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Le Festival international de
la bande dessinée (FIDBA) qui se tient en sa 12e édition (du 1er au 5 octobre
2019) à Alger ne manqua pas de provoquer en nous un déclic nostalgique et
réveiller en nous des souvenirs d'adolescence inoubliables par rapport à ce 9e
art. Et pour cause. Nous gardons toujours en mémoire, alors que nous étions
encore tout jeune, deux repères «toponymiques» mémorables que nous allons
évoquer à travers ces lignes : le perron du cinéma «Le Colisée» de la rue des
Frères Benchekra (ex-rue Lamoricière) de Bab El Djiad et le kiosque de Ba'Kouider (Alili) de la place
Emir Abdelkader (ex-place de la Mairie) au lieudit «Blass»
au cœur de la ville.
Après l'indépendance, le cinéma Colisée devint un bien de l'Etat (communal). Des séquences photographiques du film de la semaine ainsi que celui programmé «Prochainement» (sur l'écran) étaient affichées sur deux cadres vitrés dans le hall du cinéma. A l'affiche : défilèrent tour à tour, «Les canons de Navarone» avec Gregory Peck et Anthony Quinn, «L'Araignée» d'Edgar Wallace, «Fantômas» avec Jean Marais, Louis de Funès et Mylène Demongeot, «Dracula» avec Christopher Lee, «La revanche du Sicilien» avec Henri Sylva, «Le fantôme de Soho», «Frankenstein», «L'Orient Express», «Jack l'éventreur», «Le train postal Glasgow-Londres», «Le jour le plus long», «Le dernier samouraï»... Jadis, dans les années soixante, les abords de la salle étaient squattés par les vendeurs à la sauvette de bandes dessinées (Blek le Roc, Zembla, Akim, Mandrake, Capt'ain Swing, Pampa, le Petit Ranger, Kassidy, Ombrax, Kiwi, Rodéo (album), Nevada, Les Pieds Nickelés, Pif, Tom et Jerry, Tintin, Popeye, Bugs Bunny, Pepito... ainsi que les romans-photos tels Satanik, San Antonio, Monte-Carlo, Riviera... ou des romans policiers comme SAS, Chase...). Dans le jargon de l'époque, on utilisait le vocable de «album» (en français) et «k'tabète» (en dialecte arabe) pour désigner les BD ou les illustrés. Trois noms se partageaient cette passion ou plutôt se disputaient ce créneau de bouquinistes informels passionnant : Brahim, le fils de Bar'ièdj (le pittoresque vendeur de jus de citron), Allal (l'auteur de ces lignes) qui s'approvisionnait en «gros» auprès des émigrés (venant de France, outre des Marocains) en vacances à Tlemcen durant la saison estivale et Bouziane le handicapé (cul-de-jatte) de Boudghène à qui nous avions appris le «métier» et ses astuces. Au lieu de faire la manche, ce dernier avait jeté son dévolu sur ce «métier» de bouquiniste en faisant chaque jour la navette pénible entre le «Colisée» au centre-ville et le faubourg Boudghène sur les hauteurs de Tlemcen. Il nous arrivait d'être renfloué en illustrés par notre regretté frère Abdelkrim, cheminot (chef de train principal) qui nous ramenait des BD d'Oujda ainsi que des paquets de chewing-gum américain Clark, très prisés par les consommateurs, que nous vendions parallèlement aux «albums». La fourchette des prix variait de 6 à 12 douros ; on gagnait 2 douros par bédé d'occasion ; le «cartonné», c'est-à-dire l'album (12 Fr) renfermant une pile d'illustrés du même titre, était proposé à 18 douros et plus... Quant aux mordus de la BD, nous citerons Houari Djezzar de Derb El Qtout (qui nous aidait dans notre tâche et nous remplaçait en cas d'absence, tout en gardant le lot d'illustrés chez lui, qu'il «dévorait» à l'œil), Bekkar et Ali de Sidi El Djebbar, Negadi de Derb Sensla, Smahi de Derb Moulay Tayeb, Belhadj Amara de Bab El Hdid, Hamzaoui de El Qalaâ, El Bekkaye de Sidi Chaker, Meziane de Bel Horizon, Kholkhal de Sidi Tahar, Anouar de Derb El Qadi, Benabdelkader de Sidi Saïd, Bouguettaya d'El Eubbad et d'autres dont nous ne souvenons que du visage en tant que fidèles clients... Ne supportant cette intrusion «iconique» chez lui (le 9e art narguant le 7e), le directeur du «Colisée» Si Kara, un ancien détenu (fidaï) nous chassait en criant «Qu'est-ce que cette djoudjqa (foire) !» et n'hésitait pas à appeler à la rescousse la police qui nous saisissait les illustrés étalés sur le trottoir ou sur les escaliers du cinéma quand il n'était pas encore ouvert. Une fois, nous avions dû faire intervenir notre défunt frère Mohammed, qui exerçait au commissariat central de Fekharine pour récupérer notre marchandise saisie par ses collègues... Eu égard au niveau social de l'époque, la recette de la vente des BD d'occasion nous permettait d'acheter les fournitures scolaires... Nonobstant, un mauvais souvenir restera à jamais gravé dans notre mémoire par rapport au cinéma Lux : le péplum «Spartacus» nous valut notre précieuse collection de BD de «Blek le Roc» que nous dûmes brader pour nous acheter un ticket au noir pour voir ce film américain de Stanley Kubrick, sorti en 1960, avec Kirk Douglas, Tony Curtis, Laurence Olivier, Peter Ustinov... Ceci pour le côté cour (informel) ; pour le côté jardin (commercial, nous gardons toujours le souvenir de Ba'Kouider, affable, coiffé de sa chéchia fassia. Majestueusement installé dans son pittoresque kiosque de la place de la Mairie, il s'adonnait avec passion à son métier livresque. Il chérissait sa modeste «librairie», sur les étals de laquelle étaient soigneusement exposés revues (Afrique Asie, Jeune Afrique, Science et vie...), magazines (Elle, Paris Match, Ciné Revue...), illustrés (Blek le Roc, Zembla, Akim, Mandrake, Capt'ain Swing, Pampa, Rangers, Kassidy, Ombrax, Kiwi, Rodéo (album), Nevada, Les Pieds Nickelés, Pif, Tom et Jerry, Tintin, Popeye, Bugs Bunny, Pepito...) et autres journaux (Le Monde, La République, El Moudjahid, Alger Républicain...), ainsi que les romans-photos tels Satanik, San Antonio, Monte-Carlo, Riviera... ou des romans policiers comme SAS, Chase...), sans oublier les cartes postales de «Tlemcen, ville d'art et d'histoire» et les cartes de vœux Spécial «Bonne année». A propos de carte, nous achetions chez Ba'Kouider ainsi que l'épicier du quartier de Bab Ali, Ba' Benamar, les photos d'acteurs américains en vogue à l'époque que nous collectionnions en guise de hobby (passion), notamment ceux des films western, tels Gregory Peck, John Wayne, Henry Fonda, James Stewart, Randolph Scott, Jeff Chandler, Robert Taylor, Kirk Douglas, Antony Quinn, Richard Widmark, Burt Lancaster, Robert Mitchum, Audie Murphy, Lee Marvin, Charles Bronson, Clint Eastwoo, Lee Van Cleef, Robert Ryan...En mordus de la BD, nous étions, faut-il l'avouer, de fidèles «abonnés» chez le regretté Alili qui avait la qualité d'être toujours à jour, pardon à la page. Outre Ba' Kouider, pour acquérir son «PIF» avec son inséparable gadget (bonus), destination Zinou (Cherif Benmoussat) de Bab El Djiad chez qui Mansouria de Derb Sid El Wazane ne ratait aucun numéro, Khelil (ancien maire de Tlemcen) du stade municipal, Zaoui (librairie Chaâb) de Bab El H'did, Bali de Sidi Brahim, Baba Ahmed (librairie Ibn Khaldoun) de Tafrata... Alors qu'au CCF de Tlemcen, un coin était réservé à la BD avec Tintin, Astérix et Obélix... «PIF» et les autres illustrés d'outre-mer furent supplantés par la suite par la BD locale, version SNED, à l'instar de M'quidech, Zid Ya Bouzid, Tim et Sim Sim. De nos montagnes, l'Emir Abdelkader, Cheikh Bouamama, Le plan terreur, Jugurtha, Le fusil chargé, Le secret de la citadelle... Rappelons dans ce contexte que Lazhari La bter, alors directeur des éditions Alpha, également journaliste, poète et écrivain, avait donné en mai 2009 une conférence sur l'histoire de la BD algérienne au CCF de Tlemcen. En marge de sa conférence, il avait organisé et accompagné une exposition présentant les planches de bédéistes algériens et retraçant sa genèse et sa création en 1967 jusqu'à nos jours. «Il devait y avoir un besoin de dire, d'écrire mais de dessiner aussi et les dessinateurs ont senti ce besoin de s'exprimer, d'exprimer leurs révoltes, leurs désirs et leurs aspirations», dira le conférencier. De 88 à 98, tout a reculé. Il faudra attendre le 1er Festival de la BD pour voir l'engouement autour de cet art, le Neuvième Art. Pour sa part, Amine Labter avait animé en janvier 2013, trois jours durant, un atelier de dessin de presse au niveau de l'IFT. Amine Labter, né le 20 février 1981, est diplômé en design graphique de l'École Supérieure des Beaux Arts d'Alger en 2010 et dessinateur de presse. Il a participé à un programme international de l'U.S. Department of State's, International Visitor, Political Cartoonists, aux États-Unis d'Amérique en 2011 et au 1er Concours national de la caricature d'Illizi en 2011, en tant que conférencier et membre du jury. Il a publié un album intitulé Vit'Amine ! aux éditions Lazhari Labter en 2011. Dans ce sillage, et à l'initiative de l'IFT, la librairie Alili de Bab Wahrane avait abrité en mars 2014 un hommage au reporter du Petit Siècle libellé «Tintin ou cinquante ans d'histoire du 20e siècle». Une rétrospective qui avait été animée par Michel Pierre, ex-attaché culturel et conseiller de coopération et d'action culturelle près l'ambassade de France en Algérie, ancien directeur littéraire aux éditions Casterman : «L'histoire est une discipline d'ogre, aussi ce média (qu'est la BD, n.d.l.r.) qui attire des millions de lecteurs mérite bien d'être interrogée par celle-ci ; à travers Tintin, Hergé raconte l'histoire du 20e siècle, il était une éponge de son temps parce qu'il recevait toutes les influences», souligna le conférencier... Il faut savoir que Hergé (1907-1983), pseudonyme de Georges Prosper Remi, est un dessinateur scénariste belge, auteur de Tintin. Il a travaillé au quotidien Le Vingtième Siècle (1929), où il commettait un supplément destiné à la jeunesse, Le Petit Vingtième puis au journal Le Soir (où il change de ligne éditoriale, censure «collaboratrice» oblige)... «A la fin de sa vie, Hergé est dans une ironie désespérée, de lassitude», fit remarquer l'hôte de «Alili». Ce lundi (30 septembre 2019), c'est au tour de Jean-Ives Puyo, professeur à l'Université de Pau (France) d'animer à la librairie Alili une conférence intitulé «Tintin et le merveilleux géographique» (titre d'une de ses publications, n.d.l.r.), à l'invitation de l'IFT. Hormis l'IFT et la librairie «Alili» de Bab Wahran, la BD est tristement absente des étals ; elle est également (et curieusement) boudée (censurée ?) par les bibliothèques scolaires et ignorée par les enseignants. «Nous comptons vulgariser ce genre d'édition chez nous, y compris les mangas, c'est inscrit sur notre agenda», nous confiera Alili Tarik, le gérant de la librairie éponyme. Faut-il redonner ses lettres de noblesse à cet art en Algérie ? |
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