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Il y a
pesanteur et apesanteur. Je ne sais laquelle des deux qui a ce pouvoir
d'écraser l'être dans son vaste cosmos. Seule une amie qui en a les droits
d'auteur pourrait nous l'expliquer. Quant à moi, je crois qu'à un certain âge,
il ne faut plus compter d'escalader l'Himalaya ou faire monter une bonbonne de
gaz butane au cinquième étage. Chaque âge a ses muscles. Un temps tout se
ramollit, un autre tout se fragilise. Même le regard ne porte plus à l'horizon,
quand bien même à bout d'œil on ne lit plus, on ne fait que déchiffrer. Quand
le moteur a des à-coups ou éjecte des pouls en raté, la crémaillère qui se
grippe, les rotules qui claquent, le radiateur qui ne gère aucune glycémie, la
suspension qui se cahote, c'est que l'engin est en panne et devra aller se
garer dans les arrêts du terminus.
Quand la génuflexion t'handicape et que tu ne trouves ta foi que sur un tabouret ou que la phobie des escaliers sans rampe te crève les genoux, il n'y a pas lieu d'espérer le salut de l'ultime effort. Caresser pieusement une pierre polie par défaite d'ablutions aquatiques est ce symptôme que l'on n'a pas l'eau à fleur de peau. Quand ta trousse de pilules, de gélules, de seringues devient ton inséparable acolyte, il ne faut plus se croire dans le record olympique. Le poids des jours est comme l'haltérophilie, à un moment on échoue devant la barre du temps, tant à l'arraché qu'à l'épaulé-jeté. Quand la carcasse vibre au moindre mouvement thermique et la tête qui tourne au plus doux vacarme ou la marche qui ne chemine qu'au ralenti, n'est-il pas utile de comprendre ce langage organique et ne pas se laisser dire que tout sera comme avant. Quand tout matin n'est qu'un éternel recommencement nu et sans décors et qu'au réveil tout craque, tout grince, là chaque bon geste est digne d'une médaille d'or, que l'on dirait sortir vainqueur d'une épreuve de lutte gréco-romaine. Criez hourra ! Quand le rêve n'est que cette scène où tu te vois voler très haut comme un vieil aigle dont les ailes faiblissent en plein vol, ou tu te vois submergé par des vagues déferlantes ou batailler avec des ogres, sans quitter ce sommier devenu un catafalque indésirable, quand l'approche de la nuit te fait plus peur que le coucher du soleil dis-toi que Dieu a créé un jour après chaque jour. C'est ainsi que l'on doit toujours s'accrocher au fil de l'espoir que donne ce nouveau jour pour un jour de gagné encore. La vie, sans ses épines, c'est comme la rose, elle n'aurait aucun arôme. Il n'y a de beauté sublime que dans l'instant que l'on vit peu importe sa pesanteur. Aucun cycle n'est immuable, aucun temps n'est semblable à un autre, et c'est bizarre que ce sont les jours de fête qui sont toujours des jours fériés. Quand l'automne se pointe, le vieil arbre ne craint pas la chute des feuilles, mais appréhende le souffle du vent qui pourrait le déraciner. |
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