». Et le même ajoute subséquemment : «Ce n'est pas aux États d'écrire l'histoire et de dire ce qu'il en est de la nation algérienne à une certaine époque». Seuls les historiens de métier, ajouterai-je, et non les historiens des plateaux de télévision qui y passent souvent comme pour faire du remplissage, ont voix au chapitre en ce domaine. Le plus grave n'est pas seulement les insultes qu'il a proférées contre « le système politico-militaire » algérien; le plus grave encore, c'est sa négation de l'existence de la nation algérienne avant l'occupation d'Alger en 1830. Cette négation est une grosse concession faite à tous les racistes de l'Hexagone, qui comprennent aussi des gauchistes de tous acabits et des socialistes islamophobes, comme Lionel Jospin et ses semblables. Manceron pense que ce qui a poussé Macron à faire ce genre de déclarations intempestives, qui plaisent pourtant tant et plus aux gens de la droite comme de l'extrême droite, ce sont des arrière-pensées électorales. Quant à moi, je pense qu'il est otage de ces forces politiques citées, mais aussi du réseau algérien que le président Macron et ses prédécesseurs ont su créer tant en Algérie qu'en France dans le but d'infléchir la politique du gouvernement algérien dans le sens voulu par l'Hexagone. Ce réseau algérien est composé de néo-intellectuels, de « démocrates », sans culture ni pratique démocratique, de journalistes idéologiquement formatés, d'avocats, de culturalistes, d'«indépendantistes», d'hommes d'affaires, de francophones et de francophiles, d'anciens PAF, actifs ou retraités et même de quelques groupes islamistes plus ou moins informels qui ont quelque revanche à prendre contre le régime qui avait démantelé à partir de 1992 les structures tant légales que clandestines de leurs idoles. Les déclarations de Macron ne relèvent donc pas non plus d'un effet de « manche », mais d'une volonté désireuse d'avoir la mainmise sur l'Algérie, de la ramener comme naguère dans le giron de la France... Susciter la dépendance de l'Algérie à l'égard de cette dernière dans tous les domaines (politique, économique, culturel...), tel est le but non déclaré, implicite, poursuivi par tous les gouvernements de la France depuis 1962... En conclusion, ces deux pays restent, malgré toutes les vicissitudes politiques, arrimés l'un à l'autre et leur divorce ne peut être que momentané dans la mesure où les intérêts qui les lient et les contraintes que leur imposent les proximités humaines, linguistiques, géographiques, ainsi que les intérêts commerciaux et économiques, sont si importants qu'il est difficile d'imaginer une rupture radicale de ces deux pôles en apparence antagoniques... *Professeur des Universités, Msila (Algérie) - Directeur du Laboratoire d'Études historique, sociologique et des changements sociaux et économiques |
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