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De la galerie des
personnages du dernier roman de Yasmina Khadra, Zine, subalterne d'un
inspecteur, retient l'attention. Parce qu'il est parmi les rares survivants de
ce roman.
Nora, la commissaire, a été assassinée dans son propre appartement. Guerd, l'inspecteur, un peu ripoux sur les bords, est décédé dans un accident douteux. Mais ce qui distingue davantage Zine, attachant dans le roman de par ses élans de sympathie à l'endroit de Nora, c'est qu'il a apporté un élément de réponse à la question servant de titre au roman «Qu'attendent les singes», paru chez Julliard. Corrodé par cette question, son ami Sido, le journaliste dont l'épouse fût enlevée par le terrorisme avant qu'il sombre dans la dépression et se retire dans une bicoque à côté de la mer, s'immole faute de réponse. Un autre intérêt que représente Zine, c'est qu'il renvoie à d'autres personnages dans d'autres romans de Y. Khadra. Notamment à la femme du médecin palestinien socialement bien installée en Israël et qui commet un attentat suicide. L'auteur, pour des raisons jamais élucidées ne l'a qualifié ni de terroriste ni de chahida. Il laisse Zine dans ce même flou, dans une sorte de no man's land où lui-même ne s'y retrouve pas. A la fin, le lecteur s'interroge s'il faut attribuer à Zine le qualifiant de meurtrier ou au contraire de redresseur de tort puisqu'en fin de compte il a débarrassé le pays d'un monstre investi de pouvoirs faisant et défaisant des fortunes, des carrières et des trajectoires humaines, en l'occurrence le vieillard Hamerlaine. Autre détail se rapportant à Zine et méritant d'être relevé : il recouvrira sa virilité juste après avoir accompli son acte contre le vieillard. Virilité qu'il avait perdue suite à une embuscade où un nombre de ses camarades avaient laissé la vie. Le petit bout de bois et le petit caillou ramassés dans les décombres de la mansarde de Sido et qui ont été introduits dans la chair du vieillard confère à cette élimination physique un caractère symbolique aux yeux de son auteur. Ce qui nous autorise à dire qu'il s'agit bel et bien d'un acte sacrificiel, prémédité. Une œuvre de salubrité publique aux yeux de son auteur, récompensée par le silence des valets de Hamerlaine et l'habillage fourni par les médias. Dans ce roman, tous les personnages portent un stigmate. Nora, la commissaire, intègre et forte de caractère mais lesbienne. Ed Dayem, magnat de la presse, lucide et conscient que les choses évoluent à l'encontre des volontés et désirs du clan dont il est le suppôt, mais manque de courage. D'ailleurs à la fin du roman il va disparaître jusqu'à se faire oublier. Hamerlaine, potentat très cultivé et rusé comme un renard, mais ravagé par le vice. Guerd, inspecteur de police obnubilé par la sexualité de son supérieur Nora et par le désir de polluer l'existence de Zine qu'il jalouse. Sonia, celle qui partage l'appartement et le lit de Nora, droguée, prostituée, cupide et ne connait pas le sens de la reconnaissance. En échange de quelques chimères, elle consentira à compromettre sa bienfaitrice. D'autres personnages feront leur apparition au fil des chapitres et se feront remarquer soit par leur cynisme ou par leur cruauté ou par servilité. Le cas d'un ex sénateur qui envoie son épouse offrir ses charmes à un vieillard au crépuscule de l'existence dans l'espoir d'être désigné parmi le tiers présidentiel dans la première Chambre. D'une manière globale, la mort, les complots, l'intrigue, le vice, meublent tous les recoins de ce roman. Même le style est un peu sec. En tout cas dépourvu de toute propension au lyrisme. Les réparties entre les personnages, notamment les policiers, sont proches du vocabulaire argotique. Le cadre n'échappe pas à la sinistrose : même l'intérieur de la villa de Hamerlaine se trouvant à Hydra, lieu de résidence de la nomenklatura, manque de gaieté et d'entrain. Parce que le pouvoir dont il est investi et dont il use et abuse requiert la sobriété, la pénombre et l'élimination de toute trace de fantaisie. En face de cet univers marqué par le cynisme et la cruauté, un autre surgit une seule fois dans l'espace du roman. Celui de la foule des anonymes qui n'ont pas perdu leur humanité. Il émerge lors de l'enterrement de Sido qui s'est immolé. D'ailleurs, à ce moment là, l'écrivain se laisse aller à des considérations élogieuses concernant l'Algérien et sa nature généreuse et compatissante. Le qualificatif de primates évoqué dans le titre ne les concerne pas. Il vise plutôt les Hamerlaine et ceux qui gravitent dans sa galaxie. Le roman a été rédigé quelques mois avant que l'auteur ne manifeste son désir de s'engager dans l'aventure des présidentielles. Il laisse transparaître l'état d'esprit de celui qui décide de rompre les amarres avec un système dont on ne peut pas dire qu'il est une des victimes. Le roman ne comporte aucune analyse politique de la situation algérienne actuelle. Il fournit des cas illustrant la décomposition des institutions de la République. Il est plus moralisant qu'autre chose. On ne peut pas avancer que «Ce qu'attendent les Singes» constitue un tournant dans la trajectoire littéraire de Yasmina Khadra. Il témoigne d'un moment où l'auteur ne berçait pas dans l'optimisme. Les relations amoureuses des personnages de ce roman en disent long sur ce déficit d'optimisme de l'auteur. Au bout du compte «Qu'attendent les Singes» pour se retirer ? Hamerlaine est au déclin de sa vie puisqu'il a fêté son quatre vingt septième anniversaire. Et Ed Dayem est suffisamment riche pour pouvoir s'éclipser dans un pays étranger et couler des jours paisibles. Autrement, c'est le règne des dépassements, voire du chaos. L'enquête de Nora n'aboutira pas parce qu'elle lui a été retirée par son supérieur hiérarchique et surtout parce qu'elle a été éliminée physiquement en cours de route. Elle comptait aller au-delà de la décision de son chef et vérifier ses intuitions qui menaient tout droit à la colossale villa de Hydra. C'est Zine, excédé par ce qu'il a découvert lors de cette enquête et par l'absence de justice qui se chargera de réparer les torts. En devenant meurtrier? Voilà ce qui adviendra si les singes persistent à vouloir diligenter l'existence des autres? |
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