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Un jour ou l'autre

par Salim Metref

Un ami me disait récemment qu'il ne comprenait pas l'intérêt grandissant que je manifestais pour l'actualité internationale au détriment, selon lui, de l'actualité algérienne qui est d'une densité extrême.

Je lui répondis que ce n'était pas toujours le cas mais qu'il est vrai que cette posture, si c'en est une, me convient parfaitement et m'évite, en tous les cas, les désagréments possibles qu'engendre parfois l'analyse, lorsqu'elle est objective et sans concessions, de l'actualité nationale. Je lui répondis aussi qu'en la matière et à force de lire et de relire le contenu de mes commentaires, je finis par apprendre à les amputer d'éléments sémantiques que je jugeais «subversifs» et à éviter. Je finis donc par m'intéresser aux autres. Oui aux autres qui ne sont pourtant pas des «miens» mais qui ne m'ennuient jamais. Contrairement à mes «proches» qui m'ont déjà expliqué et à maintes reprises, par le passé et à leur manière, de ne plus «écrire n'importe quoi». Alors en usant des mêmes précautions, j'essaye de comprendre cette séquence électorale que nous venons de vivre en Algérie, le cafouillage qui a eu lieu durant l'annonce des résultats qui en sont issus et surtout ce phénomène redondant de désertion d'une partie importante de la population algérienne qui d'élections en élections choisit de rester chez elle.

A l'origine, deux séquences, me semble-t-il, ont catalysé ce phénomène. Elles sont aussi importantes que d'autres qui sont également devenues des marqueurs de l'Algérie post indépendance. La séquence tragique communément appelée «décennie noire» et celle du mouvement populaire connu sous le nom de «hirak». Si la première a drainé dans son sillage son lot de drames, de tragédies et de divisions, la seconde s'est déployée pacifiquement, exhibant à la face du monde l'image d'une Algérie une et indivisible, solidaire et refusant la camisole mortifère du statu quo et qui a suscité, par son caractère bon enfant, l'adhésion et la sympathie de l'opinion internationale.

Le socle commun sur lequel ces deux séquences ont pu, hélas, se construire et se déployer, au moment où personne ne les voyait venir a été, malheureusement et il faut bien le dire, celui de l'arbitraire érigé en mode de gouvernance et cette propension malsaine à taire, y compris en infligeant, les exactions les plus dures aux voix et opinions jugées discordantes.

Ces dernières années, il faut le dire aussi, des efforts réels ont été déployés pour remettre sur de bons rails une Algérie sortie brisée de toutes ces épreuves, malmenée, dans un contexte d'afflux considérable de ressources financières, par une gestion hasardeuse ou la dilapidation de la richesse nationale et son corollaire l'appauvrissement forcé des classes populaires et l'effondrement de la classe moyenne est devenue un véritable leitmotiv.

L'assainissement de l'économie a été entamé et a révélé l'importance des forces de la résistance qui ne juraient que par la «vitalité» du levier de l'importation et de ses dramatiques conséquences comme l'hémorragie, la dilapidation, le gaspillage et l'épuisement de nos ressources en monnaies convertibles. Les résultats n'ont pas toujours été ceux escomptés même si la volonté d'éradiquer la pauvreté grandissante surtout de l'Algérie profonde a existé au cours de ces dernières années ainsi qu'un effort destiné à contenir l'éradication continue du pouvoir d'achat de millions d'Algériens.

La multiplication des points de tension, certains au bord de la rupture, aux frontières de l'Algérie a rendu indispensable et plus que jamais d'actualité, l'impératif du développement et de la montée en puissance d'une armée qui doit garantir aussi bien la sécurité nationale, dans toutes ses dimensions, qu'assurer la sécurité d'un territoire devenu le plus grand d'Afrique. La nécessité d'une économie prospère et d'une armée puissante est une ambition saine devenue incontournable dans un monde bouleversé par la refondation des rapports de forces qui ne laisse aucune place ni aucun répit aux plus faibles et aux plus démunis.

Il est vrai que l'histoire humaine «bégaie», nous enseigne et nous révèle que la misère sociale, la déliquescence économique et le non-droit ont toujours permis l'existence des pires dictatures mais ont enfanté aussi les mouvements révolutionnaires les plus audacieux et ce comme l'expliquent souvent les théoriciens de la révolution permanente qui misent sur l'existence indispensable d'une conscience politique aigue et d'une culture importante, au sein des classes les plus populaires. Ne dit-on pas aussi, il est vrai, que parfois le greffon démocratique est rejeté par un corps social rongé par la corruption et dévasté par la grande pauvreté (qui constituent souvent les deux faces d'une même médaille) et freiné aussi par un puissant appareil bureaucratique rompu aux manœuvres permettant le non changement et générant toujours un sentiment de frustration et de désespoir même chez les plus audacieux et les plus optimistes.

Ce décor planté, quelle explication conférer à ce refus pacifique opposé par des millions d'Algériens à toute participation à un processus électoral et comment comprendre cette situation de repli sur soi de personnes, et c'est la chose la plus dangereuse car potentiellement candidates à d'autres «alternatives», qui ne se sentent plus concernées et pire sont en franche rupture avec ce sentiment d'appartenance à un peuple et à un pays. «Circuler y'a rien à voir» ne doit, en aucun cas, pas être la posture idéale à adopter ni celle aussi de «faire le dos rond» en attendant que le vent se calme et que s'installe de nouveau le silence. Le silence, c'est comme celui des cimetières. C'est souvent la colère rangée à plus tard et c'est toujours le feu qui couve sous les cendres.

La prospérité est nécessaire et indispensable et doit être à l'image d'un pays aussi riche et immense que l'Algérie. La prospérité doit être pour tous par l'impératif de son partage équitable pour que tous les Algériens et Algériennes en profitent et exclusivement. Cette prospérité sera bâtie grâce au levier de l'économie puissante mais aussi par l'assèchement définitif des canaux de la dilapidation de la richesse nationale. Cette prospérité partagée sera, aussi, consolidée par l'éradication du non-droit et par la protection de la loi. Les défis sécuritaires sont réels et seront, à court et moyen termes, très importants. Des parties n'aimant l'Algérie que saignante y travaillent avec acharnement et sans relâche. Il faut admettre cette réalité dans un monde au bord de la déflagration globale et s'y préparer en favorisant, sans hésiter la montée en puissance d'une armée garante de la sécurité nationale. Mais cette rupture d'une importante partie de la population algérienne avec la politique comme cadre légal et pacifique d'expression des idées et de combat légitime pour l'accession et l'alternance politique au pouvoir, doit rester une préoccupation permanente qui nécessite en urgence que le débat national soit installé, sur toutes les questions d'intérêt commun qui doivent être enrichies par la contribution de toutes et de tous, notamment celles qui engagent l'avenir des plus jeunes et des générations futures. Ce débat national, conduit par un peuple qui a démontré récemment encore, son attachement à la paix civile et à l'unité nationale, est nécessaire et permettra de renouer avec le dialogue, d'apaiser les colères, de consolider le sentiment d'appartenance, à ce pays de légende et surtout de réconcilier de façon définitive ces Algériens absents de tout processus électoral avec la politique et la participation. Plus que jamais l'ouverture de tous les medias aux débats est nécessaire, tout comme l'ouverture pure et simple du champ politique. Pourquoi continuer de priver l'Algérie de l'apport d'une élite algérienne, y compris politique, qui ne souhaite que proposer des idées pour faire avancer ce pays.

Si la contribution des Algériens établis à l'étranger, notamment celle de son segment patriotique, est nécessaire et doit, comme le font actuellement les pouvoirs publics, être encouragée, le retour au pays de ceux qui pour diverses raisons ont choisi le chemin de l'exil est à envisager et à réaliser. Il y a des moments dans l'histoire d'un pays, comme l'apparition de points de bascule comme la nécessité d'un front interne qu'il faut consolider face aux défis multiples qui s'annoncent ou la promulgation d'une amnistie politique générale est nécessaire et souhaitable.

Oui, beaucoup de ces Algériens qui ont préféré rester chez eux le jour de l'élection veulent juste vivre libres et heureux dans ce pays qui leur est cher. Et souvent, ils n'ont en pas d'autre de rechange. Et comme disait l'autre, entre être libre d'exprimer une opinion différente et d'être contre et être libre de dilapider les richesses d'un pays, le délit et le crime sont vite démasqués.