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Les systèmes des ressources en
eau sont complexes
Tenter de résoudre les problèmes des ressources en eau en Algérie parait comme une tâche très difficile. L'eau, en plus d'être indispensable à la vie, est une question éminemment politique. Si nous voulons assurer une croissance économique soutenue, la sécurité humaine et la stabilité politique au cours des prochaines décennies, la façon dont nous allons gouverner l'eau devient rapidement une question politique urgente. L'eau exige l'engagement du gouvernement dans sa totalité et ce en s'appuyant sur une approche participative, pluridisciplinaire et multidimensionnelle. Tenter de gouverner un système aussi complexe n'est pas du tout une tâche facile. En général, la problématique de l'eau est abordée sous deux angles. Certains l'abordent en tant que ressource hydrique alors que d'autres l'abordent comme un produit de systèmes très complexes et variés (naturel et modifié par l'homme en fonction des besoins et attentes des parties prenantes, on y trouve des éléments statiques et dynamiques, ouverts et interagissant avec d'autres systèmes, etc.). L'utilité (et non sa valeur) dépendant entre autres de la rareté de la ressource hydrique ainsi que l'interactivité constatée entre tous les éléments constituant le système permettant de la mobiliser, transformer, transporter; utiliser, etc. sont devenues très complexes, nécessitant des technologies de pointe adéquates, une organisation, un management et surtout un cadre institutionnel adéquat afin de satisfaire les besoins des différentes parties prenantes et répondre aux attentes des générations futures. A noter que toutes les relations entre les différents éléments ne sont ni linéaires ni réversibles, ce qui accroît le degré de complexité. Cette interactivité ne se limite pas aux éléments du système des ressources hydriques en question mais touche aussi les autres systèmes dont l'interactivité n'est pas à démontrer. Nexus eau, énergie et alimentation Les ressources en eau sont sous forte pression en Algérie et cette pression est exacerbée par les changements climatique et sociale, ainsi que par un développement économique rapide et durable. La pression continue affecte l'eau et directement l'énergie et les ressources alimentaires. La nourriture, l'eau et, par implication, l'énergie sont des droits de l'homme précisément parce qu'ils sont importants pour la subsistance. Cela attire l'attention d'abord sur la nécessité d'éliminer la pauvreté absolue, mais également sur la lutte contre l'injustice sociale. Il n'est plus à démontrer que l'eau est nécessaire à la production d'énergie; l'énergie est nécessaire pour la production d'eau et l'eau et l'énergie sont nécessaires à l'agriculture. Les interconnexions de toutes ces ressources créent le lien (Nexus). Ainsi, un «Nexus» est défini comme une connexion, un lien, et aussi un lien de causalité et ce entre plusieurs systèmes connectés. A titre d'exemple, il faudrait 2400 litres d'eau pour produire un hamburger de 150 g, 200 litres d'eau pour produire un verre de lait de 200 ml et 16000 litres d'eau pour produire un kilogramme de bœuf. Une question que je poserai aux politiciens hasardeux: Dans une situation où la ressource hydrique se fait rare et est sous pression en Algérie, peut-on parler d'une politique d'élevage bovin? Le réductionnisme des problèmes complexes ne peut que proposer des solutions que je peux considérer comme populistes mais irréalisables dans les conditions actuelles. Le Nexus eau, énergie et alimentation, signifie que les trois secteurs sont inextricablement liés et que les actions dans un domaine ont le plus souvent des impacts dans l'un ou les deux autres. Il met en évidence les interdépendances (à la fois les synergies et les compromis) entre la réalisation de politiques en matière d'eau, d'énergie, de sécurité alimentaire, foncières et climatiques, et leurs implications pour le bien-être humain, le développement économique et l'utilisation efficace des ressources. Une approche Nexus vise à réduire les compromis et à améliorer l'efficacité de l'ensemble du système des systèmes (SoS) plutôt que d'augmenter la productivité de secteurs spécifiques, souvent au détriment d'autres. Le concept Nexus a émergé depuis la conférence de Bonn en 2011 et introduit un changement fondamental des approches sectorielles vers des solutions intersectorielles, intégrées et cohérentes. Après cette conférence, le concept a été adopté et promu par de nombreux acteurs politiques, économiques et universitaires. Un consensus sur la nécessité d'une approche intégrée de WEF pour répondre aux préoccupations en matière d'eau, d'énergie et de nourriture. L'eau en Algérie est sous pression L'Algérie, à l'instar de tous les pays nord-africains et du Moyen-Orient, connaît depuis un peu plus d'une quarantaine d'années une situation très difficile vis-à-vis de la ressource en eau. Jusqu'à la fin des années soixante du siècle dernier, la situation hydrique « Eaux conventionnelles» permettait de répondre aux besoins de toutes les parties prenantes (Eau potable, industrie et irrigation), de maintenir un équilibre de notre écosystème. Avec une population qui dépasse les quarante millions, l'Algérie connaît une situation de stress hydrique absolu avec un taux de renouvellement annuel de moins de 400 m3/habitant/an. Cette situation était prévisible depuis un peu plus d'une quarantaine d'années et elle s'est aggravée par un changement climatique marqué couplé avec un changement social. Le citoyen connaît un mode de vie totalement différent de celui des années soixante-dix exigeant des quantités d'eau plus importantes. Les besoins en eau en vue d'une utilisation domestique et industrielle (50% de ce qui est recommandé par l'OMS) sont de l'ordre de 3 milliards et il en faudrait autant pour irriguer 500 000 ha. A l'horizon 2030, avec une population de l'ordre de 45 millions d'habitants, et un 1,5 millions d'ha irrigués, les besoins vont au moins atteindre les 12 milliards de m3. Il faudrait certainement changer d'approche d'analyse et de gouvernance et où le système des ressources en eau national doit être abordé dans sa globalité. Il s'agit d'un système complexe et doit être analysé dans sa totalité et où le mot clé garantissant l'atteinte des objectifs qui permettent de répondre aux besoins de toutes les parties prenantes est « l'intégration ». Un monde sûr en matière d'eau est vital pour un avenir meilleur: un avenir dans lequel il y a suffisamment d'eau pour le développement social et économique et pour le maintien des écosystèmes. Un pays sûr en matière d'eau intègre une préoccupation concernant la valeur intrinsèque de l'eau ainsi que toute sa gamme d'utilisations pour la survie et le bien-être humains. Chaque personne a suffisamment d'eau salubre et abordable pour mener une vie propre, saine et productive. Le citoyen doit être protégé contre les aléas liés à l'eau (les inondations, les sécheresses, les glissements de terrain, l'érosion et les maladies d'origine hydrique). Effectivement, l'Algérie dispose d'une ressource souterraine importante malheureusement, la plus importante est non renouvelable. Quelle que soit l'importance de ces ressources non renouvelables, elles restent limitées et par conséquent tarissables. Il ne faudrait surtout pas oublier que ces ressources appartiennent aussi aux générations futures. La responsabilité sociétale envers les générations futures nous interdise une utilisation hasardeuse et abusive. Toute la question que je me pose en ce moment, est-il opportun de lancer des programmes de transfert d'eau vers le nord du pays ? n'y a-t-il pas d'autres alternatives ? Les eaux épurées non conventionnelles sont des ressources pour la nourriture. Le volume des eaux usées rejetées à l'échelle nationale est actuellement estimé à environ 1 milliard de m3. Afin de prendre en charge l'épuration de ce potentiel d'eaux usées, le secteur des ressources en eau s'est lancé dans un ambitieux programme de construction de stations d'épuration. Le nombre de stations d'épuration dépasse 160 (dont plus de la moitié des stations d'épuration et le reste sont des lagunes). Malheureusement seul un périmètre d'un peu moins de 1000 ha de Hennaya est irrigué à partir de la station de Tlemcen. Je pense dernièrement celui d'El Karma (Oran) a été mis en service. La mise en valeur des eaux résiduelles épurées permettrait au moins d'irriguer 200000 ha annuellement. Le deuxième programme important des eaux non conventionnelles consistait en la réalisation de plus d'une dizaine de stations de dessalement qui dans un premier temps a été vital pour les régions centre et ouest. La production nominale de plus de 600 millions de m3. Ce programme, incontournable, présente deux inconvenants majeurs celui d'être énergivore et rejetant de la saumure. Je n'ai jamais été convaincu par les prix unitaires avancés pour la production de ces eaux non conventionnelles. D'autant plus que l'alimentation en eau potable exige une énergie supplémentaire pour le pompage (nature topographique). Tout en étant rationnel, le prix de revient pour une ville située à 1000 m d'altitude peut facilement doubler. Je ne sais pas si l'on est conscient de l'utilité ainsi que de sa valeur du m3 perdu par fuite dans les réseaux ? Sécurité hydrique, énergétique et alimentaire Une démographie galopante avec un taux d'urbanisation dépassant les 50%, il faudrait plus d'eau, plus d'énergie et plus d'alimentation. La production d'énergie est le plus grand utilisateur industriel d'eau, et l'expansion de la production d'énergie nécessite un meilleur accès à l'eau douce. A l'horizon 2050, nous aurons plus besoins de 55% d'eau, 80% d'énergie et de 70% à 100% d'alimentation. A noter que nous sommes un pays dépendant des importations en matière d'alimentation (un taux assez élevé). Avec la croissance démographique continue, l'augmentation des revenus et l'urbanisation, la demande alimentaire doublerait à l'horizon 2050. L'Algérie à l'instar des autres pays doit prendre au sérieux et se préparer à se sécuriser par rapport à l'eau, l'énergie et l'alimentation, ça y va de son existence même. La sécurité hydrique, si l'on se réfère à la définition proposée par l'ONU-Eau, est la capacité d'une population à préserver un accès durable à des quantités suffisantes et à une qualité acceptable d'eau pour maintenir les moyens de subsistance, le bien-être humain et le développement socioéconomique, pour assurer la protection contre la pollution d'origine hydrique et les catastrophes liées à l'eau, et pour préserver les écosystèmes dans un climat de paix et de stabilité politique (ONU-Eau). Selon l'OCDE, la sécurité de l'eau consiste à apprendre à vivre avec un niveau acceptable de risque lié à l'eau. Les ressources énergétiques traditionnelles sont limitées. La question n'est pas de savoir si ces ressources seront épuisées, mais quand. Les sources d'énergie renouvelables et l'efficacité énergétique seront indispensables. Un mélange de combustibles fossiles et d'énergies renouvelables peut permettre une transition sociétale vers les énergies renouvelables. Nous pouvons résumer la sécurité énergétique en un accès à des services énergétiques modernes, une utilisation efficace de l'énergie et enfin il faudrait que l'énergie produite et consommée soit propre et renouvelable. L'agriculture est le plus grand utilisateur de ressources en eau dans la région arabe. Elle utilise environ 85% de l'eau alors que le taux moyen mondial d'utilisation de l'eau dans l'agriculture est de 70%. Un effort est à faire en termes de techniques d'irrigation. La sécurité alimentaire consiste à assurer une disponibilité de la nourriture, permettre un accès à la nourriture; une utilisation des aliments (le gaspillage de l'alimentation est estimé à 25%) et enfin assurer une stabilité alimentaire. A noter que la stabilité alimentaire fait référence à la disponibilité régulière et à l'accessibilité aux aliments, de sorte qu'ils contribuent à la sécurité nutritionnelle. La sécurité vis-à-vis de ces trois secteurs passe obligatoirement par une mise au point d'une stratégie rendant ces trois systèmes collaboratifs. Traditionnellement, accroître la sécurité d'un domaine donné, se fait souvent par des compromis avec la sécurité d'un autre domaine. L'ingénierie des systèmes propose un processus qui prend en compte tout le système (dans ce cas le système des systèmes - SoS) dans son cycle de vie suivant une approche intégrée de qualité, participative, respectant l'environnement ; où la sécurité, l'hygiène et la santé des personnes constituent une priorité ; et enfin le système et le citoyen sont tous les deux responsables l'un par rapport à l'autre. Là, nous pouvons parler de gouvernance du système des ressources en eau. Actuellement, il existe une tendance bien connue dans les cercles politiques qui vise à intégrer la politique de l'eau, de l'énergie et de l'alimentation - le Nexus du WEF - dans un «Nexus global» entre le changement climatique, changement social et la sécurité et ou autonomie. Par conséquent, nous devons intégrer les secteurs dans une vision de Nexus pour relever les défis mondiaux communs. Ainsi, cette manière de faire permet aux décideurs d'élaborer les bonnes stratégies et les bons plans pour un développement durable et minimisent la période de récupération des investissements (réduire le Payback ou accroître la VAN). Avant tout une cohérence politique est demandée car elle facilite la prise de décision dans un environnement où l'incertitude règne sous les deux contraintes de changements climatique et social. Une des propositions, que nous formulons, et qui constituent notre contribution à mettre en place un nouveau système de gouvernance des ressources en eau passe par la création d'un observatoire « Eau, énergie et alimentation », sous la coupe du Premier ministère. Il aura pour missions principales de partager et développer les connaissances entre les parties prenantes concernées pour accéder aux meilleures données disponibles et développer des cadres de référence communs sur le besoin de solutions. Dimension économique des ressources en eau Un élément clé pour la réussite d'une politique nationale en termes de ressources hydriques est une intégration de la perception de cette ressource vis-à-vis des parties prenantes et particulièrement les utilisateurs de cette ressource, la dimension économique de la ressource en eau en dépend. Comment est considérée la ressource en eau ? La Conférence internationale sur l'eau et l'environnement, réunie à Dublin (Irlande) du 26 au 31 janvier 1992 posait déjà un constat sans équivoque sur la situation mondiale des ressources en eau est désormais critique. La rareté de l'eau douce et son emploi inconsidéré compromettent de plus en plus gravement la possibilité d'un développement écologiquement rationnel et durable. La déclaration finale de la Conférence proposait et recommandait alors un certain nombre de mesures concertées s'inspirant de quatre grands principes. Le premier considère l'eau douce - ressource fragile et non renouvelable ? comme indispensable à la vie, au développement et à l'environnement. Le second insiste sur le fait que le management et la mise en valeur des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tous les échelons (approche participative). Le troisième met l'accent sur le rôle essentiel joué par les femmes dans l'approvisionnement, le management et la préservation de l'eau. Enfin le quatrième, qui considère l'eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme bien économique. Ce principe part d'un constat amer où plusieurs échecs de management des ressources en eau sont dus au fait de considérer l'eau comme un bien gratuit. Aussi, dans beaucoup de pays, les coûts de l'eau potable et d'irrigation sont en deçà des coûts de l'infrastructure et du personnel nécessaires pour rendre disponible cette eau y compris les charges sur le capital, les coûts opérationnels et de maintenance, etc. Ce principe est aussi justifié par le fait que l'eau (excluable et rivale) a une valeur économique dans toutes ses utilisations concurrentes et doit être reconnue comme un bien économique ainsi qu'un bien social (ex : Un puits sur une propriété privée). Une analyse purement économique reconnaît que les coûts devraient être supportés par ceux qui en bénéficient, mais en intégrant les aspects sociaux, ce n'est pas si évident. Nous pensons que ce quatrième principe soulève plusieurs questionnements, dont nous en notons deux : - Peut-on parler de valeur, alors qu'il s'agit d'eau, source de la vie pour tout ce qui est vivant sur terre. Nous pensons que l'utilité est mieux adaptée que la valeur. Moins, on en a, plus elle a de la valeur et plus on en a moins elle a de la valeur (les trois oranges de Bernoulli). A notre humble avis, les aspects économiques dans les projets des systèmes de ressources en eau, doit exiger la détermination de la fonction d'utilité de la région en question et en fonction de son utilisation. Pour mieux éclairer les politiques, un mètre cube d'eau a la même utilité quelle que soit la région (Pour rester en Algérie, l'est, l'ouest et le sud) et pourtant il a la même valeur. Aussi, dans une même région, un mètre cube d'eau en vue d'une utilisation domestique a-t-il la même valeur qu'un mètre cube destiné à un service récréatif. Nous pouvons noter que l'eau se raréfie et par conséquent son utilité « de facto sa valeur » augmente. - Peut-on considérer l'eau comme un bien économique au même titre que l'essence ou le lait? Ce n'est pas aussi simple. Dans sa dimension sociale, pouvons-nous exclure des citoyens, ceux qui n'ont pas les moyens, de cette ressource ? Pouvons-nous appliquer les prix de revient pour une population qui s'appauvrit de plus en plus ? Nous entendons parler dans le milieu du secteur en eau, que l'augmentation des prix est inévitable et que c'est la solution à cette rareté. A notre humble avis, c'est une solution suicidaire politiquement d'autant plus qu'elle est erronée. Une simple analyse holistique macro, nous montre que les solutions sont ailleurs. La politique nationale de l'eau doit aider à définir une approche de gouvernance de cette ressource, dégager les priorités et concentrer l'attention sur la résolution du conflit de l'eau, sans oublier que la disponibilité de l'eau pour tous les citoyens est un droit fondamental parmi les autres droits humains. Récemment la résolution de l'AG de l'ONU du 28 juillet 2010 formalise le droit à l'eau après plus de 50 ans de bataille politique sur cette question. La résolution dit: « L'accès à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l'homme ». Cette résolution de l'ONU a été transcrite dans la législation de certains pays, mais elle n'est jamais vraiment appliquée ! Au-delà de toutes autres dimensions, la dimension économique est incontournable. Certains avancent que la gouvernance des ressources en eau doit s'appuyer sur la mise en place de système de financement reposant sur la contribution et la solidarité des consommateurs et pollueurs. Si pour la pollution, il y a un consensus qui se dégage, ce n'est pas le cas pour la contribution et la solidarité des consommateurs. Nous pensons que les subventions de l'Etat sont incontournables. Ce sont d'autres chantiers qu'il faudrait ouvrir tant sur le plan technique, managérial, organisationnel et surtout institutionnel. Il ne faut surtout pas perdre de vue les besoins et attentes de toutes les parties prenantes et engager une démarche participative. Les résultats d'une approche centralisée, nous les subissons actuellement. A chaque fois que des difficultés apparaissent, c'est toujours le citoyen qui a tort. Alors que c'est une politique non réfléchie et très mal engagée, pour rester soft. Nous pensons que l'eau doit être considérée comme non excluable et rivale. Dans ce cas elle tombe dans le domaine des ressources de libre accès qui mènent certainement à une surexploitation et pollution de la ressource. L'eau fait partie des dilemmes sociaux ou le renouvellement des ressources qui ne sont pas indéfinies. La tragédie des biens communs et les problèmes liés à l'action collective a fait l'objet d'étude depuis Aristote ou « Chaque citoyen est enfermé dans un système qui le contraint à utiliser l'eau de manière illimitée dans un monde qui est limité (rationalité individuelle). La ruine est la destination vers laquelle tous les hommes se ruent, chacun poursuivant son meilleur intérêt dans une société qui croit en la liberté des biens communs. Hardin, 1968, p. 1244 (version française citée dans Ostrom, 2010). Les individus rationnels et égoïstes n'agiront pas pour atteindre leurs intérêts communs ou collectifs.». Le piège social est qu'une situation dans laquelle le comportement qui est le plus profitable à court terme a des conséquences négatives à long terme (dilemme du prisonnier). Trouver une solution à la tragédie des biens communs fait partie des problèmes récurrents de la philosophie politique et de l'économie politique pour encadrer les comportements individuels. Il existe trois solutions pour éviter la surexploitation des ressources. La nationalisation qui fait appel à l'intervention de l'état, la privatisation qui fait appel aux règles du marché et donc à la privatisation (selon Hardin) et enfin les travaux plus récents de l'économiste et politologue Elinor Ostrom propose une troisième voie du management par des communautés locales appelée aussi la gouvernance communautaire. Elinor Ostrom et équipe démontrent que des communautés d'usagers parviennent souvent par eux-mêmes à inventer des systèmes de management robustes. A noter que la privatisation porte en réalité non pas sur la ressource elle-même mais sur les services de distribution de l'eau potable et de collecte et traitement des eaux usées, via des contrats de gestion confiés à des entreprises privées. La gestion publique ne suffit pas à garantir une gestion démocratique des services d'eau potable et assainissement. Il faut que la prise de décision associe élus, usagers et travailleurs dans le secteur de l'eau. Les agriculteurs qui ont des revendications à long terme, qui peuvent communiquer, élaborent leurs propres accords, établissent des positions d'observateurs et sanctionnent ceux qui ne se conforment pas à leurs propres règles, ils distribuent l'eau plus équitablement et gardent leurs systèmes en meilleure forme que ceux des systèmes gouvernementaux. L'association des agriculteurs de la plaine d'Hennaya -Tlemcen - est un exemple de réussite de ce mode de gouvernance. Une grande partie de l'échec du programme de la petite hydraulique (retenues collinaires et petits barrages) des années 1980 et 1980 est attribuée à l'absence d'un système de gouvernance approprié. Notre expérience personnelle dans ce domaine nous mène à penser qu'il faudrait un programme de réhabilitation et reprendre tout ce patrimoine hydraulique, tant nécessaire pour nos agriculteurs et le compléter par un nouveau programme. Une gouvernance adéquate est nécessaire !!! Le challenge n'est pas une chose simple mais la situation de l'eau, de l'énergie et de l'alimentation l'exige. C'est même vital. Il s'agit certainement d'un programme difficile à prendre en charge par le gouvernement. Dans ce paysage difficile et complexe, la société civile, les élus locaux et les chefs d'entreprise (publiques et privées sans distinction) peuvent jouer un rôle important et constructif pour soutenir le gouvernement dans un processus global de réforme « eau-alimentation-énergie-climat ». La réussite d'une nouvelle politique du secteur des ressources en eau passe obligatoirement par la mise en place d'une intégration sociale entre employés, fournisseurs, distributeurs, etc. Ce type d'intégration est possible si, au sein de l'organisation, tous les employés adhèrent à des valeurs telles que la justice, la solidarité ou la confiance. Avant tout une cohérence politique est demandée car elle facilite la prise de décision dans un environnement où l'incertitude règne sous les deux contraintes de changements climatique et social. Un certain nombre de propositions, que nous formulons, constituent notre contribution à mettre en place un nouveau système de gouvernance des ressources en eau: - L'intégration verticale et horizontale équilibrée de toutes les entreprises, fournisseurs et distributeurs, sous la coupe d'une entreprise dénommée « Algérienne des eaux » qui aura le contrôle de toute la chaîne de mobilisation, production, transformation,... et la distribution. Il faudrait penser à fusionner toutes les agences du secteur de l'eau sous la coupe d'une « agence de gouvernance des ressources en eau ». - La création d'un observatoire « Eau, énergie et alimentation », sous la coupe du Premier ministère. Il aura pour missions principales de partager et développer les connaissances entre les parties prenantes concernées pour accéder aux meilleures données disponibles et développer des cadres de référence communs sur le besoin de solutions. Dans un deuxième temps, il faudrait penser à fusionner ces trois départements ministériels. - A moyen terme, il faudrait penser à fusionner les deux institutions publiques chargées de l'exécution des politiques de l'Etat dans les domaines de l'eau et de l'électricité dans une seule entité. - Aussi, une intégration des différentes spécialités dans les bureaux d'études chargés de projet de système de ressource en eau serait exigée. - Penser à lancer de grands projets d'irrigation pour de grands périmètres est hasardeux, la ressource n'étant pas disponible. Je pense qu'il faudrait reprendre le programme de la petite hydraulique (retenues collinaires et petits barrages), en réhabilitant l'ancien programme et le consolider par un nouveau. Ce sont des aménagements rapides qui peuvent être réalisés par des compétences nationales. Je recommande vivement un modèle de management communautaire (associatif) qui encourage l'intérêt collectif. - Développement les techniques d'irrigation moins consommatrices d'eau en vue de rationaliser la ressource. - Eviter les spéculations consommatrices d'eau et développer une économie virtuelle de la ressource en eau. - Développement d'une politique de management des réseaux d'alimentation en eau permettant d'équilibrer les pressions de services afin d'éviter leurs détériorations et ainsi réduire les pertes par des fuites. - Le choix des technologies de production électrique qu'elle soit d'origine fossile ou renouvelable doit prendre désormais en considération le volume d'eau utilisé et privilégie le recyclage de l'eau, le refroidissement par l'air... *Professeur - Université de Tlemcen |
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