|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
«Ils créeront eux-mêmes les
virus et vous vendront les antidotes. Par la suite, ils feront semblant de
prendre du temps pour trouver la solution alors qu'ils l'ont déjà». Paroles de
Kadhafi, il y a quelques années.
La fin du vingtième siècle a été marquée incontestablement par l'effondrement des idéologies matérialistes (socialisme et capitalisme) et le sursaut des religions monothéistes. L'extrême concentration du pouvoir politique dans le bloc socialiste a suscité le déclin du communisme. L'extrême concentration des richesses à l'intérieur de l'Occident va provoquer la chute du capitalisme. La société moderne mondialisée est devenue «un troupeau de consommateurs infantilisés» par un marketing ravageur omniprésent et omnipotent. Les gouvernants apparaissent dès lors comme les gérants d'inégalités sociales et des distributeurs de privilèges, entretenant avec la population des rapports de méfiance et de suspicion car dans la frénésie de la consommation, les ambitions et les calculs de chacun l'emportent sur les obligations traditionnelles de solidarité. La soif de l'enrichissement, l'attrait et le poids des modèles importés, le goût du confort et de la facilité, l'environnement international ont contribué à faire de l'Etat en Algérie, une parodie ou un pâle reflet de l'Etat moderne. On est frappé par le développement du sentiment ethnique, régionaliste ou religieux au fur et à mesure que l'Etat se montre inefficient, déliquescent, incapable de répondre aux aspirations et aux besoins des masses. La religion, l'ethnie ou la région apparaissent comme des refuges pour les masses populaires désespérées et comme voie de recours conduisant à l'Etat, c'est-à-dire au partage des avantages et bienfaits du pouvoir. C'est parce que l'étatisme, au sens de l'absorption de la société par l'Etat, a échoué que le pouvoir a sécrété le tribalisme, l'intégrisme et le régionalisme. La coexistence de la misère et de l'abondance devient chaque jour plus intolérante et l'on assiste à des pressions de plus en plus fortes à des revendications visant à une redistribution plus égalitaire des revenus. Des populations, se sentant abandonnées à elles-mêmes, n'ont plus aucun intérêt à l'Etat. Le pouvoir ne leur apparaît plus crédible, il ne satisfait pas à leurs besoins. La promesse d'un développement égalitaire pour tous n'a pas été tenue parce que les ressources du pays ont été dilapidées dans des projets grandioses sans impact sur la création d'emplois productifs durables et sur le développement de l'économie en dehors du secteur des hydrocarbures. Cinquante ans après l'indépendance, l'Algérie dépend à 98% des revenus des exportations du gaz et du pétrole. L'Algérie est-elle condamnée à la fatalité d'un pouvoir fort de la dictature ? La dictature pourquoi faire ? Pour construire l'Etat ? Pour assurer le développement ? On le prétend mais elle ne bénéficie qu'à une infime minorité. Quant à la démocratie, qui la réclame ? Des intellectuels en mal de reconnaissance à la fin de leur carrière dite professionnelle ? Des anciens commis de l'Etat qui rêvent de revenir aux affaires avant de s'éteindre ? La génération de l'indépendance qui manque d'expérience dans l'exercice du pouvoir ? Une population infantilisée qui court derrière le sachet de lait (mal dosé) produit à partir d'une poudre importée ? Des notables qui ne sont pas sortis du douar pour prétendre rentrer dans la cité ? Des leaders non charismatiques de partis dits d'opposition, sans ancrage populaire, sans programme alternatif, sans conviction idéologique ou religieuse affirmée vivant des subventions de l'Etat ? Des affairistes qui cherchent à blanchir de l'argent mal acquis ? Des pseudo-industriels qui courent derrière une amnistie fiscale ? Des hauts fonctionnaires qui veulent se perpétuer dans leurs fonctions officielles malgré leur âge avancé ? Des jeunes universitaires qui veulent s'investir dans la politique pour s'accomplir et/ou s'enrichir ? La génération de l'indépendance qui revendique le pouvoir longtemps accaparé par la génération de novembre. La démocratie ne se construit ni avec des chars, ni avec des fleurs, ni avec des paroles mais avec des actes quotidiens de tous et de chacun par l'instruction civique, l'ouverture d'esprit, l'acceptation de l'autre. Et cela commence à l'école avant de s'étendre au reste de la société. Il s'agit de penser globalement et d'agir localement. C'est une œuvre de longue haleine qui exige patience, ténacité et discernement. La génération de novembre est usée et la jeunesse cadenassée. Cette œuvre salutaire n'est pas exempte de toute embûche, déviation ou perte de valeurs et d'identité. Sur un autre plan, l'histoire et la culture des sociétés maghrébines patriarcales favorisent-elles l'instauration d'une démocratie moderne en Afrique du Nord ? N'est-ce pas une utopie pour un peuple qui ne survit que grâce aux subventions de l'Etat et des revenus distribués par l'Etat sans contrepartie productive ? Cette dépendance totale de la société à l'égard de l'Etat providence n'est-elle pas un obstacle majeur à la construction d'une démocratie ? L'Etat est-il ce «veau d'or» qui, par sa puissance et son omniprésence, résout tous les problèmes matériels d'une société en perdition ? En imposant donc au cours de la colonisation des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société africaine, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l'échec de la modernisation politique. D'autant plus qu'il manque aux institutions de cette dernière société la dimension mythologique, très conscientisée en Occident, qui sert à les faire fonctionner. C'est pourquoi, ces institutions ressemblent à des outils rouillés, abandonnés sur le chantier d'une exploitation minière à ciel ouvert, et qui s'avèrent inadaptées pour mettre en œuvre le développement de l'Afrique et du monde arabe. Dans ce contexte, on cherche un recours, un point d'appui, un espoir. Entre les valeurs traditionnelles perdues et les valeurs modernes mal assimilées, les sociétés arabes se recherchent, victimes du paradigme consumériste occidental et les pesanteurs sociologiques du passé. Elles n'arrivent ni à assumer leur passé glorieux ni à se frayer un chemin parmi les nations modernes. Les désillusions du progrès gagnent de plus en plus les esprits. Le refuge dans la religion musulmane apparaît plus plausible que le consumérisme occidental. Des populations entières se trouvent désemparées, n'ont plus de repère. Les voici, de plus en plus nombreuses, au milieu du gué menaçant de s'écrouler, ayant abandonné les acquis de la société traditionnelle sans avoir accédé aux promesses de la société occidentale. Sur les rives des sociétés occidentales, il reste peu de monde. Une minorité de privilégiés a pu traverser physiquement ou matériellement le fleuve sans pour autant être intégrée dans la société occidentale et sans pouvoir jouer localement le rôle dynamisant de la bourgeoisie occidentale. Mais l'ensemble des populations est au milieu du gué, se bousculant pour échapper aux tourbillons et aux courants. La frustration s'empare d'un nombre croissant d'individus qui oscillent entre la révolte et le rejet. C'est l'impasse. Entre les bienfaits terrestres hypothétiques et les valeurs religieuses intangibles, le choix devient clair. Faute de bonheur à l'aune des biens consommés, c'est la soif d'absolu qui l'emporte. Il ne s'agit pas non plus de se complaire dans un autoritarisme stérile du pouvoir, et de voir dériver sans réagir la société vers un fatalisme religieux mais de se frayer un chemin vers plus de liberté, de justice et de dignité dans un monde sans état d'âme en perpétuelle évolution où le fort du moment impose sa solution au plus faible. Entre la rigueur islamique et les libertés laïques, le monde arabe se recherche. La planète Terre se trouve prise en tenaille entre un Etat monde unipolaire laïque gouverné par les lois de l'homme et un Etat monde unipolaire religieux inspiré des lois divines. L'un suppose la disparition des Etats-nations, l'autre la création d'un clergé musulman. La première pêche par l'uniformisation des nations et la seconde par l'absence de clergé dans l'islam. Pour un profane, un Etat de droit est un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit constitutionnel et non à la volonté des gouvernants. C'est une architecture intellectuelle des citoyens libres et égaux devant la loi. En terre d'islam, la démocratie est-elle donc une utopie ? La laïcité sera-t-elle une condition sine qua non de la démocratie ? L'islam empêche-t-il véritablement les peuples arabes et musulmans de disposer librement de leur destin ? La réponse nous semble être dans ce proverbe : «Dieu nous donne des mains, mais ne bâtit pas les ponts». Au lieu de se rapprocher, les peuples se sont éloignés, ils ont tracé des frontières délimitant les territoires, pourtant la terre est une, l'humanité est une, Dieu est un. Au lieu de s'élever son âme, il s'est rabaissé. Au lieu de construire des ponts, il a dressé des murs. Il a créé des Etats-nations pour diviser l'humanité en nations. «L'Etat-nation entraîne au point de vue de la paix, un grave recul. Il ressuscite les formes de la pensée, de la politique et de la dynamique tribales. Il constitue un milieu belligène beaucoup plus actif que l'ancien Etat monarchique». Gaston Bouthoul |
|