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Enseignes et devoir de la mesure

par Abdou Benabbou

La floraison envahissante des enseignes lumineuses le long des rues et des boulevards est diarrhéique. Ce n'est a priori qu'un détail de l'observation mais il soumet de sérieuses interrogations même si elle est censée apporter une touche à la modernité. Caractéristique d'une volonté commerciale, elle embellit sans doute la cité. Tous les commerçants s'y aventurent et s'y mettent convaincus de la rentabilité du placardage du spot et du néon agressif sur le fronton des devantures. On y trouve de tout. Des lampions dénominatifs aux mots écorchés et aux langues torturées pour que l'on ne sache pas sous quel ciel on est. De l'anglophonie atrophiée, au français apostrophé, à l'arabe décousu. On croise parfois, sans rires ni sourires, des boutiquettes prises pour des casinos de Las Vegas.

Le comble est atteint quand la nuit venue, des commerçants éteignent leurs frigos bourrés de produits alimentaires périssables et laissent leurs enseignes allumées.

Liberté légitime est certes accordée à ces commerces lancés dans un art déluré avec un délire de lumières fardées. Après tout, de leurs bourses il est engagé. Tant qu'à faire, puisque le ministre de l'Energie donne des assurances sur la disponibilité de l'électricité plus que suffisante pourquoi s'embarrasser de cupidité déplacée.

Mais en cette ère de colossale disette en tous points de vue où l'énergie est au cœur d'un dilemme planétaire, ce volontarisme, dont la rentabilité commerciale n'est pas assurée, est débridé. Au moment où des pays autrement mieux huppés poussent le devoir de parcimonie de l'économie de l'énergie électrique à ses extrêmes jusqu'à s'imposer de fréquents délestages, la folle et déglinguée parade des spots lumineux dans nos rues est lourde d'inconséquences.

La crise économique a donné naissance à une nouvelle culture alimentaire pour donner un sens inattendu au devoir de la mesure. Si elle perdure et se prolonge, les devantures commerciales seront obligées de se soumettre à celui de la mesurette. Il sera plus question d'extinctions que de délestages.