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Tiaret: Canicule : la ville au ralenti

par El-Houari Dilmi

Ces derniers jours, le mercure s'est emballé pour flirter avec les 44 degrés Celsius. En ce samedi 20 juillet, il est à peine huit heures du matin et le soleil est déjà à portée de main... La hausse du mercure et l'eau potable tiennent le devant de l'actualité locale.

La sieste est devenue le seul «sport national» à Tiaret. Plongée dans une lourde torpeur, la ville assoupie paraît comme abandonnée par ses habitants. La ville commence à se vider de ses occupants vers midi. Aux quatre coins de la ville, pas âme qui vive, à part une poignée de quidams se dirigeant à la manière des «automates» vers le centre-ville. Au beau milieu de la «place rouge», récemment habilitée mais toujours avec son «statut» indémodable de bourse à ragots de la cité des Rostémides, des silhouettes avachies de tempes grises glissent d'ombre en ombre à la recherche d'un brin de fraîcheur. Fidèle à sa réputation, la «place rouge» donne l'impression de chuchoter dans l'oreille de la ville pour lui raconter des «histoires» qui ne tiennent jamais debout. Khaled, un quinquagénaire, debout devant le célèbre kiosque de Aâmi Boucetta, critique les travaux «bâclés» de réhabilitation de la place du 17 octobre. «Les toilettes publiques n'ont pas été rénovées comme prévu, pourquoi ?», s'interroge-t-il. Cigarette au bec, Mahmoud, chômeur chronique, s'adresse au journaliste pour lui raconter «son» aventure. Acceptant un petit boulot de garçon de café dans une ville frontalière, Khaled devient un «hallab professionnel», avant de se faire «choper» et de purger huit mois derrière les barreaux. Faisant bon et gros cœur contre mauvaise fortune, Khaled, même s'il accepte ce que la vie a fait de lui, a toujours un sang d'encre à la vue du mausolée de Sidi M'hamed, transformé en une «décharge à ciel ouvert», fulmine-t-il.

Cette année, le Dinar se fait rare. Dans une région où il fait bon ou mal vivre, la saison agricole a été catastrophique, en plus de la sécheresse et du manque d'eau potable, beaucoup de Tiarétiens ont le moral en berne. Même le commerce va mal. Certains commerçants gardent le tiroir-caisse fermé pendant plusieurs jours. Cet été à Tiaret, les moustiques se font moins agressifs en raison du manque d'eau. L'autre phénomène causant des désagréments à tous est bien sûr celui des chiens errants, qui ont investi les quatre coins de la ville. Les campagnes sporadiques d'abattage des chiens errants n'ont pas donné les résultats escomptés, au grand dam des habitants.

Hobbies ... de fortune

Les malades mentaux «occupant» la ville constituent l'autre spectacle affligeant. En ce samedi caniculaire, un malade mental justement, un couteau dansant dans la main droite, «coupe» l'air en livrant un spectacle gratuit aux nombreux badauds stationnés tout autour de la «place rouge» au macadam brûlant. Il est presque dix heures passées et toute la ville n'est pas encore arrachée à son sommeil et pour cause... La veille, une canicule à faire tituber un dromadaire a contraint plus d'un Tiareti à humer l'air frais dehors, jusqu'à très tard dans la nuit.

Pris au piège de la mal vie et du chômage, des «grappes» de jeunes plongent tête la première dans l'enfer de la drogue. D'autres se shootent aux psychotropes. Au spectacle de ces voitures rutilantes usant leurs pneus neufs sur du macadam brûlant le long du boulevard menant du siège d'Algérie-Télécom jusqu'à la cité «Haï El Badr», répond ce «contraste» de groupes de jeunes arpentant les rues de la ville et bavant d'envie à la moindre silhouette féminine. Alors, pour permettre à tout le monde ou presque d'aller faire trempette au bord de la grande bleue, cette année aussi des navettes sont assurées tous les week-ends pour acheminer par bus des pelotons entiers de familles et autres. En effet, chaque week-end, des groupes de célibataires se ruent vers les plages du littoral mostaganémois. Le prix du voyage est de 400 dinars «seulement» et la somme paraît déjà pour beaucoup encore hors de portée de leurs maigrelets porte-monnaie. Comme poussés par une irrésistible envie de changer d'air, des jeunes, à peine sortis de l'adolescence, «tirent des plans sur la comète» pour tenter de trouver le moyen «d'‘enjamber» la grande bleue en quête de lointains horizons.

Cette année, plus d'un Tiaréti mange en effet du «mauvais grain» à cause d'une saison agricole des plus mauvaises dans une ville où l'agriculteur ne va pas, comme rien ne va plus. «Cette année, il n'y a pas assez de sous, et cela se ressent chez tous, à commencer par les commerçants qui voient leurs chiffres d'affaires se réduire comme peau de chagrin», soupire Djillali, affalé sur une table dans un café maure au nord de la ville. Cet été, comme le «douro se fait rare», selon les termes de Khaled, un «désargenté chronique», nombreux sont ceux qui meublent leurs longues et chaudes journées estivales par des hobbies... de fortune. Les Tiarétis semblent se passer le mot pour rester terrés chez eux jusqu'à 10 heures passées. Après une brève virée sous un soleil dardant, ils retournent à leurs domiciles flanqués d'une pastèque ou d'un melon blet pour les plus «chanceux». Vers 17 heures, lorsque la chaleur se fait moins oppressante, ils ressortent dehors pour flâner dans les rues et mordre la poussière dans une ville où la propreté et la salubrité publique ne sont encore que de vains mots. Vers 19 heures, une foule bigarrée, y compris des familles entières, est agglutinée aux alentours de l'ex-place Carnot. Jusqu'à une heure tardive de la nuit, des jeunes et des moins jeunes hument l'air frais sur du marbre rutilant au milieu d'interminables palabres au sujet de tout et de rien en même temps.

Interdit de chapitre depuis des lustres, plus personne à Tiaret ne sait ce qu'est une activité culturelle ou artistique. Victime du changement de l'ordre des priorités, Dame Culture n'est plus «crédible» aux yeux «bandés» de personne, «même pas par ceux-là même censés la sortir de son sarcophage», souffre en silence un artiste plasticien, désappointé d'une vie qui n'offre plus rien d'intéressant à se mettre sous la dent. Aucune association culturelle ni troupe musicale, jadis fierté de la ville de Ali Mâachi, n'a survécu à la mode terriblement réaliste du «manger avant de songer», susurre du bout des lèvres Brahim, un comédien que les «morsures» de la vie ont transformé en un «désespéré à vie», comme il se qualifie lui-même. Alors, pour tromper l'ennui ambiant, tout le monde se débrouille comme il peut.