|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Les chiffres sont
sans appel : pas moins de 66 % des Françaises et Français, interrogés par
l'institut BVA, pensent que les positions du gouvernement de droite «se
rapprochent» aujourd'hui de celles du Front national.
C'est l'enseignement le plus frappant d'un sondage, dont les résultats ont été rendus publics le 23 septembre dernier. La droite, en effet, se radicalise idéologiquement : après le «débat sur l'identité nationale» de l'hiver 2009/2010, maintenant la surenchère nouvelle contre certaines minorités (Roms et «Gens du voyage») et l'offensive démagogique sécuritaire de l'été 20101. Que se passe-t-il dans les têtes des stratèges du gouvernement français ? Hier, une cascade de cris d'alarme et de condamnation était dirigée vers la France, par les instances onusiennes et européennes, sur sa politique de stigmatisation des étrangers et des minorités vivant sur son territoire. Comme si que le gouvernement n'avait rien compris ou retenu de la leçon du passé très récent. Il ouvre, aujourd'hui(1), le débat parlementaire sur la loi Besson sur l'immigration. Une première lecture de ce projet de loi est annoncée houleuse à l'Assemblée nationale. Des mesures sur la déchéance de la nationalité jugées contraires au principe de l'égalité entre les Français, des règles sur l'éloignement considérées comme contradictoires avec la liberté de circulation des personnes et des dispositions draconiennes prévues pour les étrangers malades. La France sortira-elle grandie avec cette réforme détestable, inutile et surtout populiste ? L'été passé, la France avait subi les foudres du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU et la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, sur la montée du racisme et des discriminations en France dans les domaines du logement, du travail et des services et biens. Cet automne, le gouvernement enfonce le clou en se lançant dans un projet de loi qui viole les principes républicains et constitutionnels. Il porte une entorse au principe d'égalité entre les citoyens français et remet en question l'un des droits les plus élémentaires qui est le droit aux soins médicaux. Des amendements visent à réduire considérablement l'attribution des cartes de séjour pour les ressortissants étrangers malades. La régularisation pour raison médicale concerne actuellement les étrangers gravement malades qui ne peuvent effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans leur pays d'origine. L'amendement légaliserait une expulsion de malades au seul motif que les traitements «existent au pays d'origine». Or, dans l'immense majorité des pays, les traitements existent mais l'état sanitaire est souvent déplorable et le suivi médical est insuffisant. Ce qui conduit à l'exclusion de certaines populations souvent pauvres aux traitements appropriés. Le gouvernement prend en compte la seule existence des traitements, mais omet leur réelle accessibilité. Cette réforme vise encore une fois un nouveau groupe de personnes en raison de leur situation sociale pauvre, ce qui rend d'office ce projet de loi immoral et indigne. Le projet de loi transpose trois directives européennes et met en place la «carte bleue européenne» qui constitue le premier titre de séjour ouvrant le même droit dans les 27 pays de l'Union européenne pour les travailleurs hautement qualifiés. En outre, la durée maximale de rétention administrative va passer de 32 à 45 jours pour permettre l'obtention des laissez-passer consulaires et réorganise l'intervention des deux juges compétents en matière de contentieux de l'éloignement : le juge administratif statuera avant le Juge des libertés et de la détention, qui sera saisi au bout de cinq jours pour se prononcer sur le maintien en rétention. Ce point a été très critiqué par les représentants de la société civile car il limite en effet drastiquement le pouvoir de contrôle du Juge des libertés et de la détention (JLD), pourtant garant de la légalité des procédures engagées à l'encontre des étrangers en situation irrégulière lorsque ceux-ci sont interpellés et placés en rétention en vue d'une éventuelle reconduite à la frontière. Pour comprendre le mécanisme de la rétention administrative et de la garde à vue, il faut savoir que deux magistrats interviennent dans la procédure. Le juge administratif vérifie la légalité de la rétention et de la mesure d'éloignement. Conjointement, le JLD était saisi jusqu'ici par le préfet lorsque ce dernier souhaitait un prolongement de la rétention, et s'assurait au passage de la légalité des conditions de l'interpellation. Or, il arrivait fréquemment que le JLD, jugeant ces conditions illégales, remette le retenu en liberté. C'est ce qui s'est passé en septembre 2009 pour les réfugiés de la «jungle» de Calais et en janvier 2010 pour les Kurdes syriens débarqués sur une plage corse. Par ailleurs, pour faire face aux afflux de migrants franchissant la frontière en dehors d'un point de passage frontalier, le préfet pourra créer une zone d'attente reliant le lieu de découverte des migrants au point où sont normalement effectués les contrôles. La déchéance de la nationalité française : La loi Besson veut retirer la nationalité pour certains criminels. Une mesure qui suscite, en France, de vives réactions parmi les juristes. La Constitution française est très claire sur le principe d'égalité et interdit la distinction basée sur l'origine «devant la loi». L'article 1 de la Constitution stipule les principes suivants : «La France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine.» La déchéance de la nationalité est déjà prévue dans l'article 25 du Code civil, pour certains motifs précis et d'une extrême gravité, notamment l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, terrorisme ou pour avoir commis, «au profit d'un État étranger, des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France». Dans une annonce à la presse, Robert Badinter, ancien ministre de la justice et ancien président du Conseil constitutionnel, a estimé qu'«on veut faire des discriminations contre les Français au regard de mêmes crimes, de mêmes infractions, selon l'origine de la personne, selon les modalités d'acquisition de la nationalité française». «C'est contraire à l'esprit républicain... et c'est une faute politique, parce que le cœur du problème, c'est le sentiment de certains de ces Français, que M. Sarkozy appelle d'origine étrangère, de demeurer malgré leur carte d'identité des étrangers de la nation.»(2) Avant de conclure, il est légitime de se poser encore une fois la question de savoir si le gouvernement n'avait pas d'autres chats à fouetter en mettant en place cette énième réforme du droit des étrangers, qui ne servira à rien aux Français et qui vise principalement la chasse aux immigrés qui passent ou transitent sur le territoire français. Que faut-il encore à ce gouvernement pour se remettre au travail sur les vrais dossiers vitaux des citoyens français (les salaires et le pouvoir d'achat, la création d'emplois, le logement et l'accès à la propriété?) et arrêter de lancer des pelles de poussière pour aveugler le peuple et cacher l'échec de la politique économique et sociale du gouvernement ? Que recherchent-t-ils Sarkozy et son gouvernement, avec sa rancœur à l'égard des sans-grades, des immigrés et des laissés pour compte ? Sans aucun doute la diversion. Il est évident que le débat sur les retraites a contrarié un grand nombre de Français. On déploie tous les moyens pour éviter ce sujet. Le président et son gouvernement redoublent d'imagination pour faire passer cette réforme coûte que coûte, quitte à jeter le discrédit sur une partie de la population qui réside en France pour la plupart depuis plusieurs décennies. Le président Sarkozy a commencé sa campagne de 2012 et revient sur les fondamentaux classiques de la droite : immigration et sécurité. Par ces mesures, il a fait tomber la France bien bas aux yeux de la communauté internationale et de l'Union européenne, espère-t-il encore reconduire son mandat aux prochaines présidentielles après avoir fait régresser la France sur le plan des droits de l'homme et des libertés fondamentales et devant un constat économique et social très négatif ? Wait and see ! * Docteur en droit et chargé de cours à l'Institut du développement social à Rouen Notes: - Les fruits pourris du sarkozysme: récolte en vue pour la droite ou le FN ?, article paru le 28 septembre 2010 sur www.visa-isa.org 1- Mardi 28 septembre 2010. 2- Le Point du 2 août 2010. |
|