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Ici, et maintenant, je n'ai
nullement l'intention de présenter une réflexion hautement scientifique,
fortement documentée et référencée sur les méthodes pédagogiques, leurs
intérêts, leurs avantages, leurs limites. Non, ce travail a déjà été traité,
chez nous et ailleurs, par les experts, pédagogues, psychologues, sociologues.
Ils nous ont concocté des théories et des modèles susceptibles de nous aider à construire des parcours pédagogiques structurants du processus d'apprentissage et de formation. Ces théories et modèles s'appellent socioconstructivisme, constructivisme, behaviorisme, modèle transmissif. Ils sont disponibles depuis bien longtemps dans la boîte à outils pédagogique, et très largement utilisés dans les systèmes éducatifs des pays qui ont parié sur la qualité de leur ressource humaine et la valeur de leurs citoyens pour prospérer et se développer. Ces pays qui ont mis en avant la science, la technologie, l'invention, l'innovation, le travail, la production comme facteurs de compétitivité, de performance et de bien-être. Ces pays qui sont actuellement à la pointe du progrès, et ceux qui ont compris et s'en approchent à grands pas. D'autre pays, squattés par des classes dirigeantes peu scrupuleuses, plus préoccupées par la gabegie, le vol, la corruption, la prédation rentière, préfèrent faire la sourde oreille et jouer l'aveuglement. Ils sont insensibles à la marche du monde et maintiennent leurs ressources humaines, leurs citoyens, dans les niveaux requis d'ignorance et d'incompétence à même de leur assurer les allégeances et les dépendances nécessaires à leurs entreprises néfastes et à leur pérennité dans l'exercice du pouvoir. Lorsque les logiques économiques sont rentières et distributives, il devient impératif de maintenir au plus bas possible le niveau des exigences sociales. Car il s'agit, pour ces classes dirigeantes, de servir et de «se servir», et entre ces deux processus, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes de médiation et de régulation. Dans ce contexte, un système éducatif qui produit l'échec, la déperdition, le handicap, la sous-qualification, l'incompétence, la sous-ambition est perçu, non pas comme un problème, mais au contraire comme un puissant fondement des mécanismes de régulation car il permet, en définitive, de moins «servir» et de plus «se servir». C'est ce qui fait, par exemple, dans le cas de l'économie algérienne, que le salaire d'un professeur d'université en fin de carrière correspond exactement à celui d'un smicard de l'économie française. C'est ce qui fait aussi, que des dizaines de milliers de diplômés universitaires végètent durant des années dans des dispositifs du filet social, en situation de survie et sans aucune perspective de sortie. C'est ce qui fait aussi que plus de la moitié du peuple algérien vit de l'économie informelle, des petits et grands trafics, de la débrouille, dans l'incertitude et la précarité. Alors dans ces conditions, me direz-vous, une réforme de l'école pourquoi faire? A quoi ça sert? D'aucuns diront qu'il faudrait d'abord réformer l'économie, le système politique, les dispositifs sociaux avant de réformer l'école. Eh bien non, s'il faut travailler la société en profondeur et trouver les solutions structurelles, il faut travailler d'abord et en priorité l'école. Les islamistes l'ont bien compris dès les années 70, lorsqu'ils avaient soigneusement évité la confrontation sur le terrain politique, économique, social et ils avaient investi l'école, pour des raisons qui sont loin d'être louables certes, mais ils avaient bien compris le système. Ce sont les Hommes de demain qui apporteront les vraies solutions aux vrais problèmes d'aujourd'hui, à condition toutefois de bien les qualifier, de les doter des aptitudes, des compétences, des motivations et des valeurs adéquates. C'est pourquoi, à mon avis, il devient plus qu'urgent de poser le dossier de la réforme de l'école sur la table des grandes décisions institutionnelles et populaires. Mais attention, on ne parle pas ici des petites réformettes de fin d'année, qui mettent le feu aux poudres et qui attirent les foudres des conservateurs et autres arabo-islamistes sur le ministère de l'Education nationale. Non, on parle d'une vraie réforme, en profondeur, authentique, scientifique, qui traite de toutes les grandes problématiques de l'école algérienne. Et il faut commencer par le commencement, c'est à dire par l'école primaire qui est le socle de la citoyenneté. Car il y a urgence à ce niveau, car chaque année des centaines de milliers de petits Algériens de 5-6 ans sont mis d'emblée, non pas à l'école au sens noble, mais dans ce qui ressemble à un univers quasi-carcéral, qui les met en rupture brutale avec leurs processus de socialisation et d'affectivité en formation, et qui les plonge de manière tout aussi brutale dans des processus cognitifs forcés pour lesquels ils ne sont pas encore préparés. Ces petits Algériens de 5-6 ans, il faut se mettre à leur place et regarder l'école à travers leurs petits yeux apeurés. Pour eux, l'école est un calvaire, un véritable drame, c'est cette «chose» qui les extirpe de la quiétude familiale, de l'amour et de la protection des parents, et qui les projette dans un monde inconnu, hostile, fait de règles, de normes, de brimades, d'inhibitions, d'interdits, de châtiments. Combien de fois, aux portes des écoles primaires, n'avons-nous pas vu des enfants paniqués refuser de rentrer en classe, pleurant tout leur saoul et se tortillant entre les mains de leurs parents? Il faut comprendre une fois pour toutes que si l'Algérien n'aime pas ses institutions, si l'étudiant n'aime pas son université, si le lycéen n'aime pas son lycée, si le collégien n'aime pas son collège, c'est parce que l'écolier n'a pas aimé son école. C'est parce que l'école n'a pas su se faire aimer de ses écoliers. Il est vraiment incompréhensible qu'après cinquante quatre ans d'indépendance du pays, on n'est pas encore arrivés à poser correctement et sereinement la problématique de la relation Enfant-Ecole. Où est notre élite intellectuelle nationale? Où sont nos psychologues, nos sociologues, nos pédagogues pour en parler, au moins pour nous rappeler ce qui est par ailleurs, à travers le monde, largement admis et approuvé? Que l'ère de l'école dirigiste et transmissive est révolu, que notre école primaire souffre d'un vrai problème de méthodes pédagogiques inadaptées, restrictives, répressives, régressives, déstructurantes, qui produisent chez nos enfants, quelquefois à vie, le stress, la peur, le complexe et la folie? Il est grand temps que quelqu'un se lève, quelque part, pour dire qu'il faut changer d'école. Il est grand temps que nous tous, nous nous levions pour dire qu'il faut changer d'école. Passer de l'école-épouvantail, l'école-repoussoir, à une école respectueuse de la continuité dans les processus de socialisation et d'affectivité de l'enfant, articulée à une bonne gestion de l'éveil cognitif et constructif de la personnalité chez l'enfant. Une école qui serait capable d'adopter le socioconstructivisme comme méthode pédagogique idoine, et actuellement quasi-universelle, et d'éloigner par la même occasion le charlatanisme pédagogique ambiant qui a fait beaucoup de mal, et durant trop longtemps, à nos enfants. Le socioconstructivisme, mot à consonance fort savante s'il en est, n'est pas aussi abstrait, ni aussi inaccessible qu'on ne le pense. Moi, je le décline en un «quiz» très concret de 11 questions que j'adresse à qui de droit: à Monsieur le Président de la République, au Premier ministre, au ministre de l'Education nationale, aux membres du gouvernement, aux députés, aux sénateurs, aux parents d'élèves, aux Algériens qui ont l'école à cœur et même aux Algériens qui ont le cœur mort-vivant. Je laisse à chacun la latitude de répondre et d'agir selon sa conscience et le niveau de sa responsabilité. Quand pourrions-nous voir nos enfants chanter dans l'école primaire? Quand pourrions-nous voir nos enfants danser dans l'école primaire? Quand pourrions-nous voir nos enfants caresser un instrument de musique dans l'école primaire? Quand pourrions-nous voir nos enfants dessiner et sculpter dans l'école primaire? Quand pourrions-nous voir nos enfants faire du théâtre dans l'école primaire? Quand pourrions-nous mettre nos enfants les uns en face des autres dans l'école primaire? Quand pourrions-nous ne plus mettre nos enfants les uns derrière les autres dans l'école primaire? Quand pourrions-nous voir les tableaux noirs disparaître des classes de l'école primaire? Quand pourrions-nous voir nos enfants coopérer, s'entraider à résoudre un problème ou à construire un projet pédagogique commun dans l'école primaire? Quand pourrions-nous voir nos enfants de l'école primaire faire des «sorties nature» pour apprendre à aimer l'environnement, les plantes et les animaux? Quand pourrions-nous enfin sentir le doux parfum de la vie et de la joie de vivre dans les classes et les cours de récréation de l'école primaire? Voilà, c'est ça le socioconstructivisme; ce n'est pas plus compliqué que ça. C'est comme une bonne recette de cuisine: c'est simple, c'est nourrissant, c'est pas cher et ça produit de bons citoyens équilibrés, compétents, responsables et créatifs. Il s'agira en sorte de sortir du dirigisme et du modèle transmissif qui semble être une fatalité immuable de l'école primaire algérienne, et d'adopter les activités et matières socialisantes et structurantes de la personnalité chez l'enfant. Ces activités et matières doivent être intégrées dans les programmes officiels, les volumes pédagogiques et les méthodes d'enseignement. Ceci nécessitera bien sûr, un réaménagement de l'ensemble du dispositif d'enseignement pour l'orienter vers plus de socialisation, de structuration de l'affect chez l'enfant, au détriment des matières et des méthodes focalisées sur le mnémonique, le répétitif et le récitatif. En somme plus de créativité, plus d'affectivité et moins de conditionnement et de prosélytisme idéologico-religieux chez l'enfant. Le volet cognitif, qui doit garder toute sa place dans ce dispositif, doit être intégré et articulé de manière à accompagner ces processus formatifs, au lieu de leur venir en rupture. C'est comme cela qu'on construira les savoirs, les motivations et les compétences de demain dans la tête de nos enfants d'aujourd'hui. C'est comme cela qu'on fera de nos enfants les gagnants des enjeux socio-économiques du troisième millénaire. Il s'en trouvera inévitablement ceux qui ne seront pas d'accord avec cette nouvelle approche, ceux qui vont crier à l'imposture, à la trahison, au blasphème, à l'abandon des traditions, à l'abandon des «constantes nationales», et j'en passe. A tous ces gens, idéologues périmés et rétro-nostalgiques obsolètes, qui sont loin de représenter le peuple algérien et qui ont fait de l'école leur fond de commerce, il faut répondre que l'école algérienne est une institution républicaine et à ce titre, elle est au-dessus des idéologies, des partis, des extrémismes et même du pouvoir. Elle appartient au peuple algérien dans son ensemble et doit traduire ses attentes, ses aspirations, ses rêves, ses espérances en un avenir meilleur. Nous ne pouvons qu'être d'accord avec Etiennette Vellas, de l'Université de Genève lorsqu'elle s'interroge au sujet de cette approche socioconstructiviste: «Que se passe-t-il aujourd'hui pour que les adversaires des réformes fassent du constructivisme un épouvantail ? Est-ce parce que l'activité de construction et reconstruction des connaissances va à l'encontre des représentations les plus communes de l'enfant qui apprend? Ou parce qu'on confond, de bonne ou de mauvaise foi, le constructivisme avec une méthode particulière d'enseignement ? Une raison plus inquiétante peut aussi exister, reliée aux enjeux sociaux du constructivisme. Savoir en effet que tout enfant (qui) se construit, (qui) fabrique activement son intelligence et ses savoirs, n'est donc pas une oie que l'on peut gaver ni une terre glaise à modeler, voilà qui peut être aussi enthousiasmant pour certains qu'insupportable pour d'autres. Nous ne pouvons qu'espérer que les résistances actuelles au socioconstructivisme ne proviennent que de la méconnaissance des théories de l'apprentissage que recouvre ce terme, difficile d'accès il est vrai, ou de l'irritation que suscitent certaines pédagogies simplistes qui s'en réclament.» Alors, en définitive, le socioconstructivisme à l'école primaire algérienne devrait devenir une mission républicaine, une mission de salut national. A ce titre, elle n'est pas seulement l'affaire du ministère de l'Education nationale, elle est l'affaire de toutes les institutions de l'Etat qui doivent se prononcer clairement et s'engager résolument dans sa mise en œuvre. Elle est l'affaire du peuple algérien dans son ensemble, qui doit aussi donner de la voix pour sauver ses enfants. *Professeur des universités, université de Mostaganem et parent d'élève |
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