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La sécurité nationale de l'Algérie : le besoin d'une grande stratégie

par Tewfik Hamel *

Globalement, la sécurité nationale consiste à protéger les citoyens des menaces existentielles et omniprésentes à leur sécurité personnelle, bien-être physique, et les valeurs fondamentales.

1ère partie

Cette vision a deux caractéristiques principales : 1) elle capture les responsabilités centrales de l'Etat moderne ; assurer la sécurité de la menace et la violence ; créer les conditions pour le développement et le bien-être économique et sociale ; représenter les aspirations et les valeurs d'une communauté politique et ; 2) elle distingue les questions de « sécurité nationale » des problèmes de politiques ordinaires par leur nature urgente, existentielle ou envahissante. Mais l'essence de la sécurité nationale comme un concept, à l'instar de la grande stratégie, est de maintenir la capacité continue de la nation à relever les défis. L'extension de la notion reflète une tendance plus générale dans les relations internationales rejetant la définition stato-centrée de la sécurité. Parce que plus globale incluant les menaces extérieures et -explicitement- intérieure, la notion de la « sécurité nationale » prend une importance distincte dans le contexte post-guerre froide avec son insistance sur la dimension non-militaire et intérieure de la sécurité.

 En effet, dans le vingt et unième siècle, la sphère domestique est devenue un facteur important dans la poursuite des intérêts nationaux en raison des menaces asymétriques, l'ère de l'information et le terrorisme international. L'Algérie ne fait pas exception. Elle confronté à des menaces venant de l'extérieur autant de l'intérieur. En ce sens, il semble intéressant que le pays cherche à établir une grande stratégie. L'article ne traite pas le processus stratégique, mais plutôt le cadre conceptuel (quelques éléments) de la stratégie. Il tente d'expliquer la grande stratégie, son importance et lancer un débat sur la question.

LES CERCLES DE LA SECURITE NATIONALE DE L'ALGERIE :

La doctrine stratégique de l'Algérie interdit à l'Armée d'intervenir militairement en dehors du territoire national même lorsqu'elle est vivement sollicitée par ses voisins ou partenaires internationaux. Non seulement ce principe n'a pas empêché ses forces militaires de fournir aide logistique et formation aux forces armées et de sécurité des pays voisins notamment le Mali, la Libye, etc., le pays reste très actif en matière de la coopération régionale et internationale et est engagée dans de nombreuses architectures de sécurité. Le recours à la diplomatie multilatérale est une façon de concilier ses principes de non-intervention et l'impératif de faire face aux menaces à sa sécurité. Les contradictions de l'Algérie quant à son engagement extérieur sont un aveu de ses faiblesses structurelles intérieures. Le positionnement de « ni-ni » permet à l'Algérie d'occulter les luttes internes au sommet du pouvoir qui paralysent sa capacité d'action et affaiblissent son leadership régional. L'absence d'engagement fort pourrait bien être le résultat de positions contradictoires et d'intérêts divergents au cœur même du système, symptomatiques de la multiplicité des lieux de pouvoirs, du dysfonctionnement du centre décisionnel et de l'opacité des processus de décision. L'ambigüité de son activisme reflète aussi les divisions intérieures traversant la société algérienne qui se traduisent dans le rééquilibrage des cercles de la sécurité nationale.

Historiquement, avec une élite intellectuelle et dirigeante francophone déterminée à la réorganisation de l'État le long des lignes modernes, c'est le pays où l'héritage de la colonisation est plus profond mais également c'est là où la volonté de s'en débarrasser s'est manifestée virulemment par la suit. L'histoire postindépendance de la « plus assimilée des colonies » fut une suite de rejets répétitifs de la greffe coloniale. D'où des relations difficiles avec l'Occident et la marginalisation de la Méditerranée dans l'architecture de sécurité de l'Algérie alors que l'histoire, la géographie, l'immigration et les liens politico-économiques importants avec l'Europe scellent le destin méditerranéen du pays. Au moins jusqu'à une date récente, la sécurité nationale de l'Algérie a principalement été envisagée dans le cadre de trois cercles se chevauchant constamment : maghrébin, arabe et africain. Sa diplomatie agit pour les consolider et s'en sert pour soutenir sa politique internationale notamment son engagement tiers-mondiste. Comme le disait Boumediene, « pays arabe, maghrébin et africain, l'Algérie appartient à ce vaste ensemble des nations du Tiers-Monde ». Ces cercles ont toujours été conçus comme complémentaires. Selon le contexte, Alger n'hésite pas à instrumentaliser un cercle pour appuyer sa sécurité nationale et renforcer sa position dans un autre.

L'action internationale de l'Algérie reste motivée par la volonté de s'imposer étant l'interlocuteur incontournable des grandes puissances pour tout ce qui concerne les affaires maghrébines et même africaines. Si le tiers-monde était le grand cercle dans, et à travers, lequel la diplomatie algérienne a été véhiculée, sa dimension méditerranéenne s'exprimait essentiellement comme un sous-ensemble dans le cadre des rapports Nord-Sud (Non-alignés) et du dialogue européo-arabe (Ligue arabe). Sa conversion au pragmatisme s'éloignant de la « diplomatie de maquisards » l'a conduit à inclure progressivement la Méditerranée comme une partie de son identité. Contrairement à la constitution de 1963 considérant le pays comme « partie intégrante du Grand Maghreb, du monde arabe et de l'Afrique », celle de 1996 le définit le comme « partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain ». L'ouverture économique du pays, la démocratisation à mi-chemin, la normalisation graduelle des relations avec l'Occident reflète le renouveau de l'état d'esprit algérien. Sous cet angle, la coopération croissante notamment militaire avec les pays occidentaux traduisent la réorientation de la diplomatie algérienne et un rééquilibrage en faveur du cercle « Méditerranée », le résultat de choix politiques pour plus d'Occident.

Mais sa conversion au pragmatisme n'a pas encore été achevée. Dans son âme, l'Algérie cherche à être un électron libre. Théoriquement, elle a les moyens de sa politique. Mais elle lui manque une grande stratégie pour gérer ses contradictions d'autant plus qu'un effort de planification stratégique sérieux au niveau national ne peut en aucun cas se limiter à la politique étrangère au sens étroit.

 Il doit comprendre des éléments de la stratégie militaire, ainsi les renseignements stratégiques et les intégrer à la dimension diplomatique et politique de la sécurité nationale. Il ne peut pas également négliger l'économie ni les facteurs politiques intérieures (et politiques). Les politiques nationales dans ces différents domaines sont souvent en chevauchements, et peuvent même être contradictoires. Il y a rarement des objectifs « purement militaire » ou « purement politique ». D'où l'intérêt de la grande stratégie qui est la « grande idée » de la politique étrangère et de sécurité nationale sinon un précieux cadre pour une meilleure compréhension de la grande image du rôle du pays dans le monde. Une sorte de déclaration de haut niveau de ce que les dirigeants essayent de faire.

LA GRANDE STRATEGIE : UN CONCEPT AMBIGU :

L'histoire initiale de la stratégie concerne exclusivement des campagnes militaires. Mais le concept a beaucoup évolué. Lorsqu'un pays, en particulier une grande puissance imprégné par une culture stratégique forte, emploie une stratégie dans la poursuite de ses intérêts, il est utilisé habituellement des termes tels que la Stratégie nationale, la Stratégie de sécurité nationale, ou la grande stratégie. À certains moments, il semble que les trois termes sont quasiment synonymes peut-être parce que la grande stratégie est imaginée comme un plan, une vision, un processus politique, un paradigme, une culture stratégique, une harmonisation de fins et moyens et un modèle. Le moins que l'on puisse dire est que le concept souffre d'un manque de clarté conceptuelle - ce qui est, en soi, un obstacle à la formulation d'une grande stratégie. En effet, comme de nombreux autres concepts dans les sciences politiques et sociales, la grande stratégie est un concept ambigu. Il ne peut même pas signifier quelque chose de très précis pour ceux utilisant le terme. Cela signifie des choses différentes pour différentes personnes en fonction de leur vision du monde, leurs conceptions de la nature du pouvoir, leurs affiliations institutionnelles, et les intérêts qu'ils cherchent à poursuivre. Nous tenons dans nos esprits de nombreux concepts qui ne sont pas consciemment défini peut-être qu'ils ne peuvent pas être clairement définis. La grande stratégie est en effet l'un de ces termes qui n'ont pas un sens commun mondialement accepté, sans pour autant que cela empêche son utilisation au sein des communautés universitaires, politiques et stratégiques.

LA GRANDE STRATEGIE ET LA QUESTION DES FINS ET MOYENS :

Plus on cherche à comprendre ce que la grande stratégie implique, plus on voit comment sont complexes et incertains en termes historiques les aspects qui englobent son élaboration et utilisation. « Aucune construction théorique, aucun ensemble de principes abstraits, aucun modèle de la science politique », écrit Williamson Murray, ne « peut capturer son essence ». Elle est affectée par la position géographique d'un pays, le contexte historique, la nature de son gouvernement, le caractère et les capacités de ses dirigeants, et elle recouvre des réalités politiques, sociales, économiques et militaires. Henry Barnett visualise la stratégie comme une interaction entre les variables clés : l'environnement de sécurité, les fins, les moyens, les méthodes, les ressources limitées, et les risques. La stratégie est façonnée par l'environnement de sécurité, car elle tente de façonner l'environnement de sécurité. Tout comme aucun plan ne reste pas intact après le premier contact avec l'ennemi, aucune stratégie ne peut exister en dehors du monde réel. Elle englobe les décisions d'un Etat donné à propos de sa sécurité globale (les menace qu'il perçoit, la manière dont il fait face à elles et les mesures qu'il prend pour harmoniser les fins et les moyens) et chacune implique l'intégration des objectifs politiques, économiques et militaires globaux de l'Etat, à la fois en temps de paix et de guerre, pour préserver et développer les intérêts à long terme.

En effet, si un concept unifié de la grande stratégie reste insaisissable, le plus souvent elle implique le leadership politique, porte sur l'effort, tente d'assurer la cohérence fins-moyens, puise dans l'histoire du pays, s'efforce d'être un processus de construction d'un consensus national. Elle est autant le produit autant le reflet de l'identité commune qu'elle tente, à son tour, de façonner et renforcer. Elle mélange les disciplines de l'histoire (ce qui s'est passé et pourquoi?), des sciences politiques (quels sont les modèles sous-jacents et les mécanismes causaux qui sont à l'œuvre?), des politiques publiques (comment cela s'est-il et comment pourrait-il être amélioré?), et de l'économie (comment les ressources nationales sont produites, protégées et développées?). Les décideurs doivent répondre à une série de questions pertinentes relatives aux moyens-fins-méthodes de la nation. Par exemple, quels sont les intérêts nationaux en jeu, et sont-ils vitaux à la survie et la prospérité de l'Etat ? Quels sont les objectifs généraux de l'État et des objectifs politiques concrets ? Quels sont Etats réellement en contradiction avec ces objectifs, et les États pouvant les soutenir ? En termes de ressources, l'Etat est-il capable de mettre en œuvre les stratégies en cours d'élaboration ? Comment l'État peut réussir à atteindre ses objectifs au moindre coût? Et tout aussi important, c'est l'ordre dans lequel les questions sont posées. Décider quels sont les intérêts et les objectifs de la nation est essentielle et doit venir en premier, avant toute tentative de formuler des politiques et de décider de ce qui doit être fait. «Qu'est ce qu'il faut faire?» constitue le niveau le plus profond de la grande stratégie ; ensuite vient «comment faire»

A suivre

* Chercheur en Histoire militaire & Etudes de défense à CRISES de Université Paul Valéry (Montpelier III) et membre du comité de lecteur de la Revue Géostratégiques.