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Le soleil darde
sans pitié ses rayons sur nos frêles casquettes. Rien ne vaut le chèche targui.
L'accostage pose problème d'équilibre aux femmes, une planche tendue sert de
passerelle pour atteindre le quai. Et voilà un autre centre de Mopti côté
ouest.
-Mais où allons nous dormir ?, soupire Chapi -A l'hôtel du Campement Relax, tout près du monument aux morts, face au stade, il est mieux que le Kita Kourou qui ressemble à des vestiges après séisme ! Il est recommandé par le Guide du Routard à condition de se conformer à quelques conseils de prudence. -Tu ne vas pas me dire que tu me traînes dans un bordel ? -Loin de là, tu ne connais pas les mœurs africaines. Les bars, les lupanars sont confondus les chambres sont au premier dotées de moustiquaires et pas de ventilo à défaut d'électricité. Les sanitaires simples (mais propres) avec un filet d'eau de la douche alimentée par un tonneau juché sur le toit. -Sans commentaires, je te suis. -Avant le logement nous devrons négocier avec le guide pour demain afin d'entamer la falaise dogonaise. Un négociant nous recommande son neveu tout souriant, rivé d'une bonne casquette. Il sera à notre charge pendant une semaine plus son pécule de guide. A l'intérieur de l'hôtel c'est un va-et-vient continu. A la réception un bar attenant pourvu de solides barreaux. A l'intérieur, sur des tabourets sont juchées des Africaines jasant avec des Apollons bien nippés. Une musique sonore et provocante alliée aux feulements des ventilateurs égaye l'atmosphère. C'est la joie de vivre africaine ! Chapi, crispé s'agrippe à son sac, et in petto doit me maudire. Le réceptionniste, très sympa nous file quelques tuyaux pour aller au Dogon : «Profitez, demain jour de marché pour aller à Bandiagara. Le contrôle est fluide. Une passoire. A Sangha tentez de louer une mobylette vous traverseriez la plaine en dix minutes». Et pour finir la dernière blague à propos du gable africain. Comment appelle-t-on le derrière d'une grosse citoyenne qui se dandine en quête de frémissements ? -Une allumeuse -Non, un bureau politique élargi en quête d'exercice. C'est drôlement cocasse leur humour, me dit Chapi. Chez nous on dit aussi «une 404 bâchée» «la yajouz». On remonte en fin de compte à notre chambre pour rejoindre au plus vite le restaurant sur le toit avec vue sur fleuve. Poissons, raki, musique, vue africaine, bureau politique figé, etc. toute une délectation concentrée du voyage. Le matin de bonne heure, on repère un taxi de brousse à la gare centrale avec notre guide «Damas» qui nous guettait. La 404 bâchée, ce nouveau vaisseau des pistes africaines prend légalement 15 passagers à l'arrière et trois en cabine. Elie, un Californien vétérinaire qui a loué sa maison et se paye avec son conjoint un tour du monde. Sans se presser, Ali, plein d'humour, me demande : A quelle date va-t-on démarrer ? - Demandez au chauffeur, il est de la maison - Non c'est un bidonné (au lieu de me dire c'est du bidon) - Alors consulter les oracles, les dragons et les aïeux toubab, ici le temps n'est pas l'argent ! nous avons des montres et les Africains : le temps - Notre habitacle démarre à travers l'Afrique. Une poésie ambulante. Les femmes chantaient, les enfants s'agrippaient aux pare-chocs, les chiens aboyaient et notre 404 frayait sa pise. A midi, halte. J'invite Chapi à venir casser la croûte. «Je vous garde la place et le moral, ironise Ali. Un bon riz au poulet à la baraque boui-boui nous fait oublier notre déconvenue. Le chauffeur se joint à nous pour nous raconter la dernière. Trêve de plaisanterie, conduisez moins vite ! - Toubab, vous avez peur de mourir ? - Et vous non ! - Nous, c'est Allah qui décide ! Nous continuons notre piste à vive allure sans se soucier. A la vitesse s'ajoute l'imprudence, le chauffeur, pour éviter les nids-de-poule, zigzague et la cargaison humaine derrière se balance au gré des trous. Le plaisir du voyage atteint son haut degré dans les tirages où un côté d'humains se jette sur l'autre bord, corps et?au redressement chacun exulte. A la première halte l'Américain négocie la vitesse réduite à coups de dollars, les Africains se tordent de rire. Nous arrivons miraculeusement sains d'esprit et un corps plus que blanc par la poussière. Une nuée de guides prend d'assaut l'Américain trahi par sa caméra trop débordante. Porté à son secours, je l'invite à dissimuler cet appât catastrophique et de nous suivre pour un gîte décent autant que possible. Un hôtel campement, toiture de zinc, nous fut recommandé. Les chambres étaient vivables. Au grand hall la préparation pour la fête battait son plein. C'est un mariage et il y aura musique ce soir. Musique douce ? Nous sommes invités par la force des choses. Notre chambre était à deux mètres des grosses baffes. Le patron nous recommande un jeune guide (Mobidou) qui se chargera de nous louer les mobylettes. On met au vert notre ancien guide. La musique va nous accompagner même dans le rêve, une nuit bien agitée, quelle vie ! Usés jusqu'à la corde, nous enfourchons chacun sa mobylette abracadabrante et direction la falaise. L'Américain avec Mobidou ouvrent la piste. On chantait à capella à 5 heures du matin. Viva Africa ! «Cela s'appelle une rupture conventionnelle avec la sérénité», me crie Chapi juchée sur son engin brinquebalant. Il était démuni de frein arrière et de garde-boue. Nous voici en pleine brousse du plateau dogon. Les villages sont accrochés le long d'une paroi rocheuse assez escarpée. Les dogons sont venus se réfugier il y a cinq siècles dans ces trous, reculés et hostiles. Originaire du pays mandingue, ils ont fui l'islamisation. Une fois arrivés à la falaise ils chassèrent le peuple thélème qui vivait terré dans des grottes à même la falaise. Les thélèmes qui avaient chassé les pygmées pour trouver refuge dans la forêt. Ils ont continué de creuser des couloirs pour en faire un village «labyrinthe». Le cimetière est tout à fait en haut, à l'aide de cordage ils soulèvent leur mort. Un enterrement dominant, en première classe. Le reste est accessible par échelle, cordes et escaliers incrustés dans la roche. Un site original pour la photo seulement. Par la suite, l'islam a pu pénétrer la région et s'y implanter sous El Hadj Omar, la maison de son fils Boukhar, vestige encore exposé à Bandiagara, comme quoi le djihad était précoce dans la région. La plaine leur offre une culture maraîchère, l'introduction de la culture des oignons est devenue prospère au point que l'oignon dans le troc est devenu une base d'échange comme la monnaie. A proximité du campement, la maison de Marcel Griaule, célèbre ethnologue français est devenue quasiment un musée. Parti de 1931, il passa plusieurs années à étudier les rites et le système de pensées dogons et l'origine de la création (cosmognie) «peux-tu m'expliquer cette cosmogonie ?, me demande impatiemment Chapi au cours de notre marche en dégringolant sur les éboulis. «L'explication des coutumes en éthique interne fait partie d'une chaîne immuable du grand Tou. Les Dogons parlent de 14 systèmes solaires aux planètes plates et circulaires sur lesquels ogotemmêli l'informateur aveugle de Marcel Griauld ne donne pas de détail. L'ensemble a été créé par le Dieu Amma, qui organise et régit l'univers. Il lança des boulettes dans le ciel pour donner forme aux étoiles. Une légende ajoute qu'il y a fort longtemps, les femmes décrochaient les étoiles et les perçaient d'une tige pour les offrir à leurs enfant : de là vient le fuseay qui sert aux vieilles femmes pour filer leur quenouille. Pour faire le soleil et la lune. Amar modela la terre en forme de deux canarias (poteries) qu'il chauffa à blanc, chaque astre fut décoré d'une spirale à huit volutes, en cuivre rouge pour le soleil, en cuivre blanc pour la lune, la terre fut créée en dernier lieu». Voici brièvement la représentation cosmogonique de la croyance des dogons vis-à-vis de l'univers. «Ma hiérarchie dans cette cosmogonie est symbolisée par la pyramide : chacun la reconnaît symboliquement incarnée dans de nombreux objets du quotidien en particulier le panier conique qu'on porte sur la tête. La tête conique de la case, les masques qui rappellent la mémoire des hommes, sont là pour rappeler la tradition, le masque en bois se dégrade tous les soixante ans, le temps de faire passer l'âme du défunt dans un autre support, un peut comme les Malgaches pour le deuxième enterrement. C'est alors l'occasion de la grande cérémonie du sigui au cours de laquelle de nombreux sacrifices sont prévus. Le dernier sigui a été célébré en 1967, le prochain est prévu en 2027». Aux premières lueurs, la descente est aisée (nous avons laissé les mobylettes chez un paysan avec Modibou à Djiguibadou). Nous devons aller jusqu'à Bankass, village situé à dix kilomètres. La plupart des hommes et des femmes sont aux champs, on ne rencontre dans la journée que des enfants dont certains ont eu le cordon ombilical mal coupé. Ils apparaissent comme un gros bouton inesthétique sur un ventre gonflé par la malnutrition. Nous longeons le sentier en bas de la falaise où sont nichées les habitations. Sous l'ombrage d'un grand baobab, la case à palabres émet ses lueurs de sagesse. C'est là que lorsqu'un «vieux meurt c'est une bibliothèque qui brûle», que disait Hampaté Mba. J'imagine une séance de discussion pareille à notre djemaa en Kabylie, évoquant une question épineuse d'identité, s'énerve et se lève pour se heurter la tête avec les branches dues de l'arbre à palabres. Les patriarches ne discutent certainement pas les salaires et les privilèges de la nomenklatura. Il fait très chaud, on s'octroie plusieurs pauses sous l'ombre des fromagers. On quête une terrasse pour passer la nuit en pensant à l'étape suivante du retour sans oublier de racler au passage, guide, mobylette et Mobidou, le roi de la rigolade au pays dogon. |
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