|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Ces derniers jours les
Algériens principalement les salariés et les retraités éprouvent d'énormes
difficultés à effectuer des retraits en espèces auprès des Agences postales et
même bancaires. Sous une chaleur accablante, les titulaires de compte CCP font
des chaînes interminables pour retirer de l'argent sans être assurés d'en
disposer. Les plus chanceux d'entre eux jettent un triste regard sur leur
maigre pécule et réfléchissent sur la manière de boucler les fins de mois. Ils
savent qu'ils ne sont pas au bout de leurs peines car ils doivent également
faire la chaîne pour acheter le lait, régler la facture de Sonelgaz,
etc. Au moment où ils sont invités à respecter les gestes barrières pour se
préserver contre une contamination par le coronavirus, ils sont mis dans une
situation qui les oblige à braver ce danger pour faire face aux dépenses de l'Aid El Adha.
Il est regrettable de constater que la première institution concernée par cette question en l'occurrence la Banque d'Algérie n'a pas exprimé de réaction, laissant l'initiative au ministre des Finances et au DG d'Algérie Poste. Ce dernier a reconnu une baisse de 15% des liquidités au 1er trimestre 2020, comparativement à la même période, en 2019. Cette variation est trop importante pour accepter l'explication qui met en avant un problème de logistique et d'insuffisance de personnel mis en congé à cause de la pandémie et en supposant que cela soit vrai, les pouvoirs publics avait toute latitude de prendre les devants pour éviter les situations malheureuses apparues à l'approche de l'Aid. Le gouvernement par la voix du Premier ministre décide de communiquer sur cette situation et évoque des actions de déstabilisation perpétrées par des forces qui restent à identifier. L'argumentaire présenté pour justifier le manque de liquidités procède d'une démarche qui biaise le débat et occulte les déterminants de cette crise qui n'a rien de fortuit. Qu'en est-il au juste et peut-on apporter une autre explication à cette situation ? Deux raisons essentielles peuvent être avancées, la première est liée à la conjoncture économique et la seconde renvoie à des facteurs structurels. En premier lieu, la pénurie de liquidités est la conséquence de la conjoncture économique impactée par la pandémie Covid-19. S'il y a un premier reproche à faire, c'est d'abord au gouvernement et aux institutions financières notamment la banque d'Algérie qui n'ont pas anticipé les effets induits par les difficultés économiques et financières du pays aggravées par la crise sanitaire. L'arrêt de l'activité économique a provoqué une baisse importante des rentrées fiscales et des excédents de trésorerie des entreprises qui sont, habituellement, placés dans les banques, le Trésor et Algérie poste. De nombreux travailleurs privés de leur emploi puisent dans leur épargne pour face aux dépenses courantes et cela entraîne des retraits d'argent plus élevés. En d'autres termes ce sont des sources importantes d'alimentation en liquidité des institutions financières qui se sont taries. Les pouvoirs publics ont manqué de vigilance pour ne pas avoir anticipé cette évolution et réagir à temps en prenant les mesures qui s'imposent. L'assouplissement des conditions opéré par la Banque d'Algérie pour atténuer les contraintes induites par l'arrêt de l'activité économique n'a pas produit les effets escomptés notamment sur la liquidité. Cette issue était prévisible car l'approvisionnement de l'Economie nationale en liquidités obéit à des règles strictes. La création de monnaie est un processus complexe qui fait intervenir les banques commerciales et le Trésor et cela est valable pour tous les pays. Il n'est pas aisé d'aborder ce sujet avec simplicité dans une contribution destinée à un large public, il convient donc de le traiter dans un cadre général. Dans l'imaginaire populaire, la monnaie que chacun d'entre nous utilise dans la vie de tous les jours est constituée de billets et les pièces mis en circulation pat la Banque d'Algérie. La Banque centrale peut imprimer une montagne de billets et tant que ces derniers demeurent stockés, ils ne sont pas identifiables à de l'argent. Les billets imprimés se transforment en moyens de paiement lorsqu'ils sont cédés par la Banque centrale aux banques commerciales et au Trésor en contrepartie d'actifs qu'ils détiennent et qui sont représentatifs des crédits accordés aux entreprises, à l'Etat et les avoirs en devises. A titre d'illustration, lorsque les banques financent les investissements des entreprises, elles disposent, dans leur portefeuille, des titres qu'elles peuvent céder à la Banque d'Algérie pour se procurer de la liquidité. Or il se trouve que l'arrêt de l'activité économique aggravé par la crise sanitaire ne stimule pas l'investissement et par conséquent les entreprises sont moins enclines à solliciter des emprunts. La diminution de la demande de crédits affecte la capacité de refinancement de nos banques auprès de la Banque centrale et le canal d'approvisionnement en liquidités par le biais des crédits à l'économie s'en trouve affecté. Si la machine économique reste grippée, la crise de liquidités risque d'atteindre un seuil alarmant et peut évoluer vers une crise monétaire durable. La seconde raison majeure de la pénurie de l'argent en espèces a pour origine des facteurs structurels qui minent en profondeur l'Economie algérienne. Elle renvoie à l'incapacité de tous les gouvernements qui se sont succédé, à mobiliser l'argent en circulation pour le canaliser vers les institutions financières. Cette tare de l'économie perdure depuis des lustres et cela en dépit des multiples solutions mises en œuvre. Au préalable il y a lieu de savoir s'il est possible de quantifier la quantité de monnaie en circulation c'est-à-dire la monnaie qui se trouve en dehors du système bancaire et du circuit postal. La réponse est oui et ne souffre d'aucune équivoque, n'en déplaise à certains. Pour connaitre le montant des billets en circulation, il suffit de consulter le bilan de la banque d'Algérie qui est publié, mensuellement, dans le Journal officiel. Ainsi au 31décmbre 2019 ce montant s'élevait à 5508,9 milliards de DA (27% de la richesse nationale créée en 2018) et il a augmenté de 10,5% par rapport à 2018. C'est une évolution à contre-courant de la tendance qui prévaut dans la plupart des pays qui ont opté de manière systématique pour des stratégies de substitution des systèmes de paiements électroniques au détriment de l'espèce. Le développement de la monnaie fiduciaire matérialisée par les billets en circulation dans notre pays dénote de l'échec des politiques adoptées en faveur de la promotion de la monnaie scripturale ; c'est le triomphe des adeptes de la « chkara ». Pour se dédouaner de cet échec, les responsables font le reproche aux Algériens sans distinction de privilégier les billets comme moyen de paiement au détriment du chèque, des effets de commerce, de la carte bancaire et du porte-monnaie électronique. Ils sont également rendus responsables de pratiques de thésaurisation, c'est-à-dire le fait de garder leurs encaisses monétaires dans des bas de laine. Qui détient les 5508,9 milliards de DA qui échappent aux institutions financières et qui représentent un sérieux facteur de déstabilisation de l'économie nationale ? C'est la grande question à laquelle aucune réponse précise n'a été apportée à ce jour par le discours officiel. Selon certaines estimations la petite et moyenne épargne représenterait 40% de la quantité de monnaie en circulation et cela paraît plausible lorsqu'on sait que les revenus de la grande majorité des salariés et des retraités suffisent à peine à assurer la survie des familles et ne dégagent aucune épargne susceptible d'être thésaurisée. Si l'on exclut donc la catégorie des faibles revenus, il reste donc près de 3300 milliards de DA qui sont en dehors des institutions financières. Des mesures ont été prises pour attirer ces capitaux vers les banques dont les plus importantes sont une première loi qui a imposé le chèque pour les transactions dont la valeur est supérieure à 50.000 DA, ensuite une deuxième loi qui fixe ce seuil à 500.000 DA. Ces deux tentatives ayant lamentablement échoué avant même leur entrée en application, le ministère des Finances revient à la charge avec un décret qui rend obligatoire l'utilisation du chèque pour les montants supérieurs à un million de dinars à partir de juillet 2015. Au cours de la même année, le gouvernement prend une mesure de bancarisation des capitaux qui se trouvent dans la sphère informelle en proposant à leurs détenteurs un programme de conformité fiscale volontaire. Les sommes déposées, dans ce cadre, auprès des banques par toute personne, quelle que soit sa situation, font l'objet d'une taxation forfaitaire libératoire au taux de 7%. En dépit des avantages accordés, cette mesure est restée sans effet pour la simple raison que l'argent qui circule dans la sphère informelle est la contrepartie de la prédation économique organisée sur une grande échelle par de puissants groupes oligarchiques qui ont pris en otage l'économie nationale. L'usage du chèque ou des moyens de paiement électronique impose la traçabilité et la transparence des transactions commerciales et financières et d'où l'hostilité manifestée à leur égard. Le secteur informel est devenu le réceptacle de ressources financières illicites engendrées par la fraude fiscale, la corruption, la spéculation sur le foncier et l'immobilier, les fonds qui animent le marché parallèle de la devise, le trafic de drogue, etc. L'argent qui circule dans l'économie souterraine est le résultat des pratiques d'une grande délinquance financière qui a gangréné l'ensemble des institutions et rendu caduque toute velléité de réforme. La capacité de nuisance de ces lobbys financiers qui a largement profité de la rente est telle que les instruments de politique monétaire et les investissements réalisés pour assurer la promotion des paiements électroniques demeurent sans efficacité. L'économie informelle représente une source importante des sorties d'argent du circuit bancaire et installe ce dernier dans une situation de besoin de liquidités dont la satisfaction dépend des interventions de la Banque d'Algérie. Ce type d'action a l'inconvénient d'augmenter la quantité de monnaie en circulation et devient une source d'inflation dans un contexte de récession économique. Les mesures de replâtrage d'ordre économique et financier ne produisent aucun impact sur des structures socio-économiques qui sont figés par un système politique obsolète. Il est utopique de penser que le démantèlement des lobbys prédateurs passe par la permutation ou le changement du personnel dirigeant dans toutes les institutions. C'est faire preuve d'angélisme que de prétendre réaliser le changement tout en continuant à s'accommoder des conceptions politiques et idéologiques qui ont conduit le pays vers la débâcle. C'est peut-être à ce niveau que réside la grande divergence entre le pouvoir politique qui exprime la volonté de réformer sans porter atteinte aux fondements du système en place depuis des décennies et la revendication du Hirak qui appelle au changement de système. |
|