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Une France en déficit économique et politique: Un gouvernement sous fortes contraintes, sans budget ni majorité parlementaire

par Abdelhak Benelhadj

Après avoir perdu les trois scrutins du début de l'été, dont ceux consécutifs à une dissolution de l'Assemblée que le bon sens politique aurait dissuadé d'ordonner, E. Macron un peu désarçonné a mis plus de deux mois à choisir un Premier ministre et un gouvernement fait de bric et de broc pour faire face aux conséquences de ses frasques. Cerné de toutes parts, il court derrière les événements avec des échéances de plus en plus urgentes.

La règle qui a gouverné son été est très simple : « Tout, sauf le Nouveau Front Populaire !».

L'esprit de la Constitution aurait invité, et cela, dès 2022, à l'interruption d'un cycle présidentiel en perte de légitimité et redonner la parole au peuple pour réinitialiser une cohérence politique élémentaire. Hélas ! Ce réflexe n'a jamais été dans les mœurs de ces démocraties représentatives où l'addiction au pouvoir et aux intérêts qu'il sert est la règle. Avril 1969 est une exception.

Les Français paient aujourd'hui au moins trois mandatures très coûteuses à tous égards.

E. Macron reste à l'Elysée avec un objectif majeur, le même qui a présidé à l'arrivée de ses prédécesseurs et qui a justifié son quinquennat et demi en cours : perpétuer une politique économique favorable au capital et à l'intégration de la France dans l'espace européen dominé par l'Allemagne. Le tout surplombé d'une main de fer par les transnationales américaines, la FED, Wall Street et le Pentagone.

Berlin ne veut ni ne peut exclure des membres. Rien ne peut pousser quiconque hors de l'Union et de l'Euroland. Il importe de contrôler le budget des pays excessivement dépensiers comme la France. La réalisation du Rapport Verhofstadt le permettrait dans le cadre d'une Europe réellement fédérale.

Le président français est prêt à concéder ce qu'il peut à tous ceux qui ne compromettraient pas la continuité d'une politique qui bat de l'aile. Mais il est coincé entre Bruxelles, les marchés financiers, le NFP, le RN et un « centre » hétérogène dont il est impossible d'anticiper toutes les réactions. C'est évidemment en cet espace flou que les vents soufflent le plus et produisent le plus d'effets sur les... girouettes (cf. l'immortel et malicieux E. Faure).

Le RN n'existe qu'en vertu de sa capacité de nuisance. « C'est nous qui déciderons si ce gouvernement a oui ou non un avenir », bombe le torse le député RN Jean-Philippe Tanguy sur France inter (AFP, L. 23 septembre 2024)

« Nous allons peser sur ce gouvernement. Nous allons être exigeants, nous allons les pousser à avoir du résultat sur les thématiques ; sécurité, immigration, pouvoir d'achat. Et s'ils ne vont pas dans cette direction, nous prendrons nos responsabilités ». Sébastien Chenu, vice-président du parti RN sur BFMTV/RMC. (AFP, L. 23 septembre 2024)

Certes. Mais le RN a un fusil à un coup. Abattre le régime actuel en censurant le gouvernement, c'est se priver du seul atout qu'il possède et prendrait le risque d'ouvrir sur un avenir indéterminé qu'il ne peut seul maîtriser.

Entre-temps, il peut paraître comme complice d'un gouvernement auquel il prétend « en même temps » s'opposer. Le dosage sera difficile.

En période de basse pression météorologique, on ne se méfie jamais assez des fluctuations erratiques des marchés. Les effets de levier peuvent accuser des retours de bâton aussi imprévisibles que dévastateurs.

Tout le problème sera donc de bien choisir le moment pour tirer la seule balle qu'il a dans le barillet. La balle d'un fusil qui peut se retourner contre l'imprudent qui a appuyé sur la détente. Démonstration.

Antoine Armand, le tout nouveau ministre de l'Economie, énarque, enfant de l'Inspection Générale des Finances, copie conforme de son Président, va lui en offrir l'occasion et l'apprendre à ses dépens.

Marginalisme en politique : Le Pen tire sur la laisse et Barnier s'exécute

Sur France Inter, mardi 24 septembre au matin, il s'est disposé ouvert à collaborer avec tous les partis, « dans l'arc républicain » et ajoute un mot fatal : « Le Rassemblement national contre lequel nous avons été élus, face auquel nous avons fait un front républicain, n'y appartient pas ».

La réaction de Marine Le Pen, ne s'est pas fait attendre. S'adressant directement au chef du gouvernement, elle a haussé le ton. « Quand j'entends M. Armand ce matin qui explique que sa porte sera toujours fermée aux députés du RN alors que nous avons juste le budget qui arrive, je pense que le Premier ministre doit aller expliquer à l'ensemble de ses ministres quelle est la philosophie de son gouvernement, car il semblerait que certains n'aient pas encore totalement compris ».

Pour le compte du RN, en nouveau converti, c'est M. Ciotti qui prescrit au Premier ministre ce qu'il doit faire : « Nous attendons » de Michel Barnier « qu'il désavoue publiquement M. Armand ».

S'ensuit un rappel à l'ordre assorti d'un rétropédalage en règle. Un coup de fil rassurant de Barnier à Le Pen montre comment désormais le pouvoir est administré en France. L'Elysée a-t-il été dans la boucle ?

L'opération n'a échappé ni aux médias qui en ont fait leurs choux gras, ni à gauche. « Il faut vraiment n'avoir aucune dignité pour accepter de se faire recadrer par l'extrême droite sans réagir », se gausse le coordinateur de La France Insoumise Manuel Bompard.

Une ardoise politiquement et économiquement ingérable

L'impôt est le nerf de la guerre. L'Ancien Régime l'a payé d'une révolution la nuit d'un « 04 août ».

« Je voterai une motion de censure s'il y a des impôts qui frappent les Français et les entreprises », Eric Ciotti, l'allié du RN sur RTL.

Malheureusement, Ciotti menace avec une arme dont il ne possède pas le libre usage. Le nombre très réduit des LR qui ont suivi son destin étant très faible, ses capacités de négociation avec M. Le Pen et ses porte-flingues sont très limités.

E. Ciotti (et sa quinzaine de transfuges) fait partie des petits soldats au service du capital. La Côte d'Azur n'est pas le paradis des prolétaires. Ce n'est pas le cas du RN coincé entre son service aux grosses fortunes et sa prétention à servir le bon petit peuple de France menacé par les parasites étrangers qui en veulent à leur sécurité sociale.

Ayant raté son coup (fusionner LR et RN), E. Ciotti serait bien heureux de parvenir à conserver son fief local, dans les Alpes-Maritimes, là où il pourrait espérer y finir ses jours...

Dans les coulisses, les opposants à la hausse de la fiscalité font feu de tout bois, de moins en moins discrètement. Le patronat conscient des enjeux anticipe les hausses pour mieux les maîtriser.

La quadrature du cercle

Le gouvernement Barnier fait face à une équation impossible, coincé entre, d'une part, des besoins de financement largement insatisfaits (éducation, logement, santé, sécurité, retraites, investissement...) et, d'autre part, sommé par Bruxelles et les marchés d'engager des réformes structurelles, c'est-à-dire de mettre un terme au creusement du déficit budgétaire et à l'accroissement de l'endettement en réduisant les budgets sociaux.

Selon la direction générale du Trésor, il sera à plus de 6% du PIB à l'horizon de 2027, très loin des engagements du programme de stabilité d'avril dernier promettant de revenir sous le seuil de la norme maastrichtienne de 3%.

La dette publique française reste aujourd'hui supérieure à 110% du PIB, sans doute bien au-dessus. Le problème n'est pas la dette, mais son usage, sa solvabilité et sa dynamique. D'où le poids des taux d'intérêt qui pénalisent les mauvais gestionnaires des ressources de la nation en alourdissant les services de la dette qui est en train de devenir le premier poste budgétaire français.

Plus que le taux, son différentiel est encore plus déterminant. Ainsi, le spread franco-allemand s'est considérablement accru depuis le début de l'été et les expérimentations hasardeuses de l'Elysée. Cette semaine, le différentiel avec l'Espagne a basculé à l'avantage ibérique. Un comble que les médias proches du pouvoir ont préféré mettre sous silence !

Politiquement, le gouvernement Barnier est menacé de tous côtés, y compris dans ses propres rangs. Les arrière-pensées de certains futurs ex-macronistes tentés par une aventure personnelle et/ou incités à le faire par des forces économiques orthogonales ou adjacentes, ne manquent pas.1

Le jeu est brouillé et tous les acteurs ne sont pas sortis du bois. Dans les tranchées, certains ont montré leurs fusils, d'autres attendent le moment propice. Les candidats se bousculent au portillon. A l'aile droite on a : G. Darmanin, X. Bertrand, G. Attal, E. Philippe, F. Bayrou, L. Wauquiez, B. Le Maire...

Le spectacle dans le prochain hémicycle assurera l'audience et la fortune des tabloïds et autres chaînes d'information continue.

Un jour ou l'autre, quelqu'un se posera à haute voix cette question (qui trotte dans toutes les cervelles) : « Qu'est-ce que donc le Grand Barnier est-il allé faire dans cette galère ? »

On ne comprendra rien à la politique si on ne l'appréhende pas d'abord comme un grand échiquier où les pièces qui se meuvent dessus ne le font jamais de leur propre libre arbitre.

Note

1- Tous les observateurs ont bien compris que l'ancien ministre de l'intérieur, remplacé par un LR qui aurait pu facilement compter parmi les très proches amis de Marine Le Pen, est parti à contre-cœur de la place Beauvau. « Il vaut mieux avoir Gérald (Darmanin) dans sa tente en train de pisser dehors que l'inverse », recommandait un membre de l'ex-majorité (Le Parisien, D. 22 septembre 2024).

Est-ce fortuit que Darmanin se soit rappelé, un jour de passation de pouvoir, lundi 23 septembre, son autre prénom « Moussa » qu'il tient de son grand père harki algérien ?