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El Mordjane : et si l'Algérie misait gros pour soutenir cette entreprise et en tirer profit ? La pâte à tartiner algérienne qui fait sensation en France et sur les réseaux sociaux

par Nabil Mati*

Depuis quelques semaines, El Mordjane, une marque algérienne de pâte à tartiner produite par l'entreprise familiale CEBON, connaît un succès retentissant. Cette pâte à tartiner à la crème de noisettes grillées, au goût évoquant le célèbre Kinder Bueno, a captivé l'attention des réseaux sociaux et des médias, notamment en France, où elle est devenue un véritable phénomène.

Articles de presse, influenceurs et chaînes de télévision françaises se demandent d'où vient ce produit et pourquoi il suscite un tel engouement, alors même qu'il est commercialisé en France depuis plusieurs années.

Fondée en 1997, l'entreprise familiale CEBON a su s'imposer sur le marché grâce à la qualité de ses produits, appréciés tant par les professionnels que par les amateurs de pâtisserie. Le pot de 700 grammes de pâte à tartiner El Mordjane, vendu initialement à 8,50 € en France, a vu son prix grimper à 12,99 €, voire 13,99 €, selon certaines boutiques en ligne. Cette flambée des prix a suscité un vif intérêt sur les réseaux sociaux, offrant à la marque une publicité massive et gratuite, mais soulevant également des questions sur le décalage tarifaire avec les prix en Algérie.

Pour répondre à la demande croissante, CEBON a décidé de lancer sa propre boutique en ligne afin d'élargir sa présence internationale. Selon Amine Ouzlifi, porte-parole de la marque, El Mordjane est déjà exportée dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le Canada, et bien sûr la France, et ambitionne de s'étendre encore plus largement à l'échelle mondiale.

Cependant, un obstacle inattendu est venu freiner cette expansion : El Mordjane est désormais interdite à la vente en Europe en raison du non-respect de la législation européenne sur les produits contenant du lait. Mustapha Zebdi, responsable du dossier, explique que l'article 20, troisième alinéa, du règlement n°2202/2292 de l'Union européenne impose des conditions strictes pour l'importation de ces produits dans l'UE.

L'Algérie, ne faisant pas partie des pays autorisés à exporter des produits laitiers vers l'Europe, n'a pas encore mis en place «un plan de contrôle des substances pharmacologiquement actives, des pesticides et des contaminants approuvé par la Commission».

Malgré cet obstacle, le succès d'El Mordjane pourrait être encore amplifié avec un soutien accru des autorités algériennes, notamment du ministère du Commerce, et l'encadrement d'experts en droits commerciaux.

Renforcer les capacités commerciales et stratégiques de l'entreprise, en mobilisant des commerciaux et négociateurs compétents pour établir des partenariats internationaux solides, tout en évitant les pièges parfois tendus par l'Union européenne sous l'influence de certains lobbies, pourrait permettre à El Mordjane de franchir de nouveaux paliers. En agissant ainsi, cette entreprise pourrait inspirer d'autres entreprises algériennes à suivre son exemple, contribuant ainsi à créer un écosystème entrepreneurial plus compétitif à l'échelle mondiale.

L'exemple de Ferrero, l'entreprise italienne fondée en 1946, illustre parfaitement le potentiel d'une telle stratégie : avec sa célèbre marque Nutella, Ferrero a atteint un chiffre d'affaires de 17 milliards d'euros en 2023. Cet exemple prouve qu'avec des stratégies appropriées, un positionnement efficace et un soutien collectif, les entreprises peuvent croître de manière spectaculaire et s'imposer sur la scène internationale.

Dans un contexte où l'Algérie cherche à diversifier ses sources de revenus au-delà des hydrocarbures, des succès comme celui d'El Mordjane devraient encourager une réflexion économique plus innovante. Les outils et stratégies du passé ne suffisent plus : une simple vidéo postée en ligne a suffi à faire le buzz autour de cette marque, démontrant l'importance de tirer pleinement parti des nouvelles opportunités numériques. Il est essentiel de capitaliser sur ces dynamiques pour renforcer notre tissu économique et favoriser l'émergence d'entreprises algériennes capables de se démarquer sur le marché mondial.

*L'École des Hautes Études des Sciences Sociales de Paris