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Le professionnel comptable et la lutte contre la corruption      

par Saheb Bachagha*

Définition de la corruption

La corruption peut se définir comme l'agissement par lequel une personne investie d'une fonction déterminée, publique ou privée, sollicite/propose ou agrée/cède à un don, une offre ou une promesse, en vue d'accomplir, retarder ou omettre d'accomplir un acte entrant, d'une façon directe ou indirecte, dans le cadre de ses fonctions.    

La corruption active

La corruption active est définie à l'article 02 du Code pénal, page 195, chapitre « corruption et trafic d'influence». « sont punis d'un emprisonnement de deux (2) à dix (10) ans et d'une amende de 200.000 DA à 1.000.000 DA ,le fait de promettre d'offrir ou d'accorder à un agent public, directement ou indirectement un avantage indu, soit pour lui- même ou pour une autre personne ou entité, afin qu'il accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte dans l'exercice de ses fonctions ; Les actes de corruption font régulièrement la «une» de l'actualité. Le réviseur des comptes, tant contractuel que légal, peut être confronté à la désagréable découverte d'un tel phénomène après la fin de ses interventions. Certains peuvent être tentés de mettre en cause sa responsabilité au prétexte qu'il aurait dû voir. Dans certains cas la mission du réviseur peut être explicite, s'il lui est demandé d'identifier des actes de corruption. L'objet du développement ci-après est d'aider le professionnel en lui apportant quelques éléments de méthodologie propres à la réalisation d'une mission explicite d'une part, ainsi que d'acquérir des réflexes dans le cadre de ses autres missions.

On analysera d'abord  l'identification des actes réalisés par le corrupteur, puis celle des actes réa­lisés par le corrompu. Car, pour qu'il y ait corruption, il faut un (corrupteur et un corrompu).

Il convient de remarquer que l'on ne peut établir la corruption qu'à postériori, après que la personne corrom­pue ait reçu les bénéfices de cette cor­ruption. Ceci rend délicate la preuve des simples intentions ou des pro­messes. Dans la quasi-totalité des cas, la corruption ne pourra être établie tant que le « don » n'aura pas été iden­tifié.

Ce constat amène à recenser les éléments qui permettent de détecter le don, d'une part chez le corrupteur et d'autre part chez le corrompu, sui­vant qu'ils tiennent ou non une comp­tabilité.

Chez le corrupteur

Entité non soumise à l'obligation de tenue de comptabilité

L'identification est particulièrement difficile car, dans cette hypothèse, l'état du patrimoine et les dépenses ne sont pas systématiquement déclarés. Seule une procédure du type ESFP (« examen contradictoire de l'en­semble de la situation fiscale per­sonnelle »), celle-ci étant réservée à l'administration fiscale, permettrait de détecter les sommes importantes versées pour des actes de corruption. Il faut noter que cet examen aurait un objectif inverse de celui de l'exa­men tel qu'il est prévu à l'origine, qui a pour but d'établir l'existence d'un excédent du patrimoine et des dépenses réelles sur les recettes décla­rées, alors qu'un tel examen anti­corruption aurait pour objet de déterminer un excédent des recettes déclarées sur le patrimoine et les élé­ments du train de vie, excédent qui serait susceptible d'être utilisé pour la corruption active.

Certaines limites de ces investiga­tions apparaissent immédiatement :

- Les petits « dons » en espèces ou en nature ne peuvent être identifiés par une telle procédure; lorsque des recettes non déclarées (sommes en liquide ou versées sur un compte numéroté) servent à des actes de corruption, il est pratiquement impossible de déterminer la corrup­tion sans procéder à des investigations beaucoup plus lourdes, surtout en l'absence de comptabilité formelle.

Personnes physiques ou morales tenant une comptabilité

Lorsque le corrupteur est une enti­té soumise aux obligations de tenue d'une comptabilité, il convient de distinguer deux cas.

Le don est versé directement par l'entité  à une personne non soumise aux obligations comptables :

Ce cas est plus aisément identifiable puisque la comptabilité enregistre l'acte de corruption. La comptabili­sation du « don » au corrompu peut prendre, par exemple, l'une des formes suivantes :

? « Don » matérialisé par un flux de trésorerie sortant : le corrompu est bénéficiaire d'un chèque ou d'un virement bancaire. La somme ver­sée apparaît au débit d'un compte de tiers ou éventuellement directe­ment d'un compte de charges. La pièce justificative, lorsqu'elle existe, est en général une facture, mais peut être un acte notarié (acquisition d'immeubles).

Le fait que cette fac­ture soit établie par une personne physique non commerçante doit atti­rer l'attention et permettre d'iden­tifier la somme comme étant un vec­teur potentiel de corruption, il reste à s'assurer que la prestation facturée a été réellement effectuée. Deux cas sont alors à distinguer :

- Aucun bien n'a été livré et aucun service n'a été rendu : la présomption de corruption est alors établie de toute évidence ;

-  Le bien ou le service a été facturé pour un prix notablement supérieur à celui du marché : l'identification de la corruption est plus difficile. Il faudra, en effet, dans la plupart des cas, avoir recours à une expertise du bien ou du service.

- « Dons » en nature d'un bien ou d'un service qui entre dans le pro­cessus de production ou de vente de l'entreprise : ce cas est pratiquement impossible à détecter chez le cor­rupteur. Par exemple, le don d'un bien sera noyé dans les malis sur stocks ou les rebuts divers. Une pres­tation de services non facturée sera également difficile à identifier en l'absence d'un suivi interne rigou­reux (cas des billets d'avion gratuits pour une compagnie aérienne par exemple).

- « Dons » en nature d'un bien ache­té à un tiers (frais de voyage, maté­riel professionnel ou de loisirs,..) : ce cas est plus compliqué puisque le décaissement est lié à l'achat d'un bien ou d'un service à un fournis­seur commerçant : la pièce justifi­cative est alors une facture fournis­seur régulière. L'acte de corruption ne pourra être identifié que s'il est établi que le corrupteur n'a pas acquis le bien ou le service pour son propre compte mais pour le comp­te d'un tiers. Cela suppose que l'en­semble des factures fournisseurs soient vérifiées dans cette optique. Deux cas sont alors à distinguer :

- Le bien ou le service facturé n'a pas de rapport avec les besoins de l'ex­ploitation. Il est alors facile de pro­céder à une observation physique du bien ou de s'assurer que le service a été payé par le corrupteur pour le compte d'un tiers ;

-  La nature du bien ou du service facturé est cohérente avec l'activité du corrupteur. L'identification du don ne peut être établie que grâce aux méthodes suivantes.

Les méthodologies suivantes peu­vent être utilisées :

- pour les « dons » de biens, il convien­dra de procéder à un inventaire phy­sique de l'ensemble des actifs immo­bilisés de l'entreprise et de s'assurer que leur jouissance n'est pas accor­dée «gratuitement» à des tiers ;

- pour les « dons » de service, il sera beaucoup moins évident d'établir que l'achat a été effectué pour le compte du corrompu, il est facile, par exemple, de noyer le don d'un voyage dans les frais de déplacement ou de congrès.

On notera qu'il est plus difficile d'identifier les « dons » de corruption en nature que ceux effectués en tré­sorerie. Toutefois, on peut supposer que les « dons » en nature ne sont uti­lisés généralement, que dans les cas de montants peu importants, donc lorsque l'on se trouve en présence d'une corruption que l'on qualifiera de « petite », la « grande » corruption fait plutôt appel aux versements de fonds,

Le «don» est versé à un intermédiai­re, soumis aux obligations comptables, chargé de reverser le «don» au cor­rompu, en bout de chaîne :

Ce cas, plus sophistiqué, est diffici­le à identifier, il existe alors un ou plusieurs tiers intermédiaires (socié­té écran ou personne physique) qui facture des biens et des services pour une valeur supérieure à leur valeur de vente réelle. La différence est ensui­te reversée par l'intermédiaire à la personne corrompue. On peut citer comme exemples d'in­termédiaires :

- la «société taxi». Celle-ci est déte­nue par un tiers complice, elle fac­ture des services fictifs afin de «fabri­quer» de l'argent liquide reversé ensuite au corrompu. Ce mécanisme est souvent utilisé dans les appels d'offre publics ; -  les entités procédant à des surfac­turations.        

Cet intermédiaire (socié­té ou professionnel libéral) facture au corrupteur un bien ou un servi­ce pour un prix supérieur au prix du marché, puis reverse un pourcenta­ge au corrompu. Ce mécanisme est notamment utilisé dans le cas des acquisitions d'immeubles.         

Plusieurs méthodes d'identification des actes de corruption peuvent être utilisées: -l'intermédiaire est une entité non soumise aux obligations comptables. Les problèmes d'identification sont alors les mêmes que dans le cas des « dons » directs décrits ci-avant ; -l'intermédiaire est soumis aux obli­gations comptables.       

Il y a peu de moyens d'identifier, systématique­ment, l'acte de corruption sans pro­céder à l'inventaire et à l'expertise de tous les achats.

En revanche, l'acte de corruption sera plus aisément identifiable chez l'intermédiaire lui-même, à condition qu'il ne s'agisse pas d'un intermédiaire étranger.

Le cas particulier des groupes

Les groupes de sociétés apportent un élément de complexité supplé­mentaire dans la mesure où:

- les actes de corruption peuvent être effectués par l'intermédiaire de filiales non consolidées au plan comptable et qui sont utilisées comme de véritables « caisses noires » par le groupe; - le don peut être réalisé à partir d'un compte bancaire, d'un des actionnaires principaux, non soumis à comptabilité, voire du seul action­naire du groupe (cas des groupes familiaux par exemple). Ce cas est donc envisageable dans le cas où les dirigeants de l'entreprise en sont les principaux actionnaires et/ou béné­ficient par ailleurs de liquidités importantes.

Chez le corrompu

La situation est également différen­te suivant que le « don » sera reçu par une entité soumise ou non soumises aux obligations de tenue de comp­tabilité.

Entité non soumise à l'obligation de tenue de comptabilité.

La difficulté de l'identification de la corruption dépend de la forme que prendra le «don»:

-«don» en argent: ce cas est relati­vement facile à identifier sur les rele­vés bancaires, sauf pour les sommes reçues en liquide ou sur des comptes numérotés à l'étranger.

L'identi­fication ne pourrait alors être obte­nue qu'en mettant le patrimoine et les dépenses réelles au regard des recettes officielles ;

- «don» en nature : ce cas est diffi­cile à identifier, sauf à procéder à l'inventaire des biens de l'entité.

Entité soumise à comptabilité

Deux cas peuvent être distingués : - l'entité est la personne corrompue en bout de chaîne : la personne cor­rompue est alors, le plus souvent, une personne physique, fonctionnaire ou employé, qui reçoit le « don » à l'insu et sans l'approbation de son employeur et de son ou de ses supé­rieurs hiérarchiques. Le corrompu sera donc rarement une entité sou­mise aux obligations comptables. On peut toutefois imaginer le cas où le corrompu utilise son entreprise pour établir des « fausses factures ». Dans ce cas, l'identification devrait être relativement aisée : la marge réalisée par cette entreprise sera anormalement élevée, en l'absence de coûts signifi­catifs ;

- l'entité n'est qu'un maillon de la chaîne de corruption : dans ce cas, la somme d'argent reçue du corrup­teur sera reversée, en totalité ou en partie seulement, au corrompu. Les problèmes d'identification de ces actes sont les mêmes que ceux envi­sagés ci-avant lorsque le corrupteur est une société.

Conclusion

Les phénomènes de corruption sont en général difficiles à déceler lorsque le réviseur n'effectue pas de recherche systématiquement orientée dans ce domaine. Or, il convient de noter que ses missions l'obligent rarement à effectuer de telles recherches.

Les actes de corruption, une fois connus, peuvent apparaître comme évidents aux yeux d'une personne en ayant déjà connaissance alors que le réviseur antérieur n'avait rien remarqué. Il paraît nécessaire d'attirer l'atten­tion des professionnels sur la néces­sité, lorsque l'on intervient dans des entités à risque, d'être très vigilants dans ce domaine. On peut, en effet, supposer, sans faire de catastrophisme, que son obligation de moyens risque de se transformer, demain, en obligation de prouver qu'il ne pou­vait avoir connaissance lorsque toute l'opération sera bien connue et que des éléments qui paraissaient sans lien entre eux s'enchaîneront de manière tellement logique que la cor­ruption paraîtra évident.

*Expert Comptable et Commissaire aux Comptes Membre de l'Académie des Sciences et Techniques financières et comptables, Paris.