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Vaincue par la maladie, cette impavide universitaire s’éteint sereinement dans sa maison, entourée des siens et de ses proches. Se répandant très rapidement la triste nouvelle meurtrit nos cœurs et libère nos larmes.
Cette cruelle disparition est ressentie avec une vive émotion par un immense public qui, impuissant, assiste au départ prématuré d’une chère amie. En ce matin de juillet 2012, Madame Ouhibi-Ghassoul Nadia s’en va discrètement, semant le désarroi dans le milieu universitaire et estudiantin et le deuil au sein de sa famille. Dès sa prime jeunesse, elle a le sentiment de sa propre importance, sans doute, profondément influencée par son grand-père. En 1892, frais émoulu de la prestigieuse Ecole Normale d’Instituteurs de Bouzaréah, dont sortiront Mouloud Feraoun et Emmanuel Roblès, M. Mohamed Ghassoul reçoit sa première nomination à Frenda. Issu d’une vieille souche mascarienne, il s’enracine dans cette ville, parmi une population aimante et hospitalière à l’égard de celui qui va instruire ses enfants. Son nom est symboliquement lié à celui de l’éminent islamologue, M. Jacques Berque qui, plus tard, adressera une pieuse pensée à son maitre, à celui qui assouplit ses menottes en l’initiant à l’écriture fleurie du XIXe siècle avec ses pleins et déliés, à la traditionnelle encre violette. Nadia est fille unique d’une fratrie de trois garçons : aussi est-elle adulée par son père dont elle subit, plus tard l’ascendant dans le choix de sa carrière. Féru de littérature française, celui-ci parle un français châtié, académique. Donc, dès l’enfance, s’esquissent en elle, les traits qui dominent sa pensée, et plus tard, son action universitaire. Enfant sérieuse et ardente, elle s’imprègne profondément des divers enseignements qu’on lui prodigue et y adhère avec une certaine passion, qu’il s’agisse de l’école primaire, moyenne ou secondaire. Après de solides études, elle entame son cursus universitaire et se fait remarquer par son assiduité et ses brillantes notes. Après quatre années d’un dur labeur, ses efforts sont couronnés par l’obtention d’une licence en langue française. Aussitôt, elle entame sa carrière, en tant que professeur de littérature dont elle connait tous les méandres, l’origine et les subtilités de la langue: elle apprécie les auteurs du Moyen Age avec la littérature féodale, (les Chansons de geste, les Romans, la poésie lyrique, l’Histoire.) la littérature bourgeoise (la poésie satirique, didactique et morale) et le théâtre. L’époque de la Renaissance ne lui est pas inconnue et elle découvre, avec intérêt, les traductions et les travaux sur la langue, la poésie avec la Pléiade enfin la prose et les auteurs comme Rabelais et Montaigne. A fond, elle étudie Le XVIIe siècle et les réformes réalisées par Malherbe et Balzac, c’est également, l’Académie française fondée par Richelieu et qui régente le monde des lettres. C’est aussi Descartes, Pascal et Port Royal. Son émerveillement se manifeste, tout d’abord, pour le XVIIIe, le siècle des Lumière, ensuite pour le XIXe où les écrivains de la nouvelle école proclament le principe de la liberté littéraire. (Lamartine et Victor Hugo). Quant à la littérature du XXe siècle, elle en connait tous les méandres et courants de l’époque. Certains étudiants témoignent, en confiant que ce professeur se distingue par la rigueur avec laquelle elle s’impose devant son auditoire, par son savoir et ses cours méthodiquement préparés. Ils ajoutent que sa sympathie exerce, sur eux, un certain attrait ainsi que sur ses collègues Les témoignages, en ce sens, abondent, néanmoins, nous ne soumettons, qu’un seul, bien édifiant, à votre lecture «à Madame Ouhibi, plus qu’une enseignante, une dame de cœur, à qui je voue une admiration sans limite. Je remercie Madame Ouhibi Nadia-Bahia, pour ses multiples conseils »(1) Parallèlement, à sa carrière d’enseignante, guidée par une ambition, tout à fait, légitime, à vouloir accéder aux plus hautes fonctions de l’enseignement, elle conduit à terme ses recherches, présente un DEA et termine par l’obtention d’un Doctorat d’Etat en littérature française. Son dynamisme et son esprit entreprenant la valorisent aux yeux de ses supérieurs, ce qui lui vaut d’être nommée chef de département de français Nous distinguons deux temps forts dans la vie de cette universitaire. D’une part, Nadia se consacre entièrement à la recherche en science des textes littéraires. Pour elle, les contacts et les échanges culturels tiennent, d’ailleurs, une place prépondérante dans les rapports qu’elle entretient avec les autres. Madame Ouhibi reçoit de nombreux étudiants, venus des quatre coins de l’Oranie, établit, méticuleusement, un programme d’activités qu’elle s’applique à respecter scrupuleusement. Faisant preuve d’une énergie inépuisable, elle assure la soutenance, entre 1995-1998, de neuf magistères en littérature magrébine, littérature comparée et en didactique. Elle écrit : «dès l’ouverture des magistères à l’Institut des Langues Etrangères, au Département de Français en 1994, un certain nombre de thèses ont vu le jour en littérature générale, maghrébine, comparée et en didactique : travaux qui permettent de poursuivre la réflexion sur le signe linguistique, sur le signe maghrébin, sur l’écriture et sur l’apprentissage du français en classe de langue. » (1)bis Son souci majeur est de développer la recherche en littérature ; infatigable, pleine de vie, elle assure en 2000, la soutenance de cinq magistères. Elle résume son inquiétude dans l’extrait suivant : «la littérature au centre des préoccupations, continue d’interpeler les étudiants et les chercheurs, sur des questions aussi théoriques que pratiques, portant le débat sur les notions : espace- texte-écriture-oralités- codes- traduction.» (2) Après expertise minutieuse des travaux soumis à sa lecture, Madame Ouhibi-Ghassoul rédige des rapports de thèse savamment structurées, faisant preuve de clarté et de rigueur dans son jugement. Sa renommée enjambe les frontières et la conduit dans les plus grandes universités de France. Elle est, alors souvent, conviée à des colloques et participe aux débats. Ses critiques sont pertinentes et ses arguments, lorsqu’elle a une vision à défendre, sont percutants. D’une élégance raffinée, courtoise dans son comportement, Madame Ouhibi se distingue par sa démarche alerte, sa taille élancée, ses cheveux noirs de jais et ne se différencie en rien de ses collègues de la Métropole. Souvent interpelée pour faire des conférences, notre conférencière dévoile son talent d’orateur dont l’éloquence, servie par une culture très étendue, sait revêtir une forme harmonieuse, devant un auditoire sélectionné qui boit avidement ses propos. Accroché à ses lèvres, son public apprécie la parfaite maitrise de sa pensée, de ses émotions, de son langage fondé sur la précision et la rigueur. On ne se lasse jamais de son ton didactique et oratoire. Sa voix prend des fluctuations, ponctuée par les éléments prosodiques : rythme, accentuations, intonation. Par son travail acharné Madame Ouhibi se forge une personnalité culturelle et une réputation incontestable. Le deuxième moment très important de sa vie est consacré à l’écriture. Cette universitaire assume une responsabilité au sein du CRASC. Cette revue publiée par le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et culturelle est un espace d’expression qui s’ouvre à tous les chercheurs des Sciences de l’Homme et de la Société. Par ses contributions, cette professeure alimente les débats proposés par cette prestigieuse revue. En 1999, elle traite un thème de littérature maghrébine : son article s’intitule : l’écriture maghrébine entre praxis et dynamisme. Un cas de lecture : Rachid Boudjedra. Après une étude minutieuse et subtile, l’auteure de l’article s’exprime en tant que chercheur en littérature et souligne que: «l’écriture a subi un changement de statut, de fonction et de finalité… le texte littéraire est autonome, il construit son propre univers et y organise son système de références. De ce fait, l’écriture possède une autonomie certaine» (3) Poursuivant ses investigations, elle complète son analyse en notant qu’ «avec la parution de certains textes dits de rupture, une écriture nouvelle voit le jour, écriture de la contestation, une écriture de rejet, une écriture pratique, une écriture multiple…l’écriture devient une pratique qui puise ses éléments partout autour d’elle, surtout dans la langue orale, qui est l’expression même de la spontanéité. »(4) Pour clore son exposé, Madame Ouhibi écrit : «participant du réalisme révolutionnaire, au sens entendu par Todorov, le texte maghrébin, par sa mouvance, sa fluidité, son dynamisme, échappe à toute catégorie littéraire et fait déraper tous les genres.» (4) En 2000, le CRASC propose un thème d’ordre social, d’une actualité brûlante, celui de la violence. Nadia aborde ce champ de réflexion avec aisance, le résumé de son article est le suivant : «la violence, fléau des temps modernes, continue d’occuper les devants de la scène sociale et revêt différents aspects, selon le moyen d’expression qui la prend en charge et la traduit. Dans le roman, la violence d’essence verbale déborde de son cadre, pour se faire graphique et visuelle.» (5) Se référant aux écrits de Rachid Boudjedra, elle souligne la violence qui se dessine en filigrane à travers le texte. Elle avance que la littérature, aujourd’hui, ne dissocie plus l’acte d’écrire du questionnent qu’il suscite… s’inscrivant dans ce processus du questionnement, les romans de Rachid Boudjedra interpellent, parce qu’ils présentent au lecteur un texte inachevé, digressif, voire gênant dans sa façon de narrer les évènements et d’emblée, indisposant ce même lecteur, habitué à plus stabilité narrative, à un bien être romanesque, par ce que la critique appelle le roman conventionnel.»(6) Nadia, professeure de littérature à la faculté de lettres et des arts d’Oran, Nadia chercheure en littérature, chercheure au CRASC, auteure, Nadia l’un des premiers membres co-fondateur de l’école doctorale pôle-ouest, mère de famille et fille unique s’en est allée à la fleur de l’âge. Juste avant que la maladie ne la surprenne, elle travaille dur et assure la soutenance d’un doctorat intitulé : L’écriture, un espace de jeux et d’enjeux dans «Terrasse à Rome» de Pascal Guignard et «Saison de pierres» d’Abdelkader Djamai. C’est une thèse de doctorat de littérature comparée et générale, soutenue le 04 mars 2008 à l’Université d’Oran sous la direction de Madame Ouhibi N (Université d’Oran) et la codirection de Blanckeman M (Université de Rennes.) (8) Nul doute que, cette étoile filante aurait continué à diffuser sa lumière, parmi les étudiants, si la mort n’était pas venue, si brusquement, la ravir à l’affection des siens et mettre un terme à sa carrière professorale et à sa vie familiale. Copieusement nourrie des travaux d’éminents auteurs et maitres de la littérature, Nadia s’est révélée excellente oratrice dans les débats, une conférencière d’une rare éloquence, d’un rare talent et d’une rare énergie, une conférencière dont la voix continuera, certainement ,à retentir ,pendant longtemps, sous le toit des amphithéâtres. Nadia est partie laissant, derrière elle, outre son érudition, le souvenir d’une âme affable et avenante Ouvrages consultés. 1 : extrait de la thèse de magistère, intitulée ‘la sentinelle oubliée, un roman au profil de la mémoire, de Bouziane Benachour, présentée par Benachour Nadia., option : science des textes littéraires. année universitaire 2005-2006 2,3. Université de Béchar. 1 : Magisters soutenus, Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, N 9, Septembre-Décembre, 1999, (Vol.III,3) p 121 2 : idem, N, 10 Janvier- Avril (Vol. IV,1)p 171 3:, 4 idem, N9, p55.p 59. 5, 6, 7 : idem, N10 ,p 181, 182, 73 8 : Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, n 47-48, p193. |
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