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«L'autonomie» des EPE : «socialiser» les pertes et «privatiser» les profits !

par A. Boumezrag*

«Quand on affronte les problèmes de demain avec les organisations d'hier on récolte les drames d'aujourd'hui» Michel Crosier

En matière de gestion, « quand le mensonge prend l'ascenseur, la vérité prend l'escalier. Même si elle met plus de temps, la vérité finit toujours par arriver ! ». Dans toute organisation, il y a des hommes qui exercent un pouvoir et d'autres qui cherchent à les influencer, de façon plus ou moins visible et avec plus ou moins de bonheur l'exercice de ce pouvoir. Les décisions dans les sociétés contemporaines se prennent au sein de trois institutions : l'Etat, l'Armée et les grandes entreprises. Il y a un lien profond entre la manière de concevoir et d'exercer le pouvoir et les diverses formes prises par la propriété. C'est dire qu'il est impossible de parler d'un Etat sans dire aussitôt sur quel régime de propriété il repose, comme il est tout à fait impossible de parler de régime de propriété, sans indiquer par la même occasion, quel est l'Etat qui se profile derrière lui. La question est de savoir : que signifie le droit de propriété quand il emprunte la voie de l'étatisation ? Il abolit la propriété « privée » des moyens de production au profit de la propriété « publique » rendant invisibles et infaillibles les actionnaires « politiques », en socialisant les pertes et en privatisant les profits. Cette contradiction entre l'Etat Puissance publique et l'Etat Propriétaire marchand rappelle la confusion qui existait au Moyen âge entre le patrimoine privé du prince et le patrimoine public (budget de l'Etat). C'est cette absence de distinction, entre domaine public et domaine privé qui est au coeur de la crise de légitimité du pouvoir.

En effet, le Prince, qui est souvent un chef militaire, se comporte en quelque sorte, comme le propriétaire de son royaume qu'il gère comme un patrimoine personnel, combinant despotisme et arbitraire empêchant la formation économique et sociale car contraire à ses propres intérêts. La conduite d'une politique économique réfléchie et non empirique suppose une information fiable et vérifiable. En effet, la cohérence du calcul économique ne peut être atteinte, dans l'état actuel des choses, en raison de la variété des décideurs économiques et des contraintes politiques et sociales. La gestion des entreprises publiques, en Algérie, obéit généralement plus au respect du formalisme et de la rigidité juridique qu'à la logique économique ; car il n'existe pas pour les entreprises publiques, ni critères de bonne gestion ni incitation à une meilleure gestion ni sanction en cas de résultat négatif. Même dans le cas où ils existent, ils ne sont pas pertinents. La dilution des responsabilités provient de la multiplication des autorités de tutelle. Ce phénomène empêche toute définition précise des objectifs en matière de structure et de choix économique. Les résultats de gestion n'engagent que la responsabilité de l'entreprise, elle n'engage pas la responsabilité des décideurs politiques. D'autant plus que les fonctionnaires qui exercent le contrôle ne sont pas responsables de leurs actes. La définition des rapports entre l'Etat et les entreprises publiques a été toujours délicate. Entre l'étatisme intégral et l'autonomie complète, de multiples systèmes ont été pratiqués, sans résultat patent. L'examen des résultats d'une entreprise publique entraîne rarement des sanctions. Mais pour être objectif, on doit noter que la présence de récompenses est aussi rare que celle des sanctions, comme il est utile de signaler que la non-exécution des directives gouvernementales n'entraîne, généralement pas de conséquences graves sur l'entreprise ou sur ses dirigeants. Si le marché sanctionne l'entreprise, l'Etat sanctionne les dirigeants. La situation de dépendance dans laquelle se trouve l'entreprise publique, vis-à-vis de l'Etat, en ce qui concerne la gestion financière, peut la conduire à user des pressions de toutes sortes auprès du gouvernement afin qu'il modèle ses choix sur les impératifs de ses propres intérêts. Il suffit de se référer aux innombrables opérations d'assainissement et de restructuration financière pour s'en convaincre. Pour apprécier, objectivement, les performances d'une entreprise, il faut effectuer une double vérification : examiner si les résultats sont conformes aux objectifs et si ces objectifs sont en adéquation avec les moyens mis en place d'une part et vérifier si les moyens nécessaires sont compatibles avec les disponibilités internes et externes des facteurs de production d'autre part. En un mot, le contrôle des entreprises publiques devrait avoir pour objet de vérifier l'efficience et la soumission de l'entreprise aux objectifs de la politique économique.

L'entreprise publique se caractérise, le plus souvent, par une absence d'évolution dans le modèle d'appropriation ; l'appropriation publique est en effet, souvent illimitée dans le temps. Dans une économie dominée par la rente ou par l'endettement, l'Etat est d'abord et avant tout intéressé par le développement et la reproduction du pouvoir. Mais dans la mesure où la classe au pouvoir est celle qui détient le pouvoir économique, la politique tend, en partie, à perpétuer ses avantages et à consolider sa position. C'est pourquoi, le gouvernement algérien cherche désespérément une voie qui lui assurerait d'améliorer l'efficacité dans la gestion des entreprises, sans diminuer pour autant son emprise sur celles-ci. Deux alternatives s'offrent à lui : soit il octroie le statut d'agents économiques autonomes comme il les oblige au respect absolu de l'équilibre comptable ; dans le cas contraire, elles disparaissent tout simplement soit il maintient les entreprises dans la stricte obéissance et, par conséquent il est condamné à les subventionner, d'une manière ou d'une autre, sous une forme ou sur une autre, seul ou avec des partenaires chimériques. Mais l'ambition de tout système économique n'est-elle pas de trouver un mécanisme qui lui permette d'amener les hommes à désirer ce qu'il leur offre ou à leur offrir ce qu'il « désire » ? La sagesse africaine nous enseigne : « on a beau dissimiler ses excréments au fond de l'eau, ils finissent toujours par remonter à la surface ». La science définit l'entreprise comme une unité économique comptable autonome disposant des moyens, financiers, humains, matériels qu'elle combine en vue de produire des biens destinés à la vente en vue de réaliser un profit. Elle est publique, quand ses capitaux appartiennent, en totalité ou en majorité à l'Etat ou aux collectivités locales et sur laquelle ils peuvent exercer une influence prépondérante notamment par la désignation de ses dirigeants qui ne sont pas comptables devant le marché mais devant par rapport à l'autorité qui les a désignés. Si le marché sanctionne l'entreprise, l'Etat sanctionne ses dirigeants. Dans une économie de marché, la fiscalité ordinaire occupe le devant de la scène. Les citoyens financent le budget de l'Etat par le paiement des impôts et taxes prélevés sur leur production ou sur leur travail. L'Etat poursuivant l'intérêt général inculqué aux fonctionnaires dans les Ecoles d'administration et des ponts et chaussées. Ce qui n'est pas le cas dans d'autres systèmes où l'intérêt général se confond avec l'intérêt de la caste au pouvoir qui monopolise les ressources et les emplois. Dans le contexte d'une économie rentière dominée par les décisions de l'Etat où l'autorité et la responsabilité sont distinctes, l'une n'entraînant pas l'autre.

Par pouvoirs on entend une autorité à la tête d'une administration de l'Etat qui veille au respect et à l'application des lois votées sur l'ensemble du territoire national. Plus de trente ans après la promulgation des textes sur l'autonomie des EPE, où en sommes-nous ? Le nouveau ministre de l'Energie, lors d'un entretien à la radio nationale rapporté par ?Maghreb émergen't, a déclaré que « Sonelgaz est à genoux, elle vend à perte l'électricité, et il poursuit « sans le soutien de l'Etat, elle déposerait son bilan ». Question : l'entreprise publique économique peut-elle déclarer faillite sachant que son capital est constitué exclusivement de fonds publics ? Autrement dit l'Etat peut-il faire faillite en cas de mauvaise gestion à travers les entreprises qu'il contrôle ? Cette confusion de l'espace privé et de l'espace public, royalement entretenue par la rente dans la gestion des EPE, n'est-elle pas à l'origine de l'instabilité sociale et de la régression économique, aggravée par la pandémie du Covid-19 qui s'installe dans la durée ? Des voix, de plus en plus nombreuses, remettaient en cause la légitimité automatique d'une gestion de l'Etat. Le développement du déficit des entreprises publiques faisant peser sur le budget de l'Etat et donc sur l'impôt, un poids excessif. Désormais, il ne suffisait plus de savoir que les entreprises étaient gérées par l'Etat pour être assuré qu'elles remplissaient correctement les objectifs de service public. Il fallait montrer quels services elles rendaient et selon quel coût. La légitimité de l'action de l'Etat se trouvait ainsi soumise au critère de la rationalité économique. Pendant longtemps, on a pu nier la dimension politique du jeu économique, monétaire et bancaire. En effet quel est l'écart entre une entreprise en difficulté et une entreprise en cessation de paiement ? Dans le contexte algérien, il s'agit d'une question éminemment politique. Une entreprise n'est pas en cessation de paiement, elle y est mise parce qu'elle vit par le crédit et du crédit. L'entreprise sera mise en cessation de paiement, le jour où la banque décide de ne pas assurer une échéance. On peut parler du droit de vie ou de mort des banques sur l'entreprise. Lorsque plusieurs pouvoirs se sont penchés sur une entreprise malade, on peut se demander si le redressement des entreprises en difficulté est une affaire privée relevant du rôle des banques.

En effet l'instrumentalisation de l'entreprise par les interférences politiques n'a pas totalement disparue malgré le désengagement formel de l'Etat de la gestion directe des EPE (Loi n° 88-01 du 12 janvier 1988). De même que les performances de gestion ne sont pas évaluées et appréciées en fonction des résultats de l'entreprise mais des pressions relationnelles externes. C'est le degré d'emprise des agents extérieurs à l'entreprise sur les décisions de celle- ci qui va délimiter la sphère des pouvoirs, la sphère des compétences, la nature et le degré de l'autorité des dirigeants et par conséquent, elle devrait également délimiter les responsabilités et déterminer les sanctions positives ou négatives. La promotion de l'économie de marché postule la primauté du calcul économique individuel. Les mécanismes monétaires et financiers et les institutions qui en ont la charge ne sont pas politiquement et techniquement neutres. Ils participent activement au fonctionnement de l'organisation économique et sociale. Le problème devient complexe si l'on doit prendre en considération le sort des salariés qui peut justifier certaines tentatives de sauvetage effectuées, parfois, sous la pression des pouvoirs publics. C'est pourquoi les relations entre les différents partenaires sociaux seront, de plus en plus, difficiles dans la mesure où l'Etat est à la fois propriétaire des entreprises et des banques d'une part et que la politique sociale est une tâche qui incombe à l'Etat, d'autre part. Par conséquent, il n'est pas surprenant que les banques, elles-mêmes, astreintes aux contraintes de liquidités et de solvabilité fasse une nouvelle fois appel aux pouvoirs publics par le biais de la responsabilité de la puissance publique. Le désengagement de la banque doit s'accompagner d'un engagement accru de l'Etat qui doit supporter tout ou partie de la responsabilité découlant de ses initiatives économiques en matière de concours financiers. Mais il faudrait peut-être éviter un développement excessif des réparations étatiques, dans un contexte d'une crise multidimensionnelle, à la fois politique, économique, financière et sanitaire aggravée par une récession économique mondiale comparable à celle de 1929, ayant provoqué un séisme de grande intensité à l'échelle planétaire. Il va falloir être prudent et compter ses sous. Pour ce faire, il convient d'inciter les entreprises à agir sur leurs coûts et prix de revient que la plupart ne connaissent pas, ayant été abreuvées à la rente pétrolière et gazière, en voie de disparition, par une lutte implacable contre le gaspillage et la corruption. Les entreprises algériennes, tous statuts confondus, survivront-elles à une baisse drastique et durable des revenus pétroliers et gaziers ? Des entreprises en perpétuelle perfusion sanguine ? Tous ces fonds engloutis sous des vocables différents et à des périodes régulières, est-ce le résultat d'une fatalité ou est-ce le prix de la pérennité du système actuel dominant à la fois rentier et distributif ? Autrement dit la transition vers un système marchand productif est-elle un leurre, un mensonge, un attrape-nigaud ? A-t-on cerné scientifiquement l'origine de cette dérive pour persévérer dans cette voie sans issue ? Ce déficit des entreprises publiques est-il l'exception ou la règle ? Conjoncturel ou structurel ? Passager ou chronique ? Superficiel ou profond ? Doit-on imputer la responsabilité à la régulation administrative de l'Etat ou à la mauvaise situation des entreprises publiques ? Et dans quelle proportion ? Ou bien a-t-on fait le choix de faire payer à la collectivité le gaspillage, la dilapidation, les dissimulations et autres détournement de fonds ? En d'autres termes n'y a-t-il pas une sorte de « modus vivendi » qui consiste à dire « ne m'interroge sur ma gestion en tant qu'Etat (veiller sur la sincérité, la transparence et l'utilisation des deniers publics), je ne t'interroge pas sur la tienne en tant qu'entreprise (produire et réaliser des profits) ? Les entreprises sont à l'Etat ce que le père et pour ses enfants. Dans sa fable le laboureur et ses enfants La Fontaine fait dire à ses enfants : « Travaillez, prenez de la peine c'est le fonds qui manque le moins ». Ici le mot fonds est associé à l'idée de bien, de valeur. Le travail étant la valeur la plus sûre. Dresser l'inventaire de soixante ans de souveraineté, c'est faire le bilan de l'emploi des ressources investies dans le secteur économique marchant de l'Etat. En se penchant sur les processus d'assainissements financiers, un certain nombre de remarques techniques s'imposent. Les opérations d'assainissement pour la plupart sur des données chiffrées extraits de bilans comptables ayant rarement fait l'objet d'audit ou de révision comptable professionnellement menées. Des réserves peuvent être formulées quant à la fiabilité et la sincérité des chiffres et résultats comptables déclarés. Une expertise approfondie des comptes pourrait révéler bien de surprises. En clair, comment administrer un remède à un malade sans l'ausculter, sans tenir compte de ses conditions organiques ou de sa capacité à le tolérer et sans prévoir d'autres mesures pour accroître ses capacités de résistance. Ensuite, ces opérations d'assainissement se fondent sur le postulat de la cohérence des chiffres figurant à l'actif et au passif du bilan. Autrement dit il existe un actif net positif mais qui est mal financé. Cela veut dit qu'il est financé par des ressources à court terme. Donc, il y a lieu de le transformer à moyen et long termes.

Bref, la démarche retenue traite un tableau financier des ressources et des emplois et non la réalité économique, politique et sociale. Enfin, une dernière remarque, une entreprise qui réalise des profits confère aux produits qu'elle vend une valeur plus élevée qu'aux ressources qu'elle a dû sacrifier pour les livrer aux consommateurs puisque le prix de vente dépasse le coût moyen de production. En revanche une entreprise qui est en perte soustrait à la collectivité des ressources dont la valeur excède celle qu'elle lui restitue sous forme de produits finis. Dans ce cas la perte signale un gaspillage, un détournement, une gabegie auxquels, en principe, la faillite mettra fin. Par conséquent, si l'Etat, par le biais de son budget, peut combler, par des subventions le déficit d'exploitation des entreprises publiques, il appartiendra à l'Etat d'équilibrer les pertes d'utilité économique encourues par un gain d'utilité politique équivalent dans l'hypothèse évidente de l'équilibre budgétaire de la nation, ce qui n'est pas malheureusement le cas de l'Algérie avec l'effondrement de la fiscalité pétrolière et gazière de plus de 50 %. « La locomotive s'essouffle et multiplie les wagons-lits, est-ce raisonnable ? Il ne faut pas jouer au riche quand on n'a pas le sous.

Par conséquent, tout assainissement financier mal conduit provoquera inéluctablement une inflation galopante laquelle limitera la demande donc l'opportunité du moindre investissement réduisant à néant les faibles capacités de production malmenées par la triple crise politique, financière et sanitaire, avec comme conséquences le chômage endémique et l'endettement extérieur. Ce sont les populations pauvres qui ne sont aucunement responsables des fautes ou des erreurs commises par leur gouvernement que l'on punit par la misère et la violence du désespoir.

En guise de conclusion, on peut dire que l'exécution des opérations financières de l'Etat joue un rôle déterminant dans l'économie d'un pays. A une exécution saine des opérations financières de l'Etat correspond en général une économie saine quel que soit le niveau ou le type d'organisation. C'est pourquoi depuis les temps les plus reculés, l'un des premiers soucis des castes dirigeantes était d'organiser les finances d'un pays. D'un point de vue historique le Trésor est une institution qui reflète de très près l'état du pouvoir politique et la situation économique d'un pays. A un pouvoir stable et contesté correspond en général une situation saine et un système financier solide. Au contraire, à un pouvoir instable et contesté correspond en général une situation économique de crise, le système financier s'effrite et en même temps se trouve entre les mains de chaque détenteur d'une parcelle du pouvoir. Dans leur conquête du pouvoir politique, les dirigeants se sont, la plupart du temps, efforcé à recueillir l'adhésion des masses populaires pour justifier, voire légitimer la place qu'ils occupent, ils ont très vite compris que le pouvoir politique ne signifiait rien sans le pouvoir financier et ce n'est que par la conquête de ce dernier qu'ils ont pu asseoir leur autorité.

Pour finir, la gestion des entreprises publiques en Algérie ne se pose ni en termes de techniques de planification : centralisée ou décentralisée, impérative ou indicative, autoritaire ou démocratique, ni en termes de restructuration qu'elle soit organique ou financière, ni en termes de management, local ou importé, mais en termes d'intérêts. Dans l'intérêt de qui sont-elles gérées ? Dans l'intérêt de l'Etat ou dans l'intérêt de l'entreprise ? Si c'est dans l'intérêt de l'Etat, est-ce dans l'intérêt de l'Etat en tant que puissance publique et/ou service public ou est-ce dans l'intérêt de l'Etat en tant de propriétaire de l'outil de production et/ou bailleur de fonds ? Si c'est dans l'intérêt de l'entreprise ? De quelle entreprise s'agit-il ? L'entreprise publique ou l'entreprise privée ? Nationale ou étrangère ? S'il s'agit de l'entreprise publique, est-ce dans l'intérêt des travailleurs ou des dirigeants ? S'il s'agit de l'entreprise privée, est-ce celle qui produit ou celle qui spécule ? Si le schéma théorique de la construction de l'Etat actionnaire est sur papier des plus séduisants, il n'en demeure pas moins qu'en pratique, il connaîtra plusieurs déformations. Alors que les réformes avaient pour but de promouvoir un mode de gestion indirect des entreprises publiques pour éviter les tutelles de gestion et toute possibilité de leur résurgence et que les Fonds de participation sont des EPE comme les autres, ils vont, quant à eux, être gérés par le propriétaire à savoir l'Etat. C'est à ce niveau que réside le « vice constitutif » du mode de gestion de participation étatique, en fait de l'exercice ou du non exercice du droit de propriété par ce qui légalement censé être leur assemblée générale commune. C'est cette « structure » qui est le lieu de toutes les interrogations car elle devait normalement constituer le creuset stratégique et le cœur du système de gestion des participations de l'Etat actionnaire. Si le dispositif de 1988 pèche quelque part, c'est parce qu'il n'a pas correctement résolu cette question de l'assemblée générale des Fonds de participation. La réforme n'a pu faire échapper la gestion du secteur public au politique et le confier à des managers professionnels indépendants appréciés selon leurs résultats. La question est de savoir si l'Etat providence, en tant que forme sociale et politique peut continuer à rester le seul support des progrès sociaux et l'unique agent de solidarité sociale. Durant près de deux décennies, l'Algérie a connu une relative croissance économique fondée essentiellement sur la maximisation des ressources pétrolières et gazières. A la faveur d'un contexte de croissance mondiale, l'Etat a même pu entretenir un certain mieux être social ou du moins à faire assumer à la population sans grand dommage le coût des inégalités sociales. Cependant, sous l'effet conjugué d'une triple crise politique, financière et sanitaire, l'intervention de l'Etat dans la vie économique et sociale va se heurter à deux séries d'obstacles :

- l'une est politique : c'est la découverte progressive mais douloureuse par la population, de ce qu'un Etat n'incarne pas nécessairement l'intérêt général ou celui de la majorité, que certains autoritarismes peuvent être d'autant plus inacceptables qu'il ne versent qu'au maintien des privilèges illégitimes et que l'Etat peut s'opposer au développement de la société civile ;

- l'autre est économique : que l'on admette ou non les objectifs qu'elles poursuivent, les stratégies de développement étatique se révèlent profondément inefficaces : lourdeurs bureaucratiques, irresponsabilité dans la gestion, absence d'incitation à la production, étranglement de la liberté d'initiative, dispositions irrationnelles et arbitraires dans les rapports de prix, déficit chronique des entreprises publiques, les entreprises publiques sont devenues des consommateurs des recettes d'hydrocarbures et ont hypothéqué l'avenir du pays. La réforme accorde une autonomie de gestion à l'entreprise et la responsabilité civile et pénale des administrateurs et des gestionnaires. Une liberté de choix est laissée à l'entreprise pour mettre en œuvre la stratégie d'exécution de son plan à moyen terme. Dans ce cadre, l'entreprise est tenue à une obligation de résultats pour faire face à ses engagements et prendre en charge son développement. Cette nouvelle situation juridique a fait du premier personnage de l'entreprise, un véritable patron public d'où une gestion privatisée des ressources nationales sans privatisation de la propriété, c'est-à-dire sans courir le risque du patron privé de perdre ses capitaux en cas de faillite de l'entreprise, l'Etat est là pour renflouer l'entreprise publique déficitaire, c'est-à-dire à faire payer à la collectivité la propension difficilement maîtrisable, dans de pareils cas au gaspillage, à la dilapidation et la dissipation. On ne saurait jamais insister sur le fait que le management professionnel n'aura aucun sens sans pouvoir effectif ; c'est en disposant d'un pouvoir que le management professionnel pourrait être responsable de l'efficacité, ce qui en retour nécessite des critères de performances clairement définis. L'Etat en Algérie se caractérise par l'inefficacité de la gestion publique et ses corollaires : la violence interne et la dépendance externe. Même dans l'hypothèse favorable d'un pouvoir relativement stable, ce pouvoir se révèle largement impuissant à réaliser les objectifs qu'il s'est fixés, à cause de l'inefficacité de son administration et lorsqu'il parvient à réaliser ses objectifs, c'est au prix d'un gaspillage effrayant. Cette inefficacité de la gestion étatisée est due, nous semble-t-il, à l'incompétence et à la corruption des dirigeants qu'ils soient des dirigeants politiques ou des dirigeants d'entreprise. Cette corruption est d'autant plus importante, qu'à la corruption financière liée au développement de l'économie monétaire et marchande se combinent des formes de corruption qui trouvent leurs origines dans des solidarités plus ou moins tribales. Le loyalisme premier à l'égard de la famille engendre un népotisme qui imprègne les entreprises étatisées. Le clientélisme, reposant sur l'échange entre personnes contrôlant les ressources inégales est partout roi. C'est un fait établi, l'Etat en Algérie est un Etat sous-développé. Le sous-développement économique est une réalité globale multidimensionnelle. On peut parler de sous-développement politique comme on peut parler de sous-développement économique ou culturel. La précarité de l'Etat est telle que toute tentative de développement auto-centré, qui dépasse les exigences de profit des élites au pouvoir est généralement perçu par celles-ci comme un manque à gagner ou une menace. Ce qui compte, avant tout, c'est le maintien du statu quo même si cette situation engendre les germes de sa propre destruction ou liquidation. Cette élite «pseudo-moderniste», culturellement aliénée, extravertie, modelée par la culture européenne apparente et de bas-étage, échappe difficilement au piège des modèles étrangers, en particulier, sur le plan des institutions, du pouvoir et du développement. Cette fraction de la société qui détient le pouvoir administratif et donc le pouvoir économique, qui a seule les moyens de consommer les produits importés, surtout de luxe, qui a seule la parole, c'est l'Algérie officielle. Elle se donne en modèle aux couches populaires, elle présente à l'étranger une image très embellie des réalités nationales. Elle prononce des discours sur la souveraineté et sur le développement tout en tirant profit de la dépendance et du sous-développement du pays.

*Docteur