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Comment
l'Europe qui se trouvait au bon endroit et au bon moment a pu tirer un
formidable profit de sa révolution industrielle du XVIIIe et XIXe siècle pour
se développer et s'étendre sur le monde ? Cette expansion s'est soldée par une
domination sur les trois-quarts de l'humanité : le continent américain
(Amérique du Nord et du Sud), l'Australie, l'Afrique, le monde islamique et une
grande partie de l'Asie.
Pareillement, le monde de l'islam va se trouver au bon endroit et au bon moment pour changer le rapport des forces dans le monde. Comment cette transformation a-t-elle pu s'opérer ? Comment le monde islamique qui venait d'accéder à l'indépendance dans les années 1950 et 1960, dépendant de tout sur le plan économique de l'Occident, de l'URSS et de la Chine, qui ne produit que des matières premières et du pétrole, va moins de trente ans plus tard influer sur la marche de l'Histoire ? Dans une étude confidentielle (déclassifiée en 1979) publiée le 14 février 1946 par le service militaire de renseignement du Département américain de la Défense, il est dit : «À de rares exceptions près, les États [du monde musulman] sont marqués par la pauvreté, l'ignorance et la stagnation. Ce monde est plein de mécontentement et de frustration, mais aussi d'une conscience exacerbée de son infériorité et de détermination à obtenir certaines améliorations. Deux aspirations fondamentales s'opposent ici de front, et cette confrontation est génératrice de conflit. Ces aspirations se révélèrent dans les comptes rendus quotidiens de tueries et d'actes de terrorisme, de groupes de pression dans l'opposition ainsi que de nationalisme brut et d'expansionnisme pur présentés comme des manœuvres diplomatiques.» Le rapport explique ensuite ces deux aspirations et commence, à juste titre, par se concentrer sur le lourd contentieux hérité de l'époque pré-moderne. «La première de celles-ci, c'est la puissance qui fut la leur et qui leur permit non seulement de régner sur leurs propres terres, mais aussi de vaincre la moitié de l'Europe. Et ils souffrent de constater leur dénuement économique, culturel et militaire actuel. Ainsi, leur conscience collective est soumise à une pression croissante. Les Musulmans veulent reconquérir leur indépendance politique par tous les moyens possibles et tirer eux-mêmes profit de leurs propres ressources. (...) Bref, la région est affligée d'un complexe d'infériorité, et ses actes sont aussi imprévisibles que ceux de tout individu sujet à de telles motivations.» L'autre aspiration fondamentale est d'origine externe. «Les grandes puissances et celles qui le sont presque couvrent les richesses économiques de la région musulmane et veillent aussi sur certains de ses points stratégiques. Leurs actes sont également difficilement prévisibles, car chacune de ces puissances se trouve dans la position d'un client qui s'empresse de faire ses achats parce qu'il sait que la boutique va être cambriolée sous peu. Dans une atmosphère aussi saturée des gaz inflammables que sont la méfiance et l'ambition, la moindre étincelle pourrait provoquer une explosion touchant tous les pays impliqués dans le maintien de la paix mondiale.» L'introduction conclut par une justification de cette analyse : «Une bonne compréhension du monde musulman ainsi que des tensions et des contraintes qu'il subit est donc u n élément indispensable du travail de base des services de renseignement». Précisément, les pays arabes se trouvent dès leur indépendance confrontés à la compétition Est et Ouest et à l'implantation de l'Etat d'Israël par la force en Palestine, en 1948. Très en retard sur le plan économique et industriel suite à la longue nuit colonisatrice, ils ne pouvaient apporter une réponse ferme aux deux grandes puissances, les États-Unis et l'Union soviétique, sortis vainqueurs du Deuxième Conflit mondial. D'autre part, la division des pays arabes en régimes monarchiques, alliés des États-Unis, et en régimes nationalistes, alliés à l'Union soviétique, ne favorisait pas leur unité. Les États-Unis avec les pays monarchiques arabes qui ont instrumentalisé l'islam politique sunnite, ont cherché à endiguer l'influence de l'Union soviétique de plus en plus présente au Proche et Moyen-Orient et au Maghreb. Cette stratégie mena en février 1979 à la révolution iranienne, qui a provoqué le départ en exil du shah d'Iran Mohammad Reza Pahlavi, renversant l'État impérial d'Iran de la dynastie Pahlavi, et transformant l'Iran en république islamique. Par crainte de la propagation de l'islam politique sur ses républiques en Asie centrale, l'URSS envahit et occupa l'Afghanistan en 1979 pour sauver de l'effondrement le gouvernement communiste afghan, puis doit faire face aux moudjahidines, qui reçoivent dans une logique de guerre froide une grande aide de la part des États-Unis, du Pakistan, de l'Iran et de l'Arabie saoudite. De même, l'islam politique sunnite sera utilisé par les États-Unis pour déstabiliser les pays arabes nationalistes ; ainsi d'une pierre deux coups, les Américains s'activeront à endiguer le communisme, donc de mettre fin à la convoitise de l'URSS sur les plus grands gisements de pétrole du monde islamique et protéger les pays monarchiques arabes des idées progressistes des pays nationalistes sunnites. L'utilisation de l'islam politique, avec le soutien des États-Unis, a déjà été utilisée en Indonésie au milieu des années 1960 pour éradiquer le communisme. Ce qui s'est passé en Indonésie se poursuivra au Proche et au Moyen-Orient, surtout avec la débâcle militaire américaine au Vietnam et la quatrième guerre israélo-arabe, en octobre 1973, qui s'est terminée par la demi-victoire de l'Egypte sur Israël. Avec cette guerre qui s'est mal terminée et c'est surtout l'aide militaire massive des États-Unis qui a sauvé l'État hébreu de la débâcle, les Américains ont compris qu'il faut désengager l'Égypte du front arabe. Précisément, la défection de l'Égypte obtenue par les États-Unis, par la promesse du retour du Sinaï, d'une aide financière américaine annuelle et d'un accord de paix avec Israël porta un rude coup à la cohésion du front arabe. Le front nationaliste arabe, affaibli par la défection de l'Égypte, devenu le «front de fermeté», s'il ne sera plus opérant face à Israël, une nouvelle carte plus redoutable émergera contre Israël et les États-Unis. C'est l'avènement, en février 1979, de la république islamique d'Iran qui constituera un adversaire de poids face à Israël et aux États-Unis. Ce qui nous fait dire que l'«islam politique» incarné par l'Iran prolonge ce qu'ont été les guerres israélo-arabes ; comme si la Nature a horreur du vide ; rappelons qu'environ 800 000 Arabes palestiniens ont fui ou ont été chassé de la Palestine, en 1947 et durant la première guerre israélo-arabe, en 1948. Donc la cause du peuple palestinien reste entière ; on comprend dès lors pourquoi l'islam politique chiite a pris le relais de l'islam politique sunnite. Force de dire que l'islam politique sunnite ou chiite constitue un «contingent de la Raison dans l'histoire.» (1) La question qui se pose : «Pourquoi l'islam politique a joué un rôle central dans la marche de l'histoire, dans les années post-1945 ? Et quelles sont les causes ou plutôt la cause qui l'a élevé en force idéologique centrale dans les transformations du monde ?» D'avance doit on répondre que la réponse ne vient ni de la guerre froide entre les deux Grands ni de l'implantation de l'État d'Israël en Palestine. La cause est la richesse naturelle des sous-sols des régions des pays du monde musulman, au Proche et Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Pensons ce qui serait arrivé «si les grands gisements de pétrole de ces régions n'avaient pas existé ?» Ces régions n'auraient eu aucun intérêt pour les grandes puissances. Hitlern'aurait pas chargé Rommel à mener une campagne militaire en Afrique du Nord pour déloger les Anglais du Proche-Orient. Il n'y aurait pas eu de rencontre entre le président des États-Unis Franklin Roosevelt, de retour de la conférence de Yalta, en Crimée, et le roi ibn Saoud, d'Arabie saoudite, le 14 février 1945, à bord du croiseur USS Quincy (CA-71). Donc, pas de Pacte de Quincy qui stipule la protection de la monarchie saoudienne en échange de l'exploitation du pétrole saoudien par les États-Unis. Sans le pétrole, le monde musulman du Proche et du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord serait resté pauvre. La guerre froide se serait jouée ailleurs. De même, créer un État d'Israël en Palestine n'aurait pas eu de sens puisqu'il n'aurait entraîné que des conflits avec les pays arabes ; l'Occident aurait été indifférent sur cette région puisque, sans gains à retirer par sa pauvreté, elle ne constituerait pas une région géostratégique. On comprend pourquoi les grands gisements de pétrole de cette région du monde ont été la cause dans l'utilisation de l'islam politique à des fins stratégiques dans la guerre froide ; c'est pourquoi la présence des grands gisements de pétrole constitue un autre «contingent de la Raison dans l'histoire». Se comprend aussi pourquoi la création de l'État d'Israël, en 1948, a été d'une grande importance tant pour les États-Unis que pour l'Union soviétique, les deux grandes puissances convoitaient cette région très riche en pétrole. *Chercheur Note : 1. «La Raison dans l'Histoire», par G. W. F. Hegel (publié en 1837) «L'idée que la Raison gouverne le monde et que, par conséquent l'histoire universelle s'est elle aussi déroulée rationnellement. [...] La Raison est la substance, la puissance infinie, la matière infinie de toute vie naturelle ou spirituelle, - et aussi la forme infinie la réalisation de son propre contenu. Elle est la substance c'est-à-dire ce par quoi et en quoi toute réalité trouve son être et sa consistance. [...] La contingence est la même chose que la nécessité extérieure : une nécessité qui se ramène à des causes qui d'elles-mêmes ne sont que des circonstances externes. Nous devons chercher dans l'histoire un but universel, le but final du monde non un but particulier de l'esprit subjectif ou du sentiment humain. Nous devons le saisir avec la raison car la raison ne peut trouver de l'intérêt dans aucun but particulier, mais seulement dans le but absolu. [...] Il faut apporter à l'histoire la foi et l'idée que le monde du vouloir n'est pas livré au hasard. Une fin ultime domine la vie des peuples ; la Raison es présente dans l'histoire universelle non la raison subjective, particulière, mais la Raison divine, absolue : voilà les vérités que nous présupposons ici.» |
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