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Syndicat national des enseignants chercheurs hospitalo-universitaires : «Des décisions politiques courageuses pour une refonte profonde de notre système de santé»

par N. djidjeli *

Qu'un ministre de la République essaye d'expliquer sa politique dans les colonnes d'un quotidien national, nous ne pouvons que nous en féliciter.

Et même si nous ne sommes pas en d'accord avec les propos et les arguments qu'il avance, cela permet d'ouvrir un débat qui, nous l'espérons, sera serein et bénéfique. Si nous ne doutons point de la bonne volonté des uns et des autres, nous sommes par contre persuadés que celle-ci n'a jamais été suffisante à elle seule pour régler des problèmes aussi complexes que ceux du secteur de la santé. Nous pensons qu'à de vrais problèmes il est proposé de mauvaises solutions ou, pour le moins, nettement insuffisantes pour espérer un changement tant espéré.

Nous commencerons par préciser sans aucune équivoque qu'il est hors de question pour nous d'accepter l'impunité ou de défendre l'indéfendable. Nul ne doit être au-dessus de la loi et que celui qui contrevient à sa mission soit sanctionné quel que soit son grade, son rang ou sa fonction. Mais cela doit se faire dans le respect, et en conformité avec les lois de la République pour que cela ne devienne pas une chasse aux sorcières avec des professionnels de santé comme boucs émissaires, jettés à la vindicte populaire. Un seul exemple : suspendre de manière définitive un enseignant pour ce qui s'apparente à une faute grave du quatrième ou troisième degré ne peut être prise avant l'avis conforme de la commission paritaire siégeant en commission de discipline (art. 23 du statut particulier de l'enseignant chercheur hospitalo- universitaire). Les praticiens universitaires qui ont jusqu'à ce jour été suspendus l'ont tous été sans qu'aucune commission paritaire n'ait siégé, ce qui est évidemment complètement illégal. Il est indispensable pour la crédibilité de l'administration que cela change.

Notre pays vit des moments difficiles et il est évidement illusoire de penser que le secteur de la santé puisse y'échapper. Contrairement aux propos rassurants des politiques, nous n'avons cessé de tirer la sonnette d'alarme quand à la nécessité impérieuse de revoir avec courage, lucidité et en profondeur notre système de santé.

Dire devant des caméras de télévision que le changement se fera '' bel matregue'' nous replonge dans une époque de triste mémoire qu'on croyait révolue et ou l'autoritarisme et les '' rakmouakaf ''étaient de rigueur avec les résultats que l'on sait. L'histoire nous a appris, quant à nous, qu'une décision quelle qu'elle soit ne peut être acceptée et surtout appliquée sur le terrain que si elle est le fruit d'un travail concerté, serein et dans le respect des uns et des autres. Les oukases et les décisions autoritaires, unilatérales ne font qu'exacerber le sentiment de méfiance et rompre les liens entre partenaire social et administration.
 
Oui le problème du CHU de Constantine est grave et l'émoi suscité par les images diffusées était légitime. En dehors de la responsabilité supposée et des griefs retenus contre l'administration locale ou l'équipe soignante ceci ne doit en aucun cas nous faire occulter l'essentiel. Visitez n'importe quel Maternité des grandes villes et vous verrez que les parturientes et les patientes sont à deux ou trois par lit et dans des conditions inhumaines. Le même constat peut être fait aux pavillons d'urgence. Flot incessant de malades, équipes de soignants débordées et j'en passe. Tous les hôpitaux de l'intérieur du pays se sont spécialisés dans les évacuations vers les centres hospitalo- universitaires. Dans un récent travail que nous avons fait nous avons constaté que soixante-cinq pour cent des urgences que nous recevions venaient d'en dehors de la wilaya d'Alger. Quatre-vingt pour cent des malades évacués l'étaient pour des pathologies chirurgicales banales (appendicites, fractures simples etc.) qui auraient pu être traitées localement dans ces hôpitaux évacuateurs. Le même constat négatif est fait au quotidien par les citoyens en ce qui concerne le reste des offres de soin ou d'exploration et cela même pour des pathologies aussi lourdes que le cancer. Nous sommes d'ailleurs très surpris d'entendre Monsieur le Ministre dans une contorsion verbale sans pareille affirmer qu'en définitive il n'y avait pas de pénurie de médicaments. Ceci n'est évidemment pas ce que constatent au quotidien les malades et les praticiens sur le terrain. Mais, plus grave encore, ces affirmations sont en totale contradiction avec l'audit fait par son administration et qui conclut sans ambages à des ruptures répétées notamment en ce qui concerne les anticancéreux !!!

Ce constat global, confirmée d'ailleurs par l'audit que je viens de citer, est une réalité qu'on ne peut faire changer par de simples déclarations d'intention aussi tonitruantes soient elles. Et casser un thermomètre n'a jamais fait baisser une fièvre. Cet état de fait traduit la défaillance d'un système de santé devenu obsolète.

Est-ce là aussi la faute des professionnels de santé ? Assurément non ! et nous pensons que ceci n'est que la conséquence somme toute logique de l'échec des semblants de politique de santé menée jusqu'à ce jour. L'échec est celui de la classe politique qui, à notre avis, n'a jamais eu le courage et la lucidité d'aborder les problèmes de fond qui gangrènent le système de santé de notre pays.

M. le Ministre dit que nous n'avons pas de problème d'investissement !!! Evidemment, nous ne pouvons partager cette affirmation. Le citoyen, en entendant une telle déclaration, est en droit de se demander : mais alors puisqu'il n'y a pas de problème de financement, où va l'argent ? Nous ne devons ni ne pouvons continuer à faire croire à nos concitoyens qu'avec 300 ou 400 dollars par tête d'habitant consacrés aux dépenses de santé chez nous, on pouvait leur offrir des soins identiques à ceux de pays développés qui y consacrent entre 5000 et 8000 dollars !!!

Peut-on continuer à faire croire aux Algériens que notre système de santé actuel est capable de prendre en charge gratuitement tout le monde, tout le temps, quel que soit l'âge ? Toutes les pathologies, la prévention, les soins de base et de haut niveau, etc. ? Assurément non, car même en économie de santé il n'y a pas de miracle, tous les experts le disent, et je ne pense pas que nos dirigeants l'ignorent (du moins je l'espère). Et nous nous devons de dire la vérité à nos concitoyens. La couverture médicale universelle gratuite n'est totalement acquise dans aucun pays. Des pays industrialisés qui consacrent dix à vingt fois plus pour leurs dépenses de santé ont dû faire des choix douloureux pour la pérennité de leur système de santé. A titre d'exemple on consacre actuellement 42% de la facture des médicaments aux anticancéreux ce qui est énorme.

Ce chiffre va aller en augmentant vu le nombre de plus en plus grand de cancéreux, les prix exorbitants de ces médicaments anticancéreux et la stagnation, voire la diminution du financement de santé. C'est une équation qui va très vite devenir insoluble. Mettre la poussière sous le tapis n'a jamais été salvateur.

Il est urgent que ce débat ait lieu chez nous, car l'occulter serait suicidaire et mettrait en péril l'existence même de l'ensemble de notre système de santé. On ne peut offrir ce qu'on n'a pas !!!

Autre sujet ou questionnement à notre avis incontournable et indispensable si on veut sauver ce qui reste de notre système de santé : la médecine gratuite. Sujet on ne peut plus sensible mais qui, à notre sens, ne doit plus être occulté.

Instaurée en 1973 par décret présidentiel, son objectif, on ne peut en douter, était très noble et a permis en assurant un accès aux soins à toutes les couches de la population, d'améliorer les principaux indicateurs de santé de notre pays. Et nous ne pouvons qu'être fiers de cette démarche qui a honoré notre pays. Mais n'est-il pas temps de faire le bilan de ce concept de médecine gratuite et voir 50 ans après quelle est l'efficience de ce système qui d'ailleurs n'a plus de gratuit que le nom.

Doit-on continuer à donner des soins gratuits à tout le monde sans distinction même à ceux qui sont parmi les plus nantis et qui passent souvent en priorité car ayant leurs entrées à l'hôpital ? Est-ce équitable ?

Et qu'on ne nous fasse pas dire ce qu'on n'a pas dit : oui l'accès aux soins pour les plus nécessiteux et les plus faibles d'entre nous doit être garanti par l'Etat, nous le réaffirmons haut et fort. Mais nos ressources étant ce qu'elles sont, n'est-il pas temps de revoir ce système, en ciblant et en orientant l'aide de l'Etat spécialement vers ces populations véritablement démunies et nécessiteuses ?

Décision certes éminemment politique et il ne revient pas aux techniciens et professionnels de santé d'y répondre seuls. Mais pour la pérennité, l'efficience et surtout l'équité de notre système de santé, cette question ne peut et ne doit plus être occultée.

Monsieur le Ministre insiste lors de cet entretien et à juste titre sur la formation des gestionnaires des structures de santé. Mais que peut faire un gestionnaire sans une véritable autonomie et une décentralisation des structures de santé.

Peut-on espérer une gestion efficace et efficiente de nos structures de santé quand un gestionnaire ne peut même pas recruter une femme de ménage, un médecin ou une infirmière sans passer par sa tutelle ? Peut-on continuer à exiger de nos gestionnaires des résultats tout en leur liant les mains, avec des contraintes administratives d'un autre siècle ? Peut-on continuer au vingt et unième siècle à fonctionner avec un modèle de gestion centralisé et complètement sclérosé de nos hôpitaux?

La contractualisation et la décentralisation sont une nécessité incontournable et une solution aux problèmes qui se posent avec acuité à notre système de santé.

Pourquoi alors que les textes réglementaires, à savoir l'ordonnance 96-17 du 06 juillet 1996 et loi des finances qui, depuis 1992, stipulent clairement que ces " financements doivent se faire sur la base de rapports contractuels liant la sécurité sociale et le ministère de la Santé'', on continue à allouer des budgets forfaitaires aux hôpitaux sans contrepartie, sans programme et sans évaluation de leurs activités ? Ce principe de contractualisation existe depuis les années 90 dans les textes comme nous venons de le voir. Pourquoi tout ceci est-il resté lettre morte?

Les tarifs de remboursement de la sécurité sociale n'ont pas été réévalués depuis des décennies. Les malades assurés sociaux qui s'adressent au secteur privé payent de leurs poches les prestations dont ils bénéficient. Cette injustice qui ne fait que conforter la gabegie et l'opacité du fonctionnement de la CNAS doit cesser.

Qui a intérêt à continuer à nier un droit fondamental des assurés sociaux ? Les cotisations des assurés sociaux doivent bénéficier en premier lieu aux cotisants et non aux rentiers embusqués à la CNAS et qui contrarient toute velléité de changement pour ne pas perdre leurs privilèges. Oui, des efforts sont faits pour la réalisation de nouvelles structures mais, au risque de nous répéter le problème, ce n'est pas tant le manque de structures que leurs dysfonctionnements.

Pourquoi les structures que nous avons déjà ne fonctionnent-elles pas bien ? Pourquoi les centres hospitalo-universitaires continuent-ils à être submergés par des évacuations souvent injustifiées. Pourquoi des hôpitaux équipés évacuent leurs malades au lieu de les prendre en charge sur place ? Nous nous devons de répondre à ces questions pour éviter les erreurs du passé en multipliant des structures qui coûtent très cher au contribuable et qui risquent elles aussi de devenir des centres de tri et d'évacuation vers les centres hospitalo-universitaires. Dans le service où j'exerce, nous avons fait un travail qui a montré que : soixante-cinq pour cent des urgences que nous recevons sont évacuées d'hôpitaux situés en dehors de la wilaya d'Alger. Quatre-vingt pour cent de ces malades évacués le sont pour des pathologies banales (appendicites, fractures simples, etc.) qui auraient pu être aisément traitées sur place!!!.

Je ne terminerais pas sans dire un mot de l'activité complémentaire, ce grand serpent de mer qu'on agite comme un épouvantail qu'il suffirait de supprimer pour que nos lendemains soient roses et que tous les maux de la santé disparaissent. Effectivement, comme toute activité humaine, l'activité complémentaire a engendré des dépassements et nous n'avons eu de cesse de les dénoncer mais nous pensons que le gel de cette activité, que ce soit sur le fond ou dans la forme, est une mauvaise réponse à un véritable problème.

Dans des formes, des fois différentes, l'activité complémentaire existe dans la majorité des pays où non seulement elle ne pose aucun problème mais elle permet de retenir dans le secteur public les compétences et les spécialistes les plus brillants.

Elle ne pose aucun problème dans ces pays parce que l'administration est forte et veille au respect strict de la réglementation. Elle applique la réglementation et sanctionne. Evidemment, ça ne diminue en rien la responsabilité de ceux qui ont enfreint la loi par leur comportement indigne et inacceptable. Oui, il faudra à notre avis revoir la réglementation en responsabilisant l'administration, les cliniques et le conseil de l'ordre. Oui, il faudra durcir les sanctions contre les contrevenants praticiens ou cliniques qui ne respectent    pas la     loi. Mais il faudra surtout, à notre avis, lier l'autorisation de cette activité à l'évaluation des services. Un service qui ne remplit pas son contrat ou son cahier des charges sur le plan des activités de santé ou de formation ne pourra espérer, que ce soit pour le chef de service ou ses collaborateurs bénéficier de cette activité. A l'inverse, un service performant se verra lui délivrer cette autorisation.

Ceci pourra même être perçu comme une émulation pour tout un chacun. Réglementer, sanctionner si nécessaire et surtout évaluer doivent rester à notre avis les mots clefs de ce dossier.

L'évaluation, ce mot qui manque tellement à notre vocabulaire doit être remis à l'ordre du jour. Les enseignants hospitalo-universitaires, faut-il le rappeler, sont le seul corps qui a demandé à être soumis à une évaluation continue et périodique. Ceci figure dans notre statut particulier (article 21 chapitre7) mais n'a jamais connu malheureusement d'application jusqu'à ce jour.

Le problème de la santé ne peut être dissocié de ce qui se passe dans notre pays et des difficultés que nous traversons. Et ici plus qu'ailleurs il faut des décisions politiques courageuses pour une refonte profonde de notre système de santé.

Nos ressources provenant malheureusement exclusivement des hydrocarbures soulignent, si besoin est, la fragilité de notre économie et par là notre système de santé. La chute drastique des prix du pétrole en 1986 et la situation catastrophique qu'ont connue nos structures de santé à l'époque est là pour témoigner de l'urgence de décisions politiques lucides, courageuses et responsables.

* Président - Pr.