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Deux retours par courrier,
cette semaine, m'ont beaucoup affecté. Les directeurs de publication de deux
maisons d'édition m'ont répondu par un mot des plus alarmistes pour la survie
de la production de livres en Algérie.
La réponse à un envoi de projet d'écriture d'un recueil de nouvelles fut rapide et cordiale. Il ne s'agit visiblement pas de cette formulation de politesse habituelle de refus d'un manuscrit, car une seule ébauche a été envoyée pour l'un des deux. Cette réponse, identique pour les deux éditeurs, avait le goût amer de la vérité. Les deux responsables des maisons d'édition en question me disent (ainsi qu'aux autres) qu'ils sont dans une situation très préoccupante pour leur avenir. L'un d'entre eux a même employé le mot « agonie ». L'autre me rappelle les fermetures de plus en plus nombreuses des librairies et constate, avec le même ton, une situation des plus dégradées, accélérée par la crise de la Covid. Et tous les deux me font état d'un retard de publication de plusieurs mois, même de deux ans pour l'un des éditeurs. Bien entendu, tout le monde connaît la situation de la chute du secteur, dans le monde entier, particulièrement en Algérie. Mais la lecture de ces deux réponses donne un ton plus fort à ce constat en faisant apparaître une réalité humaine et culturelle derrière le drame. C'est d'autant plus triste qu'en France, c'est un sursaut de lecture qui s'est produit avec le confinement imposé. Dès le départ, les libraires avaient constaté un regain de retour de la clientèle ancienne et même une arrivée de nouveaux lecteurs. Ce qu'il y a de triste dans ce constat est qu'il nous confirme le difficile espoir du rebond de la lecture en Algérie et que la pente descendante des chiffres connaît une décroissance encore plus abrupte vers la menace d'un fracassement et la quasi-disparition de l'édition francophone dans ce pays. Il est temps de réagir pour tous les âges en Algérie, surtout pour la jeunesse. Cette dernière est prompte à épouser toutes les causes nobles de ce monde, pourquoi ne s'emparerait-elle pas de l'impérieuse urgence de sauver le livre algérien si on l'encourage à le faire ? Aucune société ne peut se voir imposer le maintien d'une habitude culturelle qui décline. Mais dans le cas du livre, nous voyons bien qu'il y a une corrélation entre la décadence de cette industrie avec celle de l'économie et de la culture en général. Que les enseignants, s'il en reste de cette dimension optimiste, lancent des programmes de lecture. Que la presse s'épuise à rédiger des articles stimulant ce beau projet de remettre les jeunes face à un livre. Que les parents, je les exhorte à le faire, prennent engagement d'acheter un livre, au moins un par trimestre, à leurs enfants. Que jaillisse une explosion d'idées, de rencontres et d'échanges sur le livre et la littérature. Je sais que cela se fait beaucoup mais il est évident que le sursaut doit être d'une plus grande dimension et non réservé à une élite. Et que cela soit fait d'urgence, en ce moment où le terme d'agonie est prononcé. En Catalogne, il existe un jour merveilleux, la Sant Jordi (Saint Georges), le 23 avril. La légende raconte qu'il aurait sauvé une belle princesse des griffes d'un dragon. Selon cette légende, du sang du dragon sortit des fleurs que Sant Jordi offrit à la princesse. Ainsi est restée cette tradition d'offrir des fleurs à la Sant Jordi qui fut remplacée (ou plutôt complétée) par l'offrande d'un livre. L'UNESCO avait décrété que le 23 avril serait la journée internationale du livre. Pourquoi les Algériens n'institueraient pas des dates où le livre serait un cadeau, pour le plus grand bonheur de tous ? Il est le plus merveilleux objet au monde et un don de contenu sans pareil. Au-delà de l'instrument classique d'apprentissage à la langue, il faut que les jeunes Algériens sachent qu'un livre, c'est de l'évasion, du plaisir et une prise de recul extraordinaires. Rien ne saurait les équilibrer autant et leur donner une puissance d'accès au monde et à ses pensées afin de construire une capacité de discernement, indispensable à la liberté. Je ne pense pas que cette crise touche uniquement la francophonie même si elle est en première ligne, visée par le drame. Certes, une société vivante est celle où les habitudes de lecture changent, les supports se modifient ainsi que les processus d'apprentissage et de distribution. Mais lorsque les livres, en tant que contenu, perdent leur place, c'est en général pour l'hégémonie d'une seule pensée, d'une seule doctrine. Une société sans livres, sans lecture, est une société sans âme, sans transmission et sans désir de vivre le plaisir immense de se cultiver et de se mouvoir dans une vie d'évasion et de rêves constructifs. Que tout le monde s'y mette et que chacun offre un livre, particulièrement aux jeunes, sans que cela ne soit surtout pas exclusif. C'est comme planter une graine d'arbre, pour l'avenir. Il y aura toujours, dans ce désert installé depuis un moment, quelques graines qui germeront et de la nouvelle génération, la forêt émergera. La décadence est lente, la vie est rapide à reprendre ses droits. Il en est ainsi de la culture de l'humanité à travers l'histoire. Que vive le livre algérien, nous sommes mortels, il doit impérativement être éternel. *Enseignant |
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