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Laïcité et religion, séparation de raison ou mariage forcé ?

par Chaalal Mourad

«La race est un critère trop incertain et dangereux pour pouvoir avoir des applications politiques. La langue qui invite à se réunir, mais n'y force pas comme la race, elle est une construction artificielle. La religion ne saurait offrir une base solide à la constitution de la Nation ; en effet, l'individualisation de la religion, la sécularisation de l'Etat, la séparation moderne entre le public et le privé ont fait perdre toute dimension fédératrice dans l'espace public à la religion»... Ernest Renan.

Il est tout à fait normal que nous Algériens, nous ne puisions arriver à un consensus autour d'un sujet aussi ambigu que celui de la laïcité, avec tous les préjugés qui lui sont collés au dos, par ignorance ou intentionnellement. Même en Occident, la laïcité n'est pas définie d'une façon homogène d'un pays à un autre.

Me concernant, je suis vraiment heureux de voir le débat sur la laïcité sortir enfin, des salons fermés de l'élite vers le grand public, chose que j'ai toujours souhaitée.

Les questions fréquemment soulevées au sujet du rapport laïcité/religion sont du type : peut-on être laïc et croyant, voire même, pratiquant ? Quelle est donc la part de vérité sur les préjugés qui entachent la laïcité chez nous, la confondant carrément à l'athéisme, ou au meilleur des cas, à l'animosité envers la religion et à toute expression de celle-ci dans l'espace public ? Y a-t-il une chance à une laïcité »made in Algeria» qui ne soit pas nécessairement fondamentaliste et exclusive »etakfir elaiiki» (l'hérésie laïque), par opposition à l'hérésie religieuse »etakfir edini» des fondamentalistes religieux ?

Me concernant, je dis oui ! Et à certains de nos laïcs algériens qui pensent peut-être, qu'être musulman, qui est un choix religieux, est incompatible avec le fait d'être laïc, qui lui est un choix politique ; je leur dis tous simplement, que vous êtes carrément à côté de la plaque, que votre laïcité n'est pas innocente, puisqu'elle puise dans d'autres sources que celles de nos «Dchour «et de nos «Ksour».

En plus, si dans un pays majoritairement musulman comme le nôtre, où la religion ou disons l'exercice du rituel religieux collectif ou individuel est trop voyant, y est présent à longueur de journée et fait donc partie de notre patrimoine cultuel et culturel ; la laïcité n'est portée que par la minorité ethnique comme chez nous ou confessionnelle comme en Égypte par exemple, ou qu'elle n'est le souci que de l'élite «éclairée», comme c'est la cas partout ; elle sera toujours perçue par la majorité comme une démarche «non innocente» et agressive envers leur conviction, leur mode de vie et de culte. La laïcité sera toujours perçue alors comme un cheval de Troie, pour faire passer leur choix «élitiste» et imposer leur vision des choses sur l'ensemble de la population.

Aggravée par le fait qu'une certaine catégorie de laïcs algériens, heureusement pas tous, font dans l'orthodoxie et le fondamentalisme laïc une devise ; ceux-ci, qui ne croient pas à l'évolution des idées et des esprits ni au réajustement des approches politiques et refusent donc, tout compromis avec certaines formations politiques nationales à connotation religieuse, qu'ils traitent d'obscurantistes voire, carrément de terroristes ; Chose que je déplore et je trouve qu'elle est incompatible avec l'esprit même de la laïcité, qui ne vise en somme que le vivre ensemble et la paix sociale.

Le plus grave, c'est qu'ils véhiculent chez le peuple une fausse impression, d'être face à un refus catégorique de l'Islam en tant que religion. C'est un contre-argument trop dangereux et irrationnel et carrément erroné, qui ne profite guère à la diffusion de la laïcité chez nous, chose que je ne cesse de condamner et de combattre avec toutes mes forces. En effet, la tolérance et le respect de l'autre sont une route à doubles voies ; on ne peut pas les réclamer aux autres, alors que l'on n'est nullement disposé à les exprimer à leur endroit ; le pire pour la laïcité, c'est d'ériger des remparts idéologiques qui l'empêchent de dialoguer, d'assumer la diversité d'opinions et donc de composer avec tous.

L'ISLAM EST-IL COMPATIBLE AVEC LA LAÏCITE ?

C'est une évidence ! Et si je dis cela, ce n'est pas une chimère que je poursuis, ni un désir que je pourchasse. L'islam, tout comme la chrétienté d'ailleurs, est fondamentalement laïc, il n'a jamais prisé ou cherché le Pouvoir temporel sur les hommes, pour preuve : lorsque Qouraïchites, au tout début de «la biaata» (phase de divulgation du message de l'islam), et pour interdire à Mouhammad (Qssl) de proférer des offenses contre leurs divinités, de soulever les esclaves contre leurs maîtres et de remettre en cause l'ordre établi, demandent donc à Abu Talib, l'oncle du prophète de dire à son neveu que : «s'il cherche la royauté ( le Pouvoir) on le proclamera roi, s'il cherche la richesse, on le rendra le plus riche d'entre nous, etc. En perpétrant même des menaces à leurs endroits. Le prophète (Qssl) et après avoir entendu cela de la bouche même de son oncle dit : «Ô mon oncle ! Je jure par Allah que même s'ils mettaient le soleil dans ma main droite et la lune dans ma main gauche pour me faire renoncer à cette mission (el Amr), je ne renoncerais jamais jusqu'à ce qu'Allah la fasse triompher ou que j'y perde la vie».

L'Islam est un État et une religion dites-vous ? Que, pensez-vous alors si l'un des rois qui reçut le fameux message du prophète Mohammed (Qssl) «Aslim taslem» (c'est dans l'islam que se trouve votre salut), aurait accepté l'Islam ? Aurait-il préservé son royaume et son Pouvoir ? Ou au contraire, aurait-il été réduit à l'esclavage par cet homme qui affirme être l'envoyé du Ciel ? Malheureusement, l'histoire ayant pris d'autres tournures, elle n'est pas mesurée de nous le dire.

 Pourtant, les Ayats (versets) du Coran à ce sujet sont nombreuses, «Wa ma enta alayhim bi moussaytir «(et tu n'es pas un dominateur sur eux), «Anoulzimkoumouha wa entoum laha karihoun? «(devrons-nous vous l'imposer alors que vous la répugniez?), «la ikraha fi eddin» ( il n' y a pas de contrainte dans la religion), qui énonce le principe même de la liberté de conscience, etc. ou dans sourat Fussilat (les versets détaillés) aya 11: « Il S'est ensuite adressé au ciel qui était alors fumée et lui dit, ainsi qu'à la terre : «Venez tous deux vers moi, bon gré, mal gré». Tous deux dirent : «Nous venons vers toi sans contrainte (librement)».

Ce qui est sûr et certain, c'est qu'il n'y a pas de foi sans liberté ! Imaginez-vous des croyants sous contraintes, ramenés (rabattus) vers Dieu haut les mains et kalachnikov aux dos ? Que va-t-il faire dieu avec ce genre de croyant ? En serait-il heureux ? Si nous autres humains, nous n'acceptons pas d'être aimé d'un amour forcé ou hypocrite ; Comment voulez-vous alors, que dieu puisse l'admettre pour lui-même ?

La foi est une démarche consentante et consciemment libre ; il est dit dans le Coran : «Et dit : «La vérité émane de votre Seigneur» Quiconque le veut, qu'il croit, et quiconque le veut qu'il mécroie» el Kahf 29.

En plus, il est bien connu que l'école du rationalisme musulman a devancé les mouvements laïcs en Occident. Ibn Rochd ( Averroès 12e siècle ) «Le Commentateur » d'Aristote comme on l'appelait, l'un des plus grands penseurs de l'Espagne musulmane, C'est lui qui prononça le divorce entre le croire et le savoir, et entre la pensée rationnelle et l'émotionnelle qui freinaient jadis la pensée occidentale. Certains n'hésitent pas à le décrire comme l'un des pères fondateurs de la pensée laïque en Europe de l'Ouest. Il cherchait à séparer entre la science et la foi. À l'instar des mutazilites (8e siècle) pour lesquels la raison primait sur la révélation. Averroès était suspecté d'hérésie.

C'est grâce aux traducteurs juifs de Catalogne et d'Occitanie qu'une partie de ses ouvrages a pu être sauvée et beaucoup furent brûlés par l'obscurantisme des Almohades. Saint Thomas d'Aquin comme philosophe, lui doit presque tout, ce dont témoigne le philosophe Ernest Renan, lui qui tentait un mariage forcé de la religion et de la raison.

Avec les mutazilites, l'islam a pu poser et sans complexe la problématique du rationnel et de l'écrit et la controverse sur «enakl wel aakl «(l'écrit sacré et la raison) dans la religion, ce qui était en ces temps, une vraie révolution, qui surpassa, et de loin, ce qu'étaient permis de débattre au sein de l''Église catholique qui étouffait les arts et les sciences et devança même les mouvements laïcs en Europe et donc la Révolution française elle-même.

En conclusion : l'islam (sunnite majoritaire) et bien qu'il ne soit pas doté d'une institution ou de clergé, devra, à mon avis, suivre le même processus que celui du christianisme, il n'a pas le choix ! Il doit revenir aux sources limpides où «la foi primait sur le dogme», celles du premier siècle notamment ; tout comme la chrétienté étant revenu à sa version apostolique avait renoncé à sa quête du pouvoir temporel mais plutôt celle des cœurs et des âmes qui est le plus important aux yeux de Dieu ; «mon royaume n'est pas de ce monde» disait Jésus. Avec la laïcité, et malgré les luttes et la résistance de l'Église catholique romaine, elle a finalement compris ; le faisant, elle a gagné en image et en humanisme. Toute tentative d'impliquer la religion au Pouvoir, je dis bien au pouvoir et non pas à la politique, ne vise en somme, que l'exercice du celui-ci au nom de celle-ci.

Pourquoi je dis cela ? La recrudescence du fondamentalisme religieux, qui représente la véritable matrice de la violence politico-religieuse qui s'alimente des injustices sociopolitiques, de l'oppression et de l'absence des libertés dont souffrent nos sociétés, semble l'emporter sur les courants modérés de l'Islam politique pacifique, qui déploient (apparemment !), faut-il l'avouer, des efforts pour s'accommoder aux institutions et intégrer la notion du modernisme que requiert l'Etat-nation et civil dans ses programmes et dans son discours. En plus, et honnêtement parlant, dans la société moderne, tous est politique, tous les aspects de la vie courante sont gérés par une politique, et la chose religieuse n'en soustrait pas. Comme toute chose du monde, la religion reste dépendante de la politique générale l'Etat et de ses orientations et même de ses manipulations. Théoriquement, la religion n'est pas censée faire de la politique trop voyante, ou du moins, celle dont l'esprit n'a pas assez évolué pour lui envisager une application politique afin de défendre sa vison du monde ou ses valeurs, universellement admises et reconnues ! En occident, la démocratie, la liberté et la religion ont beaucoup appris les unes des autres et ont fait du chemin ensemble, il peuvent théoriquement coexister en harmonie dans le domaine public sans problème.

Pragmatiquement, je pense qu'on doit reconnaître à la religion une fenêtre d'expression politique contrôlée, pour couper la route au fondamentalisme et donc à la violence politique qui s'exerce en son nom. Au lieu de parler à coups de balles, de bombes ou de couteaux, je préfère voir ces gens-là, qui ne sont pas tous des adeptes de la violence, les voir gueuler, se disputer au sein d'un hémicycle, d'une chambre parlementaire ou autour d'une table de débat civilisé et des arènes du débat politique constructif.

En plus, l'Islam dogmatique issu du «hanbalisme» pur et dur tel qu'il est pensé et vécu, ne permet malheureusement aucune possibilité de débat contradictoire en son sein, contrairement à la politique qui elle, peut s'offrir le luxe du débat et la possibilité d'émettre un avis et son contraire, et faire donc progresser les esprits verrouillés du dogmatisme religieux.

Des sujets dont il est impensable de débattre au sein de la religion, seront tout bonnement transposés dans le champ politique, via des formulations qui lui seront propres. À ce titre, je ne vois aucun mal à ce qu'une formation politique légalement constituée, à connotation religieuse ou même ethnique, fasse de la politique pour défendre ses valeurs, ses intérêts, à condition qu'elle adhère clairement et pleinement aux règles du jeu démocratique, aux exigences du vivre ensemble, à l'impératif de l'alternance au pouvoir, à la notion de citoyenneté, à celle de l'État-nation ; et surtout à la suprématie de la loi civile et la constitution du peuple souverain, à toute autre référence ou source extra constitutionnelles, fussent-elle ancestrales ou célestes ; néanmoins, desquelles elle peut puiser son âme.

C'est impossible me diriez-vous ? Si l'on examine de près les expériences des pays comme la Belgique où toutes les confessions, celles qui répondent à certains critères préétablis par la loi bien évidemment, sont reconnues, enseignées et financées par l'Etat. L'Allemagne, l'Italie, le Royaume uni ou même la France, berceau de la laïcité européenne où l'Alsace-Lorraine y fait encore une singularité.

En Amérique du nord, la foi et la politique font apparemment bon ménage, au point où Tocqueville disait au sujet de la démocratie américaine : «J'avais vu, parmi nous (en Europe), l'esprit de religion et celui de liberté marcher presque toujours en sens contraire. Ici, je les ai trouvés intimement unis l'un à l'autre. Ils régnaient ensemble sur le même sol.».

En Israël, ce pays qui se décrit lui-même comme une oasis démocratique au milieux d'un océan d'obscurantisme et totalitarisme arabe dans lequel il baigne, recèle dans sa cartographie politique six partis religieux purs et durs, pour ne pas dire plus ; ceux-ci qui ne s'en cachent pas et ne cachent pas leur buts...