|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Chambre de compensation
«Cela ressemblera à une chambre de compensation. Lorsque que nous importerons du pétrole d'Iran, l'argent sera versé au SPV. Si ensuite une machine est vendue par une société européenne en Iran, le paiement interviendra via le SPV», a expliqué un diplomate européen à l'AFP. Ce mécanisme vise à «immuniser» acheteurs et vendeurs en évitant des transactions en dollars qui pourraient les exposer à des sanctions américaines, a expliqué une source diplomatique française. «Le pétrole est la seule contrepartie que l'Iran peut donner (...) Il permet aux recettes du pétrole d'être utilisées pour importer des biens», selon cette source. L'accord conclu en 2015 est censé empêcher l'Iran de se doter de la bombe atomique tout en sortant le pays de son isolement économique grâce à une levée des sanctions qui l'étranglaient»(1) Pour comprendre ce qui se passe en 2018 et les rebondissements sur le retour des sanctions contre l'Iran, il faut remonter aux forces historiques qui ont donné la conjoncture économique mondiale très spéciale d'aujourd'hui. Une conjoncture qui s'apparente à un début de la fin d'un processus qui a commencé il y a longtemps, en 1944, avec la signature des accords de Bretton Woods. Et même ces accords constituent une réponse aux accords issus de la Conférence de Gênes qui regroupa, rappelons-le, 34 pays et s'est tenue du 10 avril au 19 mai 1922. La Conférence de Bretton Woods qui s'est tenue au printemps de 1944, en pleine guerre mondiale -une année avant la fin- a réuni 44 nations et duré trois semaines. Les accords sortis de cette conférence qui ont donné le système monétaire international actuel sont visiblement dépassés, vu les guerres commerciales et monétaires que se livrent les puissances aujourd'hui. Déjà amputés de l'étalon or en 1971 et le passage aux changes flottants, tout semble pousser, par les crises économiques et financières et les guerres qui n'en finissent pas, à une nouvelle conférence internationale pour repréciser l'ordre monétaire international. Évidemment, les États-Unis font de la résistance comme d'ailleurs l'Europe parce qu'elle a aussi à perdre si le système financier et monétaire international venait à être changé. Mais le monde est en train de changer avec de nouveaux acteurs comme la Chine et la Russie qui font pièce au système financier et monétaire qui a été imposé, rappelons-le, par l'Occident, dans la première moitié du XXe siècle, à l'époque où les États-Unis sont devenus, avec le système de Bretton Woods, seul maître du monde. Même l'amputation du dollar-or en 1971, le système Bretton Woods a continué à fonctionner avec l'accord tacite de l'Arabie saoudite de libeller ses exportations en dollars, monnaie qui s'est étendue aux transactions pétrolières des autres membres des pays d'OPEP. Certes, cette mesure n'a pas été négative puisqu'elle a permis aux États-Unis, aux pays européens qui détiennent des monnaies internationales et aux pays exportateurs de pétrole qui détiennent le pétrole, de s'ériger en «moteur pour l'économie mondiale». Mais avec l'avènement de la Chine et des pays du BRICS, et leur poids sur l'économie mondiale, la situation économique du monde a complètement changé. L'Occident n'est plus maître de l'évolution du monde. D'autant plus que la conférence de Bretton Woods a 74 ans, et la première conférence qui lui a permis de naître pour régir le monde, c'est la conférence de Gênes de 1922, il y a 96 ans. Nous sommes en 2018 et tout pousse à dire qu'il faut revenir à la première conférence tenue entre les puissances de 1922, pour re-préciser le nouvel ordre monétaire mondial. Le monde va certainement se diriger vers une conférence de Gênes-bis, pour refonder l'ordre monétaire mondial. Bien entendu, le système monétaire international qui en ressortira ne reposera pas sur le dollar américain, en tant que monnaie-centre dans le système monétaire international, ni sur le retour de l'étalon or mais sur un étalon de change neutre, le DTS, les droits de tirage spéciaux que gère le FMI. Une monnaie internationale neutre reposant sur les grandes monnaies internationales, à savoir le dollar, l'euro, le yen, la livre sterling et le yuan. Le yuan chinois, pour rappel, n'a accédé qu'en octobre 2016. Bien sûr, la gestion du futur DTS qui donnera la vraie valeur, c'est-à-dire la part réelle de chaque monnaie internationale dans le panier de monnaies qui le constitue, relèvera du FMI ou d'une autre institution que les grandes puissances désigneront. Cette institution sera la «Banque centrale des grandes Banques centrales du monde», aujourd'hui au nombre de cinq, à savoir, la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne, la Banque du Japon, la Banque de Chine et la Banque du Royaume-Uni. Nous ne donnons cet aperçu que pour montrer que le monde se dirige inéluctablement dans les années à venir, probablement dans moins de 20 ans, à l'horizon 2030, vers un nouveau système monétaire international. Il n'y a pas de solution. Une conférence internationale calquée sur celle de Gênes et non de Bretton Woods qui a vu le dollar US, qui cherchera des rapports équilibrés, plus neutres, ne favorisant pas une nation par rapport aux autres, sera nécessaire pour sortir de cette situation qui va devenir dans les années à venir de plus en plus instable et dommageable pour l'économie mondiale. Et les accords qui ressortiront de la conférence Gênes-bis donneront une organisation du système financier et monétaire mondial similaire au système européen de Banques centrales (SEBC) de la zone euro des 19 membres composé de la Banque centrale européenne (BCE) et du réseau des 27 banques centrales nationales (BCN). Le Royaume-Uni étant sorti de l'Union européenne, l'UE est passée de 28 à 27 membres. Donc, à l'instar du SEBC, le monde se transformera lui-même en une zone monétaire mondiale composée des cinq grandes puissances monétaires, disposant d'une Banque centrale supranationale constituée des cinq grandes Banques centrales (États-Unis, Chine, zone euro, Japon, Royaume-Uni) et du réseau des Banques centrales du reste du monde qui y sera affilié. Tout pays qui remplit les conditions d'entrée peut accéder au groupe mondial des Cinq, et peut adjoindre sa monnaie au DTS, monnaie mondiale. La Banque centrale mondiale sera chargée de l'émission d'une unité de compte mondiale, le DTS, qui sera calculée sur la base des monnaies des cinq grands pays membres qui la constituent. La gestion et le contrôle de l'émission de l'unité monétaire mondiale est du ressort de la Banque centrale mondiale (BCM). Pour la stabilité du panier de cinq monnaies qui constituent l'unité mondiale, les mêmes critères que ceux de Maastricht, à savoir un faible taux d'inflation, un endettement et un taux d'intérêt proche de la moyenne de ses pays membres, doivent être évidemment de mise. Si un écart important arrive pour une monnaie, il est clair qu'il va se traduire par une diminution de sa part dans le calcul de la monnaie mondiale. Enfin, le DTS peut être renommé en «mondo», «bancor»... à l'appréciation des grandes puissances. Un dernier point et celui-ci est central dans la future conférence internationale de Gênes-bis est qu'il existe un risque que la situation soit comparable à la situation actuelle dans l'Union européenne, et en zone euro. C'est le pays le plus puissant économiquement qui sera le leadership du consortium mondial. Et dans la zone euro, c'est l'Allemagne la plus grande puissance à la fois économique, exportatrice, financière et monétaire, accumulant sans cesse des excédents commerciaux et prêtant aux autres pays membres. Forcément, la Chine, par sa puissance économique, financière et exportatrice de biens et services dans le monde, va devancer les États-Unis et l'Union monétaire (zone euro). Quand bien même tous les pays des 27 de l'Union européenne et le Royaume-Uni qui réintègrent l'UE et entrent tous dans la zone euro, ils seront toujours dominés par la Chine qui a un réservoir immense de main-d'œuvre -une population de 1,390 milliard de Chinois- et en compétitivité dans le commerce mondial. Même si le coût de la main-d'œuvre a augmenté en Chine, il reste toujours inférieur au coût en Occident pour une même qualité. Précisément c'est là où les États-Unis font de la résistance et ne veulent pas être détrônés par la Chine. Ils ne veulent pas d'une organisation mondiale où la Chine aura le rôle de ce qu'a l'Allemagne aujourd'hui en zone euro. Où le dollar passera en deuxième, voire en troisième position si la puissance de l'Union européenne dont les membres ont tous adopté l'euro viendra surplomber les États-Unis. Par conséquent, le seul moyen pour ne pas arriver à la situation où se trouve la zone euro avec l'Allemagne jouant le rôle de leadership, et surtout charriant une grande partie des richesses vers elle, et devenir le premier créancier de la zone euro est de penser des règles pour que la Chine, quand bien même elle joue le rôle de leadership dans la zone monétaire mondiale, ne soit pas à abuser de sa position. Cette règle évitera ce qui se passe en zone euro où le couple franco-allemand et, en réalité, en dernier ressort, l'Allemagne qui a le dernier mot sur toute décision qui engage l'avenir de l'Union européenne monétaire. *Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective. Notes : 1. «Les Européens instaurent un troc pour échapper aux sanctions américaines contre l'Iran», par AFP. Le 25 septembre 2018 https://www.afp.com/fr/infos/335/les-europeens-instaurent-un-troc-pour-echapper-aux-sanctions-americaines-contre-liran-doc-19f1ty1 |
|