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Un petit groupe d’éléments de l’A.L.N s’affairait autour des gourbis qui constituaient le campement du secrétariat de la zone 3 (mintaka 23), effaçant toute trace de sa présence notamment celle suggérant la nature de son activité, tels que bouts de papier, de stencils, etc. Ces membres du secrétariat et les moudjahidine qui lui étaient attachés venaient de terminer de cacher en lieu sûr, dans des casemates spécialement aménagées, tout leur matériel de travail (machines à écrire, ronéo, rames de papier…). Nous sommes en juin 1959 à la mechta El Mordj, douar Béni Zid, dans le massif de Collo. Nous nous apprêtons à quitter les lieux conformément aux ordres reçus de nos chefs directs, Si Abdelmadjid Kahlerrass, chef de zone, et Si Brahim Chaïbot, responsable des renseignements et liaisons de la zone. Les instructions disaient que le commandement de la wilaya II avait obtenu des informations faisant état d’une attaque ennemie imminente de toutes nos régions avec un effectif considérable appuyé par l’aviation, abandonnant la pratique des ratissages classiques, pour utiliser des troupes spécialement entrainées à investir le terrain et s’y installer durablement. Il faut donc s’adapter à ce nouveau type de confrontation, changer de campement en tant que nécessaire, se déplacer en petit nombre avec le moins de charge possible, éviter le combat sauf contraints, enfin faire preuve d’une vigilance de tous les instants. Plus tard, nous saurons qu’il s’agissait des opérations «Challe» déclenchées le 6 février 1959, à partir des monts de Saïda, progressant au fil des mois à travers les wilayas, d’Ouest en Est, jusqu’à envahir la wilaya III le 22 juillet (opérations «Jumelles»), et enfin «s’abattre» selon les propres termes des généraux français, sur la wilaya II officiellement le 6 septembre. Cependant, sur le terrain et de manière généralisée, les grandes actions avaient débuté le 1er novembre1959, inaugurées par les fameuses opérations «pierres précieuses» («Rubis», «Saphir», «Turquoise», «Emeraude», «Topaze»,…). Pour notre part, en mintaka 3,nous avions eu affaire à «Emeraude» ! Ce n’était pas par hasard que ces opérations avaient été programmées les dernières, du moins parmi celles de grande envergure : les régions de Jijel, d’El Milia, de Collo et de l’Edough étaient toujours considérées comme des bastions de l’A.L.N. Pour cela le général Challe avait fourbi ses armes dans les affrontements contre les autres wilayas, amélioré sa force de frappe et concentré toutes ses forces en wilaya II, pour donner le coup de grâce à la lutte armée. Pour la vérité, il faut dire que si l’ALN avait été réellement bousculée et enregistré plus de pertes que par le passé, elle était néanmoins restée debout grâce à son adaptation rapide face à la nouvelle stratégie de l’armée française et surtout grâce à l’endurance de ses hommes et à leur bravoure. Elle était demeurée opérationnelle et efficace jusqu’à l’indépendance. Le plus grand nombre des victimes de ces opérations se comptait parmi les civils qui avaient payé le plus lourd tribut. C’est dans ce contexte que l’ensemble du secrétariat a entamé une marche de près de 14h non-stop, en partie de nuit, de El Mordj du douar Béni Zid, à destination de Echatt, douar Ouled Djamaà (Ouled Atia) à l’autre bout de la presqu’île. Pour cela, nous avons fait un long détour par le douar Mechatt situé en zone 2, pour brouiller les pistes, après, nous sommes passés par Oued Zhor avant d’arriver au P.C du secteur 1 de la nahia 1 (kism 2311), situé en flanc de montagne surplombant la mer, où nous avons été hébergés pour la nuit. Le lendemain, nous nous sommes installés dans notre nouveau campement où nous avons aussitôt repris nos activités habituelles, qui n’étaient perturbées que par des raids quasi quotidiens des avions T-6 sur la région, ou de temps à autre, par quelques ratissages qui faisaient plus de bruit que de mal (les opérations «Challe» n’avaient pas encore commencé chez nous). Dans ce secteur, au lieu dit «El Arta» pas loin de Khnak Mayoune, est implanté un important «hôpital-infirmerie» ayant à sa tête la moudjahida Massika. Un jour, nous étions de passage à proximité de cet hôpital et nous (Amar Baaziz dit «Rouge», responsable sanitaire de la zone, Kaddour Mekideche, Lamine Blidi et moi-même, du secrétariat de la zone) avons décidé de lui rendre visite. C’était le 29 août 1959. La sœur Massika nous a accueillis chaleureusement, et nous a introduits dans un gourbi qui lui servait de bureau et de salle de soins. Nous y avons trouvé le moudjahed Salah Kaouani en séjour de convalescence, et le moudjahed Bachir Boughamsa qui se faisait soigner d’une blessure par balle. Tout en demandant de nos nouvelles, elle nous a servi des figues de barbarie dans des assiettes métalliques. Si Amar «Rouge» est reparti aussitôt en saluant tout le monde. Quant à nous, à peine 10 minutes après avoir devisé fraternellement, nous avons entendu le vrombissement caractéristique des moteurs des avions T-6 qui survolaient la région, au dessus de la mechta «El Arta». Nous étions en contrebas de cette mechta. (L’avion américain T-6 et sa version améliorée T-28, était désigné par les moudjahidine par sa couleur, «essafra»). Pressentant le danger, nous avons demandé à Massika de faire libérer les lieux. Elle nous a répondu que ces avions avaient l’habitude de surveiller cette région sans conséquences… Mais lorsqu’elle a entendu l’explosion d’une roquette lâchée par un des avions sur la mechta, elle s’est écriée : «Rabi yestar Benamar !» (Mohamed Benamar était le responsable de l’O.P.A locale, un moudjahed particulièrement apprécié). C’est alors qu’elle a ordonné aux djounoud de la protection et aux infirmiers et infirmières, de faire évacuer les malades, qui étaient installés dans deux grands gourbis aménagés à cet effet, en les éloignant des lieux à travers une tranchée (construite en zigzag jusqu’à une crête, par les élèves infirmiers, sur ordre du docteur Toumi.). Elle nous a demandé également de sortir. Nous avons dit que nous allons le faire, mais pas avant elle. Elle a rétorqué sur un ton ferme, en substance : «sortez tout de suite, je vous rejoins immédiatement avec le blessé, après que j’aie récupéré le contenu de ma trousse !». Nous sommes sortis donc rapidement l’un derrière l’autre, et en voyant dans le ciel le T-6 piquer vers nous, notre reflexe a été de nous jeter littéralement dans la tranchée. Selon Boughamsa qui était le dernier à sortir du gourbi, avec Massika : «Nous étions tous deux relativement loin de la tranchée lorsque nous avons vu l’avion amorcer son piqué. J’ai plongé par terre, évitant ainsi les éclats de la roquette, ce qui malheureusement n’a pas été le cas de la chahida qui n’a pas eu le temps de faire de même…». Massika, est tombée au champ d’honneur ce 29 août 1959, touchée de plein fouet par une roquette tirée à partir d’un T-6 tueur. Les éléments de l’A.L.N. présents sur les lieux mêmes, et témoins directs de la mort de cette héroïne, outre ceux cités plus haut, sont les moudjahidate : Fatima Nouioua, Fatima Troudi, Zhaïra Hamrouche et d’autres compagnons… ; immédiatement après ce raid aérien fatal, s’étaient joints à nous Ali Naïdja et des moudjahidine du kism I qui avaient leur P.C. dans le voisinage. C’était une journée funeste ! Le corps de Massika a été exhumé à l’indépendance ; elle repose maintenant, du repos éternel, sous les oliviers de Belezma près de son père Ali Ziza. En ce qui me concerne, j’ai connu la défunte vers la fin de l’année 1958, au lieu dit «Ouled Messaouda» où était établie une infirmerie «hôpital» qui tenait lieu également de P.C à Si Abdelkader Boucherit, le responsable de la santé de la zone 2. Massika était réputée autant pour son courage physique que pour sa gentillesse et son espièglerie. Tous les moudjahidine qui l’ont connue, sont unanimes à lui reconnaitre ces traits de caractère ; j’ai eu personnellement à le vérifier, même si le fait est banal en soi : En décembre 1958, à «Mouchaouane», douar Ouled Asker, où je rendais visite à mon frère Azzouz, responsable de la santé de la zone 1, j’apprends mon affectation à la zone 3. Je rejoins aussitôt à Ouled Messaouda (zone 2) des moudjahidine se préparant à partir vers la même destination. Ils avaient à leur tête Si Lamine Khène, et comptaient parmi eux Massika, Fatima Troudi (future mme Boucherit), Ahmed Ghimouze dit «elmasri», ainsi qu’une escorte de djounoud. Nous devons traverser Oued el Kebir par un gué pas loin de son embouchure, et à ce niveau, il offrait l’aspect d’un véritable fleuve. De plus, en plein hiver, il était en crue. Bien que j’aie franchi beaucoup de cours d’eau, la largeur et le débit de cet oued m’ont fortement impressionné. Il faut avouer aussi que l’image de mon cousin chahid (Rachid Hamrouchi) emporté, hélas, un mois auparavant par les eaux de ce même oued, ne me quittait pas et me troublait… Une fois engagé dans la traversée, l’esprit un peu brouillé, je ne me rendais pas compte que j’allais à la dérive… J’en ai pris conscience lorsque je me suis senti fortement agrippé par une main, et une voix de femme, péremptoire, qui me demandait de me ressaisir et de m’orienter correctement. C’était Massika ! La sœur Fatima s’est approchée aussi pour prêter main forte. En fin de compte, je me suis retrouvé encadré par deux femmes intrépides qui m’ont guidé jusqu’à l’autre rive. Un autre fait m’a été relaté par deux compagnons d’arme, les moudjahidine âmmi Rabah Bouchlaghem et Hocine Boukhtota. Cette information confirme s’il en est besoin, que la réputation de bravoure de Massika n’est pas usurpée : Un accrochage a eu lieu au douar Mechatt, région d’El Milia (zone 2), entre le 15 et le 25 août 1957, sans pouvoir préciser le jour, opposant des troupes françaises en grand nombre, en opération de ratissage, à des moudjahidine de passage s’acheminant vers la zone 1. Il y’avait parmi nos éléments, le commandant Hocine Rouibah (Tombé au champ d’honneur le 9.11 1960), Hocine Boukhtota, un vrai baroudeur sur qui on pouvait compter, et aussi Massika ! La confrontation a eu lieu autour de 14h, et a duré un peu plus d’un quart d’heure avant le repli. Elle s’est soldée par la mort d’un lieutenant et de quelques soldats, ainsi que la récupération d’un pistolet mitrailleur, d’un pistolet automatique et de la tenue de l’officier français. Seul le moudjahed Amar Frich est tombé au champ d’honneur. Si Hocine Rouibah, membre du commandement de la wilaya II, a offert à Massika le treillis récupéré, pour son comportement exemplaire lors de l’accrochage, son sang froid et son volontarisme. Selon des renseignements recueillis auprès de ses proches, La Chahida Sakina Ziza, dite Massika, est née le 22 janvier 1934 à Merouana, wilaya de Batna. Elle a fait ses études entre Batna et Sétif, jusqu’à l’obtention du baccalauréat en 1953. Elle a quitté ensuite l’Algérie pour des études supérieures à l’université de Montpellier, France, en compagnie de son frère et ce jusqu’en 1955. Revenue à Batna où elle a enseigné une année, elle ne tarde pas à rallier Sétif avec Meriem Bouattoura, cette autre icône de la lutte de libération nationale ; c’est à partir de cette ville qu’elles rejoignent toutes les deux les rangs de l’A.L.N en wilaya II, en 1956, au lendemain de la grève des étudiants et lycéens. (Meriem est tombée en martyr les armes à la main en compagnie du héros de légende, Daoudi Slimane dit Hamlaoui, dans un mémorable combat au cœur de la ville de Constantine, le 9 juin 1960). Ce jour, 29 août 1959, où un avion a ôté la vie à Massika, dont le seul tort était d’être une résistante contre l’occupation étrangère de son pays, et en ces mêmes instants, le président de la république française, ce grand résistant qu’il fut contre l’occupation nazie, poursuivait, la conscience tranquille, sa tournée des popotes qu’il avait entamée le 27 août 1959 pour la terminer le 31 de ce mois. Accompagné de ses généraux, il sillonnait l’Algérie au cours de cette tournée, rendant visite à ses troupes sur le terrain des opérations, leur prodiguant ses encouragements et les incitant à aller encore plus de l’avant. C’est à dire à tuer encore plus, car il avait mis à la disposition de son armée, dans le cadre du plan Challe, des moyens humains et matériels gigantesques et meurtriers, pour venir à bout, selon lui, de la lutte armée. Son objectif, était de «gagner la guerre pour faire la paix», pur cynisme ! Mais c’était sans compter le courage et la détermination des Algériens. De Gaulle, cet homme respecté, auteur de l’appel du 18 juin 1940, haranguait à son époque les résistants français et exhortait son peuple à une meilleure mobilisation pour lutter contre les Allemands, et à ne pas accepter la capitulation. Par contre, ce même personnage déniait au peuple algérien le droit de combattre afin de se libérer du joug de la France dont il était obsédé par la «grandeur», et mettait en branle une machine de guerre, une terrible machine à tuer, pour «écraser» selon la terminologie de ses états-majors, nos moudjahidine, nos vaillants résistants, tout en exaltant la bravoure et la pseudo victoire de ses soldats. A ce titre, ne serait-on pas en droit, compte tenu du discours franchement guerrier de De Gaulle lors de sa tournée des popotes, de considérer le chef de l’Etat français, comme le premier commanditaire, même indirect, de la mort de Massika ? |
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