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1ère partie
«Au 19ème siècle, il fallait être noble pour se présenter à une élection. Le jour du vote, le noble accompagnait ses électeurs jusqu'au chef-lieu du département pour qu'ils votent avec lui? La noblesse faisait l'élection. Aujourd'hui, nous constatons le contraire: l'élection fait la noblesse. Dès qu'il est élu, l'homme du peuple devient noble et intouchable, irremplaçable». Les partis politiques algériens n'ont plus d'idéaux et valeurs. Ils ne portent plus que des pensées historiques. L'histoire devient la référence et non plus les idées. Il n'existe plus de partis de valeurs mais des partis de mémoire dans lesquels les jeunes ne se retrouvent pas parce qu'ils n'ont pas vécu cette histoire. Un autre frein à la participation des jeunes réside dans le discours politique vague et archaïque. Le discours politique est devenu trop complexe, et flou pour les citoyens. Le manque d'écoute des jeunes au sein des partis politiques est aussi un frein à une véritable participation. Nous souhaitons exprimer une remarque : Nous nous ne croyons pas que la participation des jeunes soit motivée par une éventuelle récompense qu'ils pourraient en retirer. Ils ont avant tout besoin de s'activer autour d'une passion ou d'un projet donnant du sens à la société dans laquelle ils vivent ; une passion pouvant ensuite engendrer de l'emploi. Selon les sociologues, la jeunesse n'est pas qu'une question d'âge. Il s'agit d'une période de transition entre l'enfance et l'âge adulte. La jeunesse s'arrête quand les individus ont acquis leur autonomie d'un point de vue affectif, économique et d'opinion. Nous pouvons constater qu'il est de plus en plus difficile d'acquérir son autonomie en termes économiques. De nombreux jeunes restent longtemps chez leurs parents et sont célibataires parce qu'ils n'ont pas d'emploi stable, pas de logement. De même, nous observons que les personnes ont leur premier enfant de plus en plus tard. Beaucoup de femmes diffèrent la procréation parce qu'elles n'ont pas de situation sûre. La jeunesse est donc une période qui a tendance à s'allonger. Il n'existe pas une jeunesse standard mais des jeunesses. La jeunesse est hétérogène, séparée en nombreux sous-groupes. Nous avons vu, ces dernière années, que des jeunes manifestaient contre le chômage, la mal vie, tandis que d'autres voulaient profiter de la situation pour exprimer leur mécontentement. Les jeunes votent moins que leurs aînés et s'intéressent peu à la chose politique. Cette réalité n'est pas étonnante. N'ayant pas encore leur autonomie économique et affective, il est logique qu'ils n'aient pas, non plus, leur autonomie politique et d'opinion. Les jeunes semblent en attente, sans opinion très tranchée. Nous devons considérer la participation des jeunes dans le cadre du désenchantement général vis-à-vis de la politique. Parmi les causes de ce désenchantement se trouve le rare renouvellement des élites politiques. Rappelons que, le staff gouvernemental est là depuis 11ans ! Un Ministre est au premier plan de la vie politique 16 ans ! Le constat est le même dans beaucoup d'institutions. Au temple du savoir, on trouve des recteurs et doyens dépassant dix années de gestion, chose invraisemblable. Il n'existe pas d'autre pays démocratique qui fonctionne de la sorte. Généralement, à l'étranger, quand un leader politique conduit son parti à la défaite électorale, il se retire. En Algérie, il se passe le contraire. Plus on perd et plus on est apte à conduire la politique. Cette particularité Algérienne participe au désenchantement général. Par ailleurs, les querelles de personnes au sein des partis pour choisir leur candidat aux élections locales(APC/APW) ou nationales( APN/SENAT) donnent l'impression que les personnes sont plus importantes que les programmes. Il s'agit d'un autre facteur de désenchantement vis-à-vis de la politique. Si les jeunes adhèrent moins aux partis politiques que leurs aînés, en revanche, ils s'engagent plus facilement dans des associations ou dans des mouvements qui ne sont pas directement politiques ou syndicaux. Ils adhèrent plus sur des valeurs que sur des hommes ou sur un passé politique. Peut-être serait-il nécessaire de parler de valeurs et de grandes idées plutôt que de politique politicienne pour attirer les jeunes vers la politique ? Le vote des jeunes est un vote assez mobile et versatile. D'après l'enquête, jusqu'à 50% des jeunes décident de leur vote le jour même de l'élection, une tendance valant d'ailleurs pour l'ensemble des Algériens. Auparavant, les jeunes étaient très influencés par le cercle familial dans leurs orientations politiques. Aujourd'hui, cette influence est nettement atténuée. Les jeunes ne prennent plus en compte les opinions de leur famille dans leur vote, les jeunes puisent les idées ailleurs. Ils subissent donc une socialisation plus diverse que par le passé. Ils font plus d'études et sont confrontés à plus de médias. Ils sont donc moins enfermés dans la socialisation familiale. Nous voyons très bien, qu'il n'existe pas une seule jeunesse mais plusieurs jeunesses en politique et un fort malaise de leur part par rapport aux partis politiques traditionnels. Ce désenchantement politique peut amener certains à chercher la solution vers les extrêmes. Il y a là un vrai problème démocratique. Lorsqu'on a des idées, il faut entrer dans un parti pour les défendre. Les partis reposent plus sur l'histoire que sur des valeurs. Il serait bon de moins attacher de poids à l'histoire et de trouver un élément fédérateur pour avancer. La bataille contre le chômage et la lutte contre la précarité pourrait être ceux-là. Il est nécessaire de populariser le discours politique et de reconnaître la citoyenneté et les idées. Concernant les listes électorales, aujourd'hui aucun parti, ni le gouvernement n'ont le courage de proposer un projet de loi pour obliger les citoyennes et les citoyens à voter. La politique se fait à court terme. Voilà pourquoi certains jeunes, avides de politique, se réfugient dans le projet et les idées des fondamentalistes. Deux notions sont nécessaires pour comprendre le rapport des jeunes à la politique : le pouvoir d'expression et le rapport de pression ou le pouvoir de conviction. La liberté d'expression représente un acquis de notre société (les jeunes ; octobre 88). Les jeunes peuvent s'exprimer où ils le souhaitent, dans la rue, dans des mouvements informels au sein des associations, mais pas à l'intérieur des partis politiques . Aujourd'hui, la classe politique vieillit et la question de la participation des jeunes se pose. Les jeunes ont des difficultés à se faire entendre et à peser dans le débat démocratique parce qu'ils restent stigmatisés comme jeunes. Or, avant d'être jeunes, ils sont des citoyens et ont envie de s'exprimer. Puisque aujourd'hui les jeunes ont du mal à se faire entendre dans les partis politiques, ils s'expriment à leur manière-par exemple en créant des mouvements armés( créneau rapporteur) 20%, des groupes de soutiens aux groupes armés, à la mafia 11%, des dealeurs15% ou de groupes de haragas 45%, ou enfin en groupes de gangs 9%,-leur permettant de peser dans la société. Là se trouve peut-être le renouvellement de la décennie noire? Aujourd'hui les jeunes ont acquis un pouvoir d'expression. Ils ont un rôle consultatif dans la société. Par contre, ils n'ont pas accès au pouvoir. La clé de leur participation à la vie politique se trouve à ce niveau. Il faut convaincre le politicien du potentiel d'innovation que peuvent apporter les jeunes et de la maturité dont ils savent faire preuve (La Coupe d'Afrique ; La Coupe du Monde) . Peut-être faut-il aussi renouer le lien entre les générations en multipliant les rencontres entre jeunes, élus et politiciens? Il serait nécessaire aussi de parler plus simplement afin de rendre le discours politique accessible à tous, ainsi que de donner du sens aux projets auxquels sont associés les jeunes et qui les intéressent. Il semble qu'aujourd'hui, les jeunes ne se retrouvent pas dans les projets qui leur sont destinés. L'appel institutionnel à engagement Les images dominantes de la jeunesse est celles de la jeunesse dangereuse. Cette assimilation de la citoyenneté à la civilité fait aujourd'hui débat, et constitue le lieu commun des discours politiques. Depuis l'avènement de la Coupe d'Afrique et de la Coupe du Monde , le discours officiel s'est fortement mobilisé autour du soutien au projet, à l'initiative et à l'engagement envers la jeunesse. Cette jeunesse n'est pas un danger, elle est aussi une ressource. Outre le choix d'un terme ambigu dans ses connotations, cette rhétorique participe de fait de l'opposition fort ancienne entre une jeunesse saine et l'autre jeunesse, renforçant par là les effets invalidants pour des jeunes qui cumulent toutes les difficultés, auxquelles s'ajoute pour nombre d'entre eux la réalité de la discrimination : exclusion économique, échec scolaire. Parallèlement à cette rhétorique institutionnelle de l'engagement, la méfiance demeure face aux engagements des jeunes dans les coordinations étudiantes, syndicats, manifestations ; le discours «officiel» devient alors celui du dénigrement voire de la répression, comme en témoignent encore les réactions récentes du pouvoir face au phénomène des Haragas (son seul préjudice, c'est de partir. Or l'Etat n'a pas trouvé mieux que le mettre en prison !. Autre exemple de ce qui peut apparaître aux jeunes comme un double discours : Dans la wilaya de Ghardaïa, une part non négligeable de la jeunesse manifeste dans la rue contre l'exclusion, la marginalisation et la misère, le ministre de l'intérieur répond par la « Signature d'une feuille de route entre les Malikites (donc les Arabes) et les Mozabites»,donc au renvoi de chacun à la sphère privée et individuelle. Un contexte de mutation anthropologique Et pourtant ! Il nous semble qu'un certain nombre de mutations en cours appellerait une réflexion renouvelée sur la citoyenneté dans son rapport à la jeunesse : les phénomènes de désinstitutionalisation, les évolutions de la jeunesse (entrée plus tardive dans un âge adulte lui-même en redéfinition, temps d'expérimentation), la contrainte aujourd'hui (avec la mise en question des cadres de socialisation, la fin des «grands récits» et «l'effritement de la société salariale») de se construire soi-même et seul ? Ce sont certes les jeunes les plus fragilisés qui sont touchés par la difficulté de se construire dans des repères moins identifiables (ou au milieu de l'abondance de repères hétérogènes) et avec le risque de devoir porter seuls la responsabilité de leur échec, mais ce phénomène touche l'ensemble de la jeunesse (et au-delà l'ensemble des classes d'âge). D'où la nécessité d'un étayage pour aider tout un chacun à se construire. Si autrefois la jeunesse était d'une certaine manière un temps d'exclusion de la scène publique, cela pouvait sinon se justifier du moins s'accepter parce que l'on avait la certitude d'un statut futur sur le plan professionnel, même peu valorisé, même dominé. L'absence d'un futur certain, le fait que de moins en moins l'inscription professionnelle est vecteur d'identité rendent de plus en plus cruciales pour tout un chacun aujourd'hui la question identitaire et celle de la place dans la société, plus même, dans la Cité . A cela s'ajoute la situation propre à la jeunesse dans son rapport aux adultes. Nous connaissons un déséquilibre démographique, économique, social, politique croissant en défaveur de la jeunesse. La croissance économique bénéficie à la classe d'âge des plus de quarante cinq ans. Le recul de «la mobilité sociale et les phénomènes de déclassement», sont constatables, soit en comparaison à la génération des parents, soit par rapport à la non-congruence entre niveau de diplôme et statut professionnel. Les chances d'ascension sociale sont moindres, et l'explosion scolaire renforce ce processus par l'abondance de diplômés par rapport aux places disponibles. La place politique reconnue aux jeunes est moindre : l'âge du représentant politique (Maire/P/Apw/Député/Sénateur) de moins de 30 ans est insignifiant. L'identité de la nouvelle génération de jeunes est donc, «par défaut», au sens où en parle de l'émergence d'»individus par défaut». «Les jeunes générations ne sont pas simplement privées des conséquences du progrès, elles sont aussi, dès lors, orphelines de l'idée de progression qu'elles matérialisaient jusqu'alors». Les jeunes d'aujourd'hui, «génération invisible», font l'expérience d'une incertitude fondamentale, tout en étant «des amplificateurs des tendances contemporaines». Tout ceci explique la place croissante des revendications identitaires à être reconnues non dans l'espace du privé mais aussi dans l'espace public, la revendication par les jeunes d'une place quelle que soit par ailleurs leur situation ou attitude, le caractère de plus en insupportable de tout ce qui peut constituer un déni de dignité, à commencer par les discriminations bien sûr. De la disqualification à une politique de la reconnaissance Les références incantatoires à la citoyenneté des jeunes, l'appel ambivalent à l'initiative ou à l'engagement, de même que la rhétorique vertueuse de la jeunesse comme ressource montrent aisément leurs limites. La question de la citoyenneté des jeunes n'est ni un problème, ni une question de jeunes ; elle est bien celle de la société toute entière, dans sa capacité à reconnaître une place aux jeunes générations, à penser les cadres d'une expérience sécurisée qui permettent à la fois l'expérimentation propre à cet âge, le respect des formes de socialisation et de sociabilités nouvelles - qui s'étendent au-delà de cette seule classe d'âge- et l'accès au travail, au logement? - dont on sait aujourd'hui qu'il devient de plus en plus difficile pour les jeunes générations. Il oblige aussi à penser la situation de précarisation croissante d'une partie de la jeunesse (dont témoignent par exemple : la toxicomanie, la prostitution, le chômage, le suicide, la marginalisation, l'exclusion, l'analphabétisme? des jeunes), sans oublier la discrimination dont sont victimes nombre d'entre eux. La question de la citoyenneté des jeunes est inséparable de celle de son existence sociale et politique, elle pose in fine celle du «droit de cité» pour tous. Elle interroge sur ce que serait une «société juste», qui penserait d'un même développement de l'espace public, reconnaissance de la pluralité en son sein et redéfinition collective du «bien commun» (l'Algérie appartient à tous). La citoyenneté des jeunes ne saurait donc être, ni dans ses enjeux, ni dans sa mise en œuvre, c'est une question de Statut du jeune. Notre jeunesse est à la recherche d'une «autorité».D'après les jeunes : «on ne vit pas une crise d'autorité, mais nous sommes à la recherche d'une Autorité. Historiquement, nous sommes passés d'un Etat anarchique à un Etat de dictature à un Etat laissé-faire?Puis c'est l'Etat du tout sécuritaire et, enfin à un Etat autoritariste?. Comme vous voyez, l'Autorité n'a pas le droit de cité. » Ces questionnements du jeune quant à sa place dans la Cité nous conduit à nous interroger sur le modèle de société que nous souhaitons construire - la situation des jeunes apparaissant comme le miroir grossissant des évolutions et enjeux d'aujourd'hui -. La construction d'une Nation implique la refondation du pacte intergénérationnel, mais aussi l'engagement fort dans une société où, «les institutions ne (seraient) pas humiliantes», une société qui s'engagerait, en complémentarité avec les politiques de redistribution, dans une «politique de la reconnaissance». Notre recherche constitue un point d'étape d'un travail engagé maintenant depuis plus d'un an. Cette recherche s'inscrit dans la réflexion sur les représentations du jeune de la chose politique et les risques de ruptures des jeunes avec les institutions de l'Etat. Le travail réalisé avec la collaboration des jeunes, dont l'âge est de 18/30 ans, s'inscrit dans cette dynamique de réflexion. Dans cette introduction, nous voudrions remercier l'ensemble des jeunes fortement impliqués dans ce travail, qui ont accepté de répondre aux questions ouvertes, semi-ouvertes et fermées. A suivre * Maître de conférences Université de Constantine |
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