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Le roublard

par El Yazid Dib

L'audace, le zèle et l'arrogance sont chez certains les outils les plus efficaces pour atteindre la crête d'un pouvoir p'tit soit-il. Quand on n'a rien à mettre en relief comme capacité intellectuelle, compétence professionnelle ou cursus culturel, l'on fait recours à l'esbroufe et à l'imposture pour devenir ce que l'on n'osait même pas imaginer. Prenez l'exemple de ce «jeunot», bleu dans le lot, qui se fait porter dans les instances électives de ce qu'on appelle la société civile, aux assemblées populaires et croit ainsi prendre vengeance sur la vie et le temps.

Ni la vie, ni ce temps, croit-il, ne lui ont été cléments. Son patronyme est inconnu dans les tables de la cité. Il décide alors de surpasser cette infériorité et se lance dans le populisme, au sein des coulisses des partis et du mouvement associatif. Il réussit effrontément, avec le visage culotté à se faire ouvrir, dans un milieu évidemment pollué, les voies du seigneur.

C'est parce qu'il est pseudo-élu local ou national ou bien président ou membre influent d'une association, d'une commission ou d'une union de tout type, qu'il discerne avec pompes, des honirifications à des professeurs émérites, à des moudjahidine, à des talents artistiques en devant se dire intérieurement: Voilà vous êtes tous à ma merci. A quoi auraient servi vos diplômes, vos exploits et vos brios ? Puisque vous êtes là, à me tendre vos épaules pour y accrocher un burnous ou vos nuques pour un fanion ! Je n'étais rien, qu'un insignifiant badaud, un quelconque prénom, un impersonnel citoyen. J'étais juste un individu et vous étiez des sommités, des grandeurs. Quand vous étiez à des années-lumière, je n'étais qu'un jour férié, donc n'est-il pas temps de m'élever sur vos célébrités et m'éclairer par vos luminosités! Ne voyez pas là une humiliation plus qu'une soumission de vos valeurs aux pieds de mon ignorance, plus que mon mépris face à vos mérites.

C'est dire que cet homme matois qui rôde à Alger et dans d'autres villes, ne recule devant rien pour démentir les sciences du management et vaincre la loi de l'accession sociale. Il défie la logique des promotions en usant de tout subterfuge et prend la fin pour une raison afin de justifier tous les moyens. Quand on n'a grandi que dans les ténèbres, l'on cherche le moindre rayon de soleil pour éclairer son obscurité et si l'on trouve un projecteur, l'on fait tout pour être sous les feux de sa rampe. Peu importent les brûlures post-exhibition.

Il est là, fringant sur tous les podiums, dans les réunions officielles, aux côtés du maire, à proximité du wali, parfois du ministre. Il s'exténue à se ceindre le cou d'une cravate nouée depuis qu'il l'a découverte pour remettre, le soir venu, l'habit de sa véritable nature. La nudité existentielle. C'est dire aussi que mépriser les limites de la convenance c'est être en plein opportunisme, au noyau central de la roublardise.

Cet énergumène qui n'a qu'une langue suave est le prototype stylé que crée la médiocrité pour ses propres besoins afin d'écarter le bon sens, l'intelligence et la bonne gouvernance.