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LE LIVRE EN FEU ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Décidément on ne s'en sortira jamais. En tout cas, avant bien longtemps. Comme si les parenthèses et/ou déviances culturelles et éducatives de toutes ces dernières années n'en finissent pas de produire des dégâts sociétaux multiples.

On pensait en avoir fini avec toutes les retombées de la décennie rouge, tout particulièrement avec les progrès nombreux enregistrés, ces dernières années, à l'Ecole et à l'Université. Hélas, il n'en est encore rien. Et, beaucoup de «révolutions» restent encore à faire.

Il est vrai que l'apparition des nouvelles technologies de l'Information et de la Communication a contourné, quand ce n'est pas éliminé, les barrières traditionnelles du contrôle (non le contrôle relevant de la censure, mais celui professionnel inhérent à la collecte, à la rédaction et à la diffusion, propre au métier de journaliste) et a facilité la pollution du champ médiatique national (et international) sur bien des sujets.

C'est ce qu'on a tout récemment vu ces derniers temps avec des «attaques», parfois violentes, souvent sournoises, à travers les «réseaux sociaux», à l'encontre d'éminents intellectuels, tout particulièrement ceux produisant aussi bien des ouvrages que du sens.

Par le passé, on a eu comme cibles Kateb Yacine, Fadela M'rabet, Mostefa Lacheraf, Tahar Ouettar, Rachid Boudjedra, Amin Zaoui et bien d'autres. Depuis peu, on a, d'abord, eu Yasmina Khadra, accusé d'anti-amazighisme (plutôt d'anti-kabylisme) du seul fait qu'il aurait «refusé» de dédicacer un de ses ouvrages à une de ses lectrices s'annonçant plus «kabyle» qu' «algérienne». Une tempête dans un verre d'eau qui n'a pas trop duré, suite aux explications de l'auteur, mais une tempête tout de même. On a, juste après, et c'est encore bien plus grave, un «lever de boucliers» contre le dernier ouvrage de langue arabe d'une écrivaine (Inâam Bayoudh), édité en 2023 et déjà diffusé, sans aucune vague, ni critique, ni remarque. Une histoire dans laquelle s'entrecroisent les vies et les destins de plusieurs personnages qui habitent dans des quartiers populaires Wahran, durant la période précédant la décennie noire (Le quartier oranais «incriminé» dans «Houaria» s'appelle Eckmühl que la narratrice aura montré, dans sa période la plus sombre et la plus sanglante, celle des années 1990).

Il est vrai que chez ces gens-là, on ne lit pas assez ou alors ne lit-on que certains genres. Son tort: avoir décroché le Prix 2024 Assia Djebbar et, tenez- vous bien d'avoir un contenu (certains de ses parties), trop réaliste, parsemé, disent-ils, de mots et d'expressions «vulgaires» en langue deridja qui plus est, et non en arabe châtié et en mots prudes. Un réalisme qui ne répondrait pas aux canons de la nouvelle tartufferie et des nouveaux «gardiens de la vertu», «Frères monuments» se cachant derrière la défense et l'illustration de la «belle écriture», de la morale familiale (sic !) et de la ville d'Oran (re-sic !). Il faut donc condamner, éliminer, brûler le livre, en attendant l'auteur. Pour emprunter à un facebooker, après les «plages familiales», les «restaurants familiaux», on doit avoir, désormais, le «livre familial»

Je n'ai pas lu l'ouvrage devenu introuvable d'autant que la jeune maison d'édition a mis les clés sous le paillasson, suite aux attaques répétées, mais seulement lu, des comptes -rendus. En attendant de le voir édité à l'étranger. Mais là n'est pas le problème. Le problème est celui de la liberté de s'exprimer et d'écrire, parallèlement à la liberté de lire, tout ce que les lois et les autres textes réglementaires et constitutionnels du pays n'interdisent pas expressément. Le problème est celui de ne pas, de ne plus tomber dans les pièges tendus par les malfaisants des réseaux sociaux et des groupes de «pression» calculateurs et manipulateurs.



Ps: Les prix (littéraires) sont subjectifs, les membres du jury choisissent ce qu'ils aiment, ce qui les passionne quels que soient les critères établis, jamais réellement respectés. Ni au Nobel, au Goncourt ou chez nous. Aimer n'est pas de l'ordre de l'objectivité. Lire, aimer, juger, c'est complexe. Le critique, même comme métier, devrait assumer sa subjectivité. Comme en foot, pour le ballon d'or de France Foot. Il n'y a pas plus beau que la littérature. La littérature, c'est la liberté. (A Pr Ahmed Cheniki, fb, juillet 2024)