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L'Algérie connait
une véritable crise d'environnement urbain et rural. Le rapport à
l'environnement est devenu irréversiblement problématique. Tous les milieux
sont sales, ils sont jonchés de résidus, sinon balisés de constructions
évoquant pour la plupart «el baraka» ; du bric-à-brac certainement culturel
fait de matériaux de constructions recouvrant une structure en béton qui est
quasiment la même pour tous les objets bâtis.
Sans oublier l'inachevé et les transformations qui n'en finissent pas. Ça me rappelle le propos d'Albert Einstein : «La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent». Ce constat est valable aussi bien pour l'architecture ou ce qui est censé l'être des constructions en général que pour les semblants d'aménagements urbains. L'inexistence de l'architecture Parmi les pensées d'architectes qui m'ont marqué, je citerai celle de Louis Kahn (1901-1974) dans laquelle il suggère que «L'architecture en réalité n'existe pas. Seul existe le travail d'architecture. L'architecture existe dans l'esprit». Cette citation je dois dire m'a donné du fil à retordre, dans un monde, algérien, où l'architecture est réduite à une opportunité, et plus grave, à un design. En fait pour celui qui connait ou sait tout simplement l'œuvre de Louis Kahn, se rendra compte que cet architecte se démarque par la profondeur de son esprit. Incontestablement il est philosophe. En fait il dérange ceux qui pensent être des faiseurs d'architecture, alors qu'ils ne sont que des faiseurs de constructions («Se contenter de construire un édifice ou une forme n'a jamais été le propos de l'architecture», affirme Tadao Ando) qui ne seront jamais de l'architecture (propos que je reprends de mémoire de Frank Lloyd Wright tout en me le faisant mien), ils sont des «architectes sans architecture» (sujet que je compte développer ultérieurement et qu'il ne faut pas chercher à surinterpréter) dès lors qu'ils exercent le métier d'architecte par individuation, par la séparation de la société selon le reproche de Tadao Ando pour qui l'architecture devrait être une contribution à la société, et que paradoxalement, on ne cesse de percevoir l'architecture en un idéal inatteignable, surtout si la comparaison avec l'œuvre des sociétés anciennes est de mise. Louis Kahn réfléchit non seulement l'organisation de l'espace ; pour lui d'ailleurs : «l'architecture est la fabrication réfléchie des espaces», mais il accorde le langage des matériaux, leur intelligence naturelle, la mémoire des forces qu'ils animent en leur sein, à l'organisation de l'espace. En fait, je me rends compte que ce genre d'architecte se met en œuvre quasiment de manière spirituelle, pour trouver des voies d'orchestration de l'espace-matériau, des voies demeurées inaccessibles à la multitude d'architectes sans architecture. L'exemple de la bibliothèque Exeter, est un chef d'œuvre. Louis Kahn combine trois espaces dont à chacun il assigne une fonction. Mais ce qui est fabuleux avec cette combinaison, c'est que Louis Kahn recourt à spécifier chaque espace par une structure-matériau. Ce qui lui permet aussi de diversifier les dénivelées pour les besoins d'usage. Il donne l'occasion de lire clairement le déploiement de la structure de l'édifice et des matériaux plus particulièrement à mon sens le béton («Kahn avait une compréhension profonde des propriétés du béton, selon Tadao Ando). N'ayant pas eu la chance de visiter cette bibliothèque, l'ayant beaucoup étudié, je peux affirmer sans bronchement, que la bibliothèque Exeter dégage incontestablement une expression très forte. C'est peut-être à cela que je voulais en venir. Une construction qui ne dégage pas de l'expression, qui ne s'impose pas par la clarté de sa structure, et le langage approprié des matériaux, par ce qui va au-delà de la structure et des matériaux, qui n'interpelle pas le sens profond de la société, n'est pas une architecture. En fait, je me rends compte de plus en plus que l'intuition de l'espace qui est le propre du travail d'architecte de Louis Kahn n'est pas du tout enseigné. Comme ce n'est pas du tout le produit du hasard si Louis Kahn en était arrivé à dire que : «en fait, je crois que je n'enseigne pas vraiment l'architecture, mais que c'est moi-même que j'enseigne». En ce sens, Pierre von Meiss en bon enseignant de l'architecture insiste sur la particularité de l'enseignement de l'architecture qui est liée à la personnalité de l'enseignant architecte. Il met en exergue sa culture qu'il ne faut pas chercher à aveugler, voire à étouffer, chaque enseignant doit trouver sa méthode didactique pour atteindre les objectifs d'un programme. L'enseignant architecte, comme le colibri, fait sa part des choses que les professionnels en général ne savent pas apprécier, parce qu'encore une fois ils sont la proie de leur égo, parfois même narcissisme. D'où le malaise que j'ai par rapport à la mécanisation que veut imposer la bureaucratie universitaire dans l'enseignement de l'architecture dont le statut reste naturellement imprécis. Comme le faisait Louis Kahn, ce n'est pas le résultat qui devrait compter, c'est le raisonnement mené qui devrait primer, susciter chez les apprenants la curiosité de connaitre aussi bien les matériaux que les espaces, leur donner l'occasion de s'exprimer dans la célébration de la joie d'être, révéler le poète endormi en chacun d'entre eux, et d'entre nous. La leçon des anciens ensembles urbains Paul Rudofsky a commis un livre que j'ai fini par suspecter. Cet ouvrage sort dans une époque où le régionalisme, folklorique et enfin vernaculaire, était à la fois suspecté et célébré. Un électrochoc pour les modernes et leurs épigones, les modernistes qui versaient dans le sublime, l'inexpression des plasticités pales, et qui cherchaient à atteindre l'inédit dans une quasi abstraction de la société et des individus. Paul Rudofsky a intitulé son livre : Architecture sans architectes en même temps que d'autres qui exploraient le vernaculaire étaient déjà dans les rayons des bibliothèques ou en voie de l'être. Mon malaise a grandi quand j'ai lu et relu le livre d'André Ravéreau, Le Mzab une leçon d'architecture. Au début pour moi c'était l'euphorie, j'ai même pris Ravéreau pour un prophète et me considérais comme étant son sahabbi, et puis s'en est suivi le réveil de la conscience d'une imposture, une contrevérité, non préméditée certainement, qui est passée pour de la vérité quasi généralisée. Je crois que Larbi Merhoum en est chouia pour ce virement intellectuel. Il m'a de nombreuses fois rappelé que les anciens, les sociétés anciennes, n'avaient pas besoin d'architectes. Et c'est vrai ! Les Mozabites comme j'ai eu à le préciser ont choisi l'isolement dans un site aride qui ne suscite pas l'envie par stratégie, j'ai même affirmé qu'ils ont cru que le désert allait les protéger in aeternam. Je crois que Jean-Jacques Deluz a été plus lucide que Ravéreau en qualifiant le Mzab d'ensemble urbain. Il n'y est point question d'architecture, mais de constructions issues surtout de la rareté des matériaux et d'une organisation communautaire bien sûr misogyne. Auraient-ils pu dans une territorialité tribale échapper à la misogynie qu'ils ont attribuée à la religion selon un discours religieux totalement contradictoire (come toutes les tribus du Maghreb et monde arabe conquérant de l'époque ils attrapaient naturellement la femme (comme la fièvre) ? Enfin, c'est l'isolement qui a fait du Mzab ce qu'il est devenu au bout de dix siècles de communautarisme et d'apprentissage empirique. Le monde est parsemé de Mzab (le Japon dans l'esprit est du Mzab) ! Il aurait été plus judicieux pour moi de faire appeler l'ouvrage : Le Mzab une leçon d'urbanisme, et même d'adaptation au territoire. Intuitivement et sans appeler les actions menées comme nous le faisons aujourd'hui, ils ont ménagé le territoire au lieu de l'aménager qui est une activité d'administration. En fait, en réfléchissant et remettant en cause les concepts reçus, j'ai constaté que les sociétés sont des abstractions dont l'enjeu est l'adhésion à des valeurs partagées sans conflictualité, les valeurs sociales peuvent être aussi bien positives que perçues telles que négatives. En fait ça dépend dans quel universel on se place, et cette nuance c'est ce que j'ai retenu de très fort de l'œuvre de Claude Lévi-Strauss. Pour Robert Doisy architecte un urbanisme stable est possible dans le cas des sociétés stables. J'ose penser en public que la société algérienne qui reste à définir est instable et ne peut produire que l'urbanisme que nous avons sous les yeux qui est tout aussi instable (pour Larbi Merhoum : «une société instable peut se corriger par un pouvoir autoritaire (le cas de la Tunisie avant la révolution). L'instabilité devient un déterminisme dès qu'on y mêle les échecs démocratiques»). Pour revenir au cas du Mzab, les mozabites vivaient en vase clos, ils constituaient des communautés qui mettaient en œuvre à tout point de vue des valeurs obligées. Cette organisation communautaire à laquelle je fais allusion contribuait à leur autoprotection. Le modus operandi pour ce qui concerne la technologie conventionnelle de la construction en générale a résulté de la nécessité nécessaire de construire avec des matériaux disponibles, je pense même que c'est leur rareté qui a obligé les mozabites à éviter les effets d'ostentation, ce qui aurait conduit dans le cas contraire à produire la frustration sociale, donc l'éclatement de la communauté et conduit à sa disparition. En somme on pourrait émettre pour hypothèse que les sociétés anciennes ont construit en fonction des déterminismes physiques et économiques. Ce n'était pas tout à fait de l'intelligence matérielle, mais surtout le manque de choix. Pas plus que ça ! Le syndrome de New York est issu de la sur-disponibilité des matériaux tandis que le syndrome du Mzab était issu de la rareté des matériaux. Autrement dit, Dubaï c'est de l'architecture générique de riches, et le Mab une architecture de pauvres, même si nous voulons absolument percevoir le contraire. La pauvreté que je signifie est la disponibilité des matériaux à l'échelle strictement locale. Une pauvreté positive ! C'est le cas de la Casbah d'Alger et de toutes les autres médinas et ksour dont il faut aller chercher les variations dans les détails de taille. L'idéalité c'est seulement de bien faire Je constate que nous avons beaucoup de mal à distancer, à prendre du recul et cela est en soi une éducation que l'école algérienne dans son islamisation, son enfermement sur des dogmes et idéologies de la fermeture est incapable d'inculquer aux enfants. Car ce serait prendre le risque de fabriquer des citoyens dont la première condition est le libre choix, la liberté d'esprit. Ce serait prendre le risque de la rupture culturelle et sociale, une rupture générationnelle historique ! Donc la révolution. Mais il se trouve que des révolutions s'opèrent naturellement, pas forcément dans le bon sens, sans incitation à la violence ou quoi que ce soit. Comme celle que nous constatons au Mzab où le legs des anciens, désormais incompris, est devenu un motif d'identité et d'un su-renfermement. Il y est question d'un choc culturel, car depuis Ravéreau à titre d'exemple, ils n'ont pas compris qu'il leur disait votre isolement n'a aucun sens puisque la modernité est venue jusqu'à vous, et que même elle envahit vos chez-soi. La poutre en béton dont la géométrie est morbide a remplacé la courbe improbable de la branche de palmier, les murs se sont redressés et les climatiseurs se sont accrochés aux pignons sur rue. La modernité du Nord a distingué les riches des pauvres. Hassan Fethy a préfacé le livre de Ravéreau. Mais Hassan était dépité pour un certain nombre de raisons dont l'inconséquence de son œuvre sur les Égyptiens. C'est le débat sur le titre de la traduction de son ouvrage en français qui m'a donné un peu à réfléchir. Hassan construisait-il vraiment pour le peuple ou pour lui-même ? Il est certain que Thierry Paquot a ciblé juste, Hassan a construit avec le peuple, cette multitude de main d'œuvres qui n'a pas échappé à l'intérêt de l'argent dès qu'ils ont compris que l'architecte de la grande ville aspirait à saisir leurs secrets de construction. Ils vivaient dans la misère et l'occasion est venue jusqu'à eux pour soutirer de l'argent. Mais au fond on pourrait se demander si ce n'était pas construire contre le peuple ? Parce que les Gournis ne voulaient plus de leur ancestralité générationnelle, et de leurs matériaux de construction qui leur rappelait leur misère économique. En plus de la crainte de quitter la source de leur survie qui était le site archéologique qu'ils pillaient par nécessité de survivre. Que leur proposaient les gouvernants ? Rien, du mépris comme partout. Alors comme le dit Larbi Merhoum on a voulu les gérer en tant que problème, seulement la gestion encore une fois comme partout a été inadéquate. C'est pour cela que je dis aux jeunes il ne faut surtout pas idéaliser les anciens, ils ont fait comme ils pouvaient, alors faites bien comme vous le pouvez *Architecte (USTO), docteur en urbanisme (IUP), enseignant et auteur de livres dont Palabres algéroises, avec Larbi Merhoum, éditions Barzakh, juin 2024. |
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