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1ère partie
En parcourant l'article «l'Engagement dans l'art dramatique» publié dernièrement dans le Quotidien d'Oran(1), article dans lequel l'auteur met en exergue l'engagement du théâtre algérien dans la lutte de libération, nous avons relevé dans cette étude au demeurant fort intéressante, quelques inexactitudes -devenues hélas et malheureusement bien récurrentes - quant au volet consacré au grand dramaturge et metteur en scène, le regretté Ould Abderrahmane Abdelkader dit Kaki (1934-1994). En effet, l'auteur écrit que Kaki «est d'abord membre de la troupe amateur «Es Saidia» de 1947 à 1948, puis passant à l'étape suivante, il crée avec Abdelkader Benaissa la troupe «El Masrah» qui deviendra le célèbre «masrah el garagouz». Il en assumera la direction de main de maître jusqu'à l'indépendance»? Nous saisirons cette opportunité pour rétablir certaines Vérités, en essayant de répondre à ces assertions et éclairer par la même occasion la lanterne de l'auteur en élaguant ce passage de certaines contre-vérités concernant le parcours artistique et l'œuvre de Ould Abderrahmane Kaki. Pour ce faire nous nous référerons aux écrits de feu Benaissa Abdelkader (1924-2002), considéré à l'époque par Serge Durrieux, journaliste à Echo ?Dimanche, comme l'homme lige d'es-saidia. En effet, en nous rapportant à son opuscule «Annales mostaganémoises 1952 ?1962» (2) et en opérant des recoupements avec les témoignages des anciens pensionnaires d'Es-Saidia (Bensaid Mekki régisseur de la troupe et comédien ; Mohamed Tahar compositeur et comédien ; Bentriki M'hamed et Mezadja Bouzid musiciens et comédiens) il ressort nettement que : 1- Kaki n'était pas membre d'Es-Saidia en 1947, pour la simple raison que cette troupe n'était pas encore reconstituée à cette date. Car en effet si sa création remonte à 1938 (son appellation est un hommage à Sidi Said El Bouzidi Errachidi, saint patron de la ville de Mostaganem), cette «société» fit long feu car contrainte aussitôt à l'arrêt par l'irruption de la seconde guerre mondiale, ce qui eut pour effet de briser la dynamique d'une association qui s'évertuait à échafauder maints projets. A cette époque, son ambition se limitait à la préservation du patrimoine immatériel local (us et coutumes, melhoun, musique andalouse et chaabi ?). Il n'y avait pas encore à proprement parler de troupe musicale et le théâtre n'était nullement dans sa ligne de mire. Le 08 mai 1945, jour de la victoire contre le nazisme, les massacres commis par la France coloniale à l'encontre des populations algériennes sorties pacifiquement manifester pour l'indépendance de l'Algérie, ne constituait nullement une conjoncture propice à la reprise de ses activités. Il faudra attendre 1952 pour que cette association renaisse de ses cendres, sur l'instigation de Abdelkader Belhamissi (normalien, membre du club des poètes, membre fondateur du groupe scout «El Falah» et d'«Es-Saidia» de 1938), qui soumettra l'idée à Benaissa Abdelkader (professeur de langue arabe, lauréat de djamaa Zitouna et grand féru d'art) et au musicien et compositeur Mohamed Tahar, chef de la section musicale du Fawdj El Falah. Cette rencontre est relatée dans l'ouvrage en question (Page 66) : «je fis la rencontre de monsieur Belhamissi et il m'exposa l'objet de son désir, à savoir : faire sortir la musique de l'ornière où celle-ci s'enlisait. En tant que président de l'association, celui-ci m'offrit la direction artistique, et ce, après une discussion étendue et après qu'il y eut une identité de vue sur l'objectif à atteindre». Au départ, la troupe musicale qui prendra ses quartiers au Derb, sera composée des musiciens Abdelkader Bensaid ; Mohamed Bennegouch, Charef Bettadj, Mohamed Benabdelkader dit Mohamed boulanger, Lagraa Charef, Mustapha Remaci, Ahmed Benacer? et bientôt renforcée par Mezadja Bouzid, Bentriki M'Hamed, Beladjine Hamou Cheikh, Benaichouba Benabdellah, Boukhedouma Lakhdar, Abbou Bouasria, Benyekhou Rachid, Benkartaba Toufik, Maazouz Bouadjadj ? D'après nos sources, c'est vers 1953 que Ould Abderrahmane Kaki rejoint «Es-Saidia» et ce, sur les instances de son ami le compositeur Mohamed Tahar, ancien scout, et de Benaissa Abdelkader le directeur artistique, car ce dernier - véritable esprit éclectique - prévoyait d'y créer, malgré l'exiguïté des lieux, une section de théâtre parallèlement à un atelier d'art plastique. Kaki en jeune prodige commence à se faire connaître dans le fawdj el falah comme acteur, auteur et metteur en scène, y côtoyant son mentor Benabdelhalim Mustapha dit «Si Djillali» (1920-1990), responsable du théâtre scolaire au sein du PPA-MTLD, créateur de la troupe «El Badr», auteur également de pièces («Le Dentiste atomique», «Moudjrimoun em la ?», «Zwadj Ber Ridha») (3) et qui sera dans les années soixante, le principal promoteur du festival du théâtre amateur de Mostaganem. 2- L'histoire du théâtre algérien étant très riche et ses différents repères suffisamment bien balisés, nous nous astreindrons en ce qui concerne «Es-Saidia», à respecter la chronologie des évènements afin de ne pas écorner la vérité et par la même «rendre à César ce qui appartient à César». Comme écrit plus haut ce sont trois personnalités de l'art qui remettront dès 1952, Es-Saidia sur les rails : Abdelkader Belhamissi, Benaissa Abdelkader et Mohamed Tahar, dont l'attitude toute en noblesse est bien explicitée par Benaissa Abdelkader dans son ouvrage (page 67) : «notre désir d'aboutir, nos rêves, le souci de se dépasser ; notre ambition d'être autre chose que nos camarades qui déambulaient à travers les rues ou qui s'adonnaient à des voies que la morale réprouve. Cet ensemble de sentiments nous servaient de stimulant et nous faisait accepter les sacrifices inhérents à tous ceux qui aspirent à un lendemain meilleur». 3- L'auteur de l'article nous apprend que «Kaki crée avec Abdelkader Benaissa la troupe El Mesrah qui deviendra le célèbre Mesrah El garagouz ?» (!) Encore un raccourci qui dénote une méconnaissance de l'histoire d'Es-Saidia. Là encore, il nous faudra expliquer pourquoi El Mesrah et pourquoi Mesrah El garagouz. Ce dernier est-il une évolution «naturelle» du premier comme le laisse supposer le texte ou n'est-ce plutôt que le résultat d'une scission qui obéissait à une conjoncture particulière ? Alors pourquoi tout d'abord «El Mesrah» ?. Revenons aux écrits et voyons ce qu'en pense Benaissa Abdelkader (page 68) :«El-Mesrah, formation musico-théâtrale, est née (en 1959) d'une situation conjoncturelle. Il devait participer à la lutte armée et la servir dans toute l'acceptation du terme : collecte de fonds grâce à ses spectacles afin de pourvoir aux allocations des familles de djounouds, collecte de renseignements, collecte de médicaments et d'habits? Le local de ladite association était devenue la plaque tournante de l'activité artistique militante de l'OCFLN». Toute cette «activité» était rendue possible de par la position insoupçonnable d'Es-Saidia dans le cercle artistique de la ville mais aussi par les liens professionnels et amicaux qu'elle entretenait avec les groupes européens. Et continuant plus loin, il précise «?je me permets d'avancer que la différence entre l'appellation Es-Saidia et El ?Masrah résidait surtout dans la forme juridique et administrative, et rien de plus? El-Masrah est seulement l'appellation semi-professionnelle d'Es-Saidia ». On en déduit donc que les fondateurs d'«El ?Mesrah» et ceux d'«Es-Saidia» (celle de 1952), sont en fait les mêmes puisqu'il s'agit en vérité de la même troupe et que le changement réside seulement dans la dénomination. Dans une réponse au journaliste serge Durrieux (4), Benaissa abdelkader explique clairement cette nuance «Es-Saidia est une troupe d'amateurs subventionnée par l'inspection des mouvements de jeunesse et par la municipalité de Mostaganem. Son surgeon, si j'ose dire, est la troupe El Mesrah dont je suis l'unique responsable et qui a l'ambition de devenir semi-professionnelle et par conséquent, commerciale». Nous ressentons à travers cette «forme juridique», tout d'abord le souci de son directeur de s'affranchir de l'emprise de l'«inspection» et de son «droit de regard intentionné», mais aussi - et on le comprendra pourquoi - de ménager son escarcelle en essayant d'échapper à l'imposition annuelle, s'inspirant, pour ce faire de la troupe française, «le Grenier de Toulouse» laquelle s'était constituée en société coopérative ouvrière de production, régie donc par un régime spécial (en responsable avisé, Benaissa Abdelkader s'arrangea pour se procurer une copie des statuts). Et afin de garantir le nerf de la guerre aux djounouds, El-Mesrah troupe musico-théâtrale s'obligera à organiser jusqu'à neuf représentations par an à travers toute l'Oranie, programmes que ses abonnés achetaient à l'avance. Le fisc s'en mordait les doigts. Ces économies substantielles serviront à renflouer dans le plus grand secret les caisses de la révolution (précisons que dans les coulisses de cette action clandestine, seuls deux membres du comité directeur étaient au courant de l'engagement de la troup : le président Abdelkader Belhamissi et le trésorier Bekhlouf Belkacem). Et cet engagement était tel qu'«El-Mesrah» - qui se préparait fébrilement à intégrer la troupe artistique du FLN - tentera de joindre en septembre 1961 le GPRA «en vue de proposer à notre gouvernement, le ralliement spectaculaire de la troupe El-Mesrah à la lutte armée» comme le dévoilera plus tard Benaissa Abdelkader. Dans ce but et prenant prétexte d'une invitation au Festival de théâtre de Bruxelles, Benaissa Abdelkader accompagné du musicien Benkartaba Toufik partent en éclaireurs vers la Belgique. De là, pour ne point éveiller les soupçons, ils transitent par l'Allemagne avant de rallier la Suisse, escomptant sur Benahmed Mohamed, un étudiant mostaganémois, chef de cellule FLN à Lausanne pour y rencontrer Abdelhamid Mehri, ministre des affaires sociales dans le 2éme GPRA, ancien responsable PPA à Tunis et ancien chef hiérarchique de Benaissa Abdelkader du temps où ce dernier était étudiant à Djamaa Zitouna et activait dans le PPA- MTLD de Messali Hadj. Mais contre toute attente, ce représentant de l'ex UGEMA (Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens), les informe qu'un changement de gouvernement (3éme GPRA) a eu lieu et que Mehri qui n'y figure pas, n'est plus à Genève. Benaissa Abdelkader laisse alors à son contact «une lettre explicative, à remettre aux frères». En novembre 1961, soit quelques semaines après leur retour au pays, Benaissa Abdelkader et Benkartaba Toufik sont arrêtés après l'attentat qui eut lieu aux «citronniers» (quartier d'El Arsa de Mostagamen) (5). A suivre. *Médecin Radiologiste, Mostaganem Notes : (1) Article de Mr Mohamed Ghriss publié dans le «Quotidien d'Oran» le 15 juillet 2012 (2) «Annales mostaganémoises 1952-1962 ou l'Art au service de la patrie», opuscule édité par l'imprimerie Sidi Charef (Mazagran W. Mostaganem) (3) Dans «Zwadj Ber Redha», qui obtint en 1950 le 1er prix au festival du théâtre amateur d'Alger, l'auteur Benabdelhalim usant de métaphores fera dire à l'un de ses protagonistes fellah : «Il ne faut pas laisser le parasite nidifier dans nos terres, car à la longue il corrompra toutes nos cultures et il sera alors difficile de s'en débarrasser», allusion à peine voilée à l'occupant. (4) Journal Echo Dimanche du 21/11/1959 p 5 (5) Voir «Les Senteurs de mon pays» de Benkartaba Toufik p 127/Dar El Gharb 2006 |
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