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Rien ne dure, tout est éphémère

par El Yazid Dib

Mais où sont donc passés ces privilèges, ces passe-droits, ces rangs protocolaires? Ont-ils été d'un quelconque crédit absolutoire pour leurs récipiendaires? Ces gens ayant formé une caste de saints publics pensèrent, par ivresse de poste, que l'avantage d'un titre est un don du ciel, qu'il arrive à les affranchir de tout aléa, de pérenniser le statut.

Après tant de beauté de vie, d'extase viatique et d'appropriation luxueuse, on ne les retrouvera, inévitablement que dans les trois dimensions territoriales auxquelles, ils seront affectés. Tout ne finira pas comme il a bien débuté. Parfois pire. Les difficultés arrivent toujours en fin de parcours, malgré les couacs enivrants de son entame. Il y a la descente aux abysses judiciaires et l'incroyabilité de la barre d'accusation. Il y a la navette hospitalière, le circuit sanitaire d'un labo à un autre et les impitoyables soubresauts d'une amnésie ou d'un cœur à l'arrêt. Il y a finalement l'espace sépulcral, ce p'tit creux de terrain qui reste, en finalité, une destination obligatoire. D'ailleurs pour tous.

Ainsi, où l'on se résigne au froid des cellules et aux lueurs du parloir, ou l'on circambule d'une ambulance à une autre, sous résidence sanitaire, ou l'on ne sent plus les vers festoyant sur un corps cadavérique sans écriteau, tout juste au-dessous d'une pierre tombale sans mention fonctionnelle.

Rares sont ceux qui s'en sortent avec moindres dégâts. Ceux-là, se recroquevillent dans un isolement effroyable, redécouvrent la chaleur familiale si elle n'est pas déjà éteinte et se remettent à une dévotion tardive sans limites. On a tous su ou vu des sommités finir, des richesses s'évanouir, des hauteurs s'aplatir et des grandeurs s'amincir. Rien ne résiste aux attraits de la chute quand l'on perd de la tête, au moment de l'apogée. On s'oublie dans la liesse de l'instant, on s'aveugle et on croit à l'éternité.

Même les gloires les plus scintillantes sont condamnées à n'être que des poussières de souvenirs. Tout comme les grandes civilisations, elles portent dès leur épanouissement euphorique, en leur propre progrès, tous les ingrédients de leur dépérissement. Que sont devenus les Pharaons? Des momies ordinaires. Les ministres zélés, les walis fanfarons, les sénateurs et députés contrefaits, les décideurs crâneurs? Des noms oubliés, à peine à épeler. Il ne reste, à vrai dire, à défaut de légende pour certains, que de clauques clichés pour les autres.

Les mythes s'effondrent une fois la réalité est toute nue. Les empires s'effritent, comme des châteaux de sable à mesure que disparaissent les barons et les entremetteurs du système.

Said n'est plus ainsi un sésame infaillible encore moins une épée tranchante. Un temps, il faisait la pluie et le beau temps. Bien d'autres firent autant.

L'histoire n'est pas un dépotoir pour retenir l'abjection, l'orgueil ou la puanteur de l'âme. Seules les bonnes œuvres survivent, sinon le reste s'évapore tel un pet en pleine nature. Alors que retenir de ce radieux passage éphémère? Viendra ce jour tant craint où il n'y aura plus de gyrophares, plus d'audience, plus de jus et l'on aura en face de soi que soi-même.