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«Et si tous les autres acceptaient le mensonge imposé par le Parti - si tous les rapports racontaient la même chose - le mensonge passait dans l'histoire et devenait vérité.» George Orwell Paul Valéry avait dit «l'Histoire justifie ce que l'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout. Elle est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait élaboré.» Bien évidemment si cette amère vérité présuppose pour beaucoup qu'il est inévitable de succomber au nécessaire exercice du double langage et que si le fait de dire une chose et de penser son contraire est en politique un art nécessaire qui surdétermine les autres valeurs telles que la Justice ou la vérité. Alors, comme dira l'anthropologue Serge Bouchard «Mentons, mentons, on finira bien un jour par dire par hasard une quelconque vérité». Quand il ne lui arrive pas exceptionnellement dans ses moments de dignité et de révolte d'accoucher de quelque chose de légitime et de consensuel, L'Histoire ressemble davantage à une prostituée qui s'encanaille avec tout le monde et qui produit milles contrevérités. Comment oser parler de vérité alors que les hommes chargés de démêler cet écheveau d'artefacts, de conjectures et de mythes sont malgré eux les premiers instigateurs de tous les malentendus. Il est fou de penser que l'Historien puisse aisément détenir un pouvoir quelconque dans la recherche d'une vérité qui serait une, univoque et indivisible. L'Historien reste complètement démuni et impuissant d'abord face à un pouvoir politique qui détermine et dicte la manière de penser l'histoire et ensuite face à sa propre sensibilité dont il ne peut se départir, d'où ces multiples chapelles qui parasitent l'Historiographie. Gloser sur une objectivité essentielle serait une gageure. Elle est bien malmenée cette vérité que tout ce beau monde prétend servir. Chaque thèse ou vérité débusquée aura inexorablement ses zélateurs et ses détracteurs. Napoléon avoua un jour, inspiré sans nul doute par ses amères pérégrinations et les caprices d'un destin qui ne lui a pas été invariablement favorable «La vérité de l'histoire ne sera probablement pas ce qui a eu lieu, mais seulement ce qui sera raconté. L'histoire est un mensonge que personne ne conteste.» L'une des premières républiques au monde a entamé son règne en ayant recours à un génocide que tout le monde s'empressa d'abord de justifier ensuite d'oublier. Pour l'honneur de la Révolution, la république française se chargera avec dévotion de mettre sous le boisseau les impitoyables exterminations qui eurent lieu pendant les guerres de Vendée et autre Chouannerie à partir de 1791. On peut comprendre que pour des raisons éminemment politiques, la légitimité du pouvoir de l'époque ne pouvait subsister qu'en instaurant un consensus autour d'une certaine idée de la Révolution et de ses acquis afin de jeter les bases d'un Etat unifié et d'une nation indivisible et pacifiée, néanmoins on ne peut que s'étonner comment une forme d'unanimité ait pu se développer avec le concours d'historiens et d'autres penseurs pour procéder méticuleusement au lessivage et au reformatage de la mémoire collective. Que l'on ait exterminé toute une population, Il s'en trouvera forcément des spécialistes pour tempérer notre indignation et qui commenteront habilement cette tragédie à la lumière de la violence extrême et systématique qui caractérisait cette époque ; Des grilles de lecture propres à l'ensemble des révolutions, la notre y compris. Mais que l'on s'interdise bien plus tard intentionnellement sinon ce remord et cette repentance improbables du moins ce souci du doute et de la vérité qui doivent inéluctablement habiter nos consciences, que l'on s'ingénie aussi à fabriquer une nouvelle fibre émotive nationale, une «base de données» mémorielle collective d'où sera défalquée toutes ces réminiscences qui selon les spécialistes de l'ordre ne feront qu'attiser les haines et la division et jeter l'opprobre sur un passé mythique, que l'on refuse enfin au peuple cette sacrosainte vérité aussi sale soit-elle , ce serait là commettre un double crime: assassiner les corps et les mémoires. Comment expliquer et justifier ces milliers de morts de la guerre de Vendée, abcès purulent sur une révolution qu'on voulait garder immaculée et fortement symbolique ? On a donc confié cette tache d'éboueur à l'Historien, c'était désormais lui qui devait procéder au ménage, au décantage et si possible au bidouillage d'une vérité qui puisse corréler à la gloriole de la révolution. Ce fût carrément le Souk: La sous-traitance de la vérité. D'année en année on voyait défiler des écoles et des sous-écoles d'interprétations des événements historiques à tel point qu'on n'arrivait plus à distinguer les bourreaux des victimes. Ce qui subsistait de cette histoire ce ne fut qu'une mémoire parcellaire, circonscrite, confinée, régionale, celle des victimes essentiellement ainsi qu'une vague idée du chiffre des victimes de cette tragédie, un bilan macabre avec lequel les historiens se sont amusés là aussi comme des fous. Ainsi, L'Histoire elle-même consentira à produire une coalition d'hommes, d'historiens, de peintres d'écrivains et un foisonnement de littérature qui essaimeront le mythe d'une Révolution insécable. L'historien Jules Michelet représente l'un de ces courants qui s'est voué au service d'une Histoire aseptisée, dans son « Histoire de la Révolution française», il y déploya un zèle de Jésuite, choisissant ce lyrisme essentiel à une narration lorsqu'elle vise à créer des mythes qui survivent aux hommes, squattent les mémoires et balaient toutes bravades révisionnistes. La contribution de cet Historien émérite fut moins un travail d'érudition qu'une somme apologétique d'une Révolution que l'on voulait garder irréprochable. Créer des mythes c'est en premier lieu le propre des hommes politiques. Farouchement déterminé à ne pas se prêter à ce jeu malsain de farfouiller dans les placards d'un passé glorieux ni à admettre ce «bicéphalisme» propre à toutes les révolutions (Bons révolutionnaires ? Mauvais révolutionnaires), intransigeant même avec toute production artistique à caractère dissident et subversif (1), l'illustre Georges Clémenceau défendra officiellement la thèse d'une Révolution enfermée dans une capsule étanche et isotherme. Pour ce parlementaire « La Révolution française est un bloc, un bloc dont on ne peut rien distraire, parce que la vérité historique ne le permet pas.» Je doute fort que la vérité historique constitue le seul alibi qui nous empêche de décapsuler cette lanterne magique dans laquelle on cache nos Révolutions, c'est plutôt la crainte qu'elles ne s'exposent, une fois désincarcérées, à des coryzas à répétition qui menaceraient leur immunité et leur virginité. Face à une dichotomie tacitement menaçante comme celle de Waldeck Rousseau chef du gouvernement à l'époque, il n'est plus question pour la liberté de penser ni pour la recherche historique de fantasmer sur des vérités en dehors des thèses officielles et orthodoxes, cet homme politique inflexible dira : «Il faut choisir : être avec la Révolution et son esprit ou avec la contre-révolution et contre l'ordre public». Merveilleuse formule que l'on appliqua chez nous après 1962 avec une telle ferveur que notre mémoire collective ressemble aujourd'hui à une marmelade où ne subsiste aucun souvenir, On n'y trouve plus rien de consistant qui puisse permettre de nier ou de réviser quoi que ce soit. Indomptable, la vérité historique n'a pas de maître, n'en déplaise à Clémenceau, la Révolution ne sera jamais un «Bloc» aux yeux de l'histoire. Immédiatement après les massacres de Vendée où une population française sera exterminée par les Français eux-mêmes, une muse bienfaitrice allait inspirer à des voix discordantes de baragouiner prématurément des concepts étranges mais qui allaient permettre à l'Historien d'orienter ses recherches sur une «Terra incognita» , à buter sur des révélations fabuleuses et permettre aussi au Droit de s'inviter dans ce débat et affûter sa terminologie et ses principes juridiques. Le non moins révolutionnaire Gracchus Babeuf sera le premier à évoquer avec virulence la question de «Populicide». Ne dit-on pas toujours qu' «au début était le verbe». La pertinence des mots, le désir de les penser et le courage de les mettre en action, là réside le véritable pouvoir. «Et la lumière fût» Ce désir incompressible ne désertera jamais une intelligentzia française extra-minoritaire quitte à commettre le même sacrilège que celui de Cham et à en subir les conséquences, notamment lorsque certaines postures de l'Histoire prêtent au ridicule. Plus de deux siècles après l'épisode de Babeuf et son néologisme inopportun, l'historien Reynald Secher récidive (2) en réutilisant une nouvelle sémantique à charge d'un passé qui ne passe pas : «Génocide et Mémoricide» un double crime que l'on voit se perpétuer partout, même chez nous et en diverse occasions. Ce qui est significatif dans toutes ces péripéties tragiques et mélodramatiques, ce sont surtout ces maudits invariants inhérents à un dynamisme politique et historiographique fidèle à lui-même. S'appropriant cet héritage mémorable du Crime et de l'Amnésie, la politique coloniale en Algérie empruntera les mêmes stratégies et outils idéologiques : la pratique des massacres à grande échelle, leur justification et l'occultation de l'horreur (Dépopulation-cantonnement-expropriation-enfumades-spoliations-déportations-torture?). Avant de transhumer leur bestialité chez nous, ils avaient affutés leurs armes avec leurs propres concitoyens. Le prélude au génocide Vendéen fût d'abord une propagande servie à une France schizophrénique et assoiffée de sang : «Citoyens! Tuez! Tuez! Massacrez ces bêtes féroces! Détruisez ces germes de la peste? Purgez la terre de cette race infâme? Saisissez-vous de leurs femmes! Ecrasez leurs enfants! Emparez-vous des dépouilles de tous ces êtres perfides! Soyez sans pitié! La République vous y engage! En agissant de la sorte, vous servez l'intérêt supérieur et vous défendez la patrie! N'oubliez pas, citoyens, que ce ne sont pas des hommes que vous avez en face de vous mais des animaux nuisibles qui troublent la tranquillité publique!» (3)Tous ces procédés de diabolisation seront évidemment mis en œuvre chez nous autres barbaresques un demi siècle plus tard et perdureront plus d'un siècle : «La mécanique coloniale d'infériorisation de l'indigène par l'image se met alors en marche...Le vocabulaire de stigmatisation de la sauvagerie? accréditant l'idée d'une sous-humanité stagnante, humanité des confins coloniaux, à la frontière de l'humanité et de l'animalité? N'y a-t-il pas la volonté - délibérée ou inconsciente - de légitimer la brutalité des conquérants en animalisant les conquis ?»(4) Et voilà pourquoi les mémoires et les consciences deviennent imperméables au doute, à la culpabilité, au remord et au souci de la vérité, même quand il s'agit d'un génocide ou de quelques crimes épars. * Universitaire Notes de Renvoi : (1)Le 29 janvier 1891, dénonçant violemment Robespierre et la Terreur, la pièce théâtrale du Dramaturge Victorien Sardou «Thermidor» est censurée. Néanmoins, en dépit de cette offensive liberticide de la part du pouvoir en place, l'Art finira bien par provoquer un scandale à la Chambre des députés, où il réveillera les clivages mémoriels qui façonnent le paysage politique français et opposent opportunistes et radicaux, monarchistes et républicains, droite traditionnelle et droite révolutionnaire. (2)Reynald Secher. «La Vendée-Vengé: le génocide franco-français», 1986 « Vendée : du génocide au mémoricide : Mécanique d'un crime légal contre l'humanité», 2011 (3) Massacres au Mans en 1793, éditions Siloë, 2009. (Sous la direction de)Thierry Trimoreau (4) Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, Le Monde Diplomatique - Août 2000 «Ces zoos humains de la République coloniale» |
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