|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Ces
jours-ci, dans l'une de mes lectures quotidiennes, une conclusion assez
étonnante d'un texte, « il faut le lire, pas l'écouter ».
Bien entendu, le développement du corps du texte ne laisse aucune ambiguïté sur l'objet de la réflexion. Mais au-delà du cas particulier cité, c'est un renvoi plus général vers l'un des débats anciens et des plus épineux dans la littérature mondiale. Autrement dit, doit-on lier les textes d'un auteur avec la vie et les pensées de la personne ? Ou alors faire la part des choses en dissociant les deux univers par une étanchéité qui solidifie la frontière ? Dans un premier réflexe de l'amoureux des textes, le choix ne fait aucun doute. Si on devait lier les deux, une grande partie des auteurs antiques et une majorité des grands classiques du XIX ème siècle serait exclue des bibliothèques. Ce serait un drame de se priver d'une telle richesse de la création humaine. Les antiques, pour la glorification de la force et de la misogynie, Balzac et Zola pour leur antisémitisme et Victor Hugo pour sa pensée coloniale. La liste est longue et on ne pourrait y trouver son compte dans un monde déserté de ses plus prestigieux auteurs. Ils sont une partie importante des civilisations et cultures des peuples. Mais dans ce choix cornélien on peut essayer de trouver une démarche pour rechercher un équilibre. Il ne repose pas sur une certitude ni sur une justesse mais il faut bien trouver une voie qui ferait sortir de l'impasse. On pourrait alors distinguer ceux dont nous ne connaissons pas les propos enregistrés dans un temps où l'enregistrement de la voix n'existait pas. On se trouverait dans ce cas uniquement dans un jugement des textes et non de la vie du personnage. Du moins, pas autant que notre période moderne des médias. Mais lorsque les paroles enregistrées nous sont disponibles, comment éviter de faire un lien entre l'œuvre, les actes et les paroles de l'auteur ? L'une des réponses consisterait à lier le thème abordé par les deux facettes de son expression, cadre littéraire ou privé. On trouverait par exemple l'horreur des paroles de Céline en concordance avec une partie de ses écrits (littéraires ou dans la presse). Mais lorsque l'interprétation des paroles est discutée, les uns trouvant qu'elles ne portent aucune idéologie contestable et ceux qui l'affirment, comment faire ? En ce qui concerne les premiers, on est en droit de se poser une étrange question. Nous l'avons déjà dit, pour conseiller de ne pas l'écouter, c'est qu'il existe une suspicion de paroles inconvenantes, choquantes, sans fond, grossières ou dénotant d'un manque de hauteur intellectuelle. Sinon l'avertissement n'aurait aucun sens puisqu'il s'exprime en mode impératif. Pourquoi nous demander de ne pas écouter une personne à qui l'on accorde un immense talent ? Étrange tout de même que cette recommandation. Devant une telle interrogation de ma part, je prendrais une attitude assez simple. Un auteur de littérature n'a de légitimité réelle de déborder de la présentation de son œuvre que lorsque cette dernière est la cause de ses paroles à l'adresse d'un public. Mais lorsque l'auteur se prend à développer un sentiment ou une analyse qui sortent du sujet de son écrit, il ne peut se dissimuler derrière son talent et sa notoriété. Il descend dans l'arène du débat politique où il s'expose à toutes les critiques. C'est le cas d'un auteur qui, lors de la promotion de son livre, nous fait part de son opinion politique. Il faudrait alors ne pas écouter un citoyen qui se met à la hauteur des autres ? Dit-il de si énormes bêtises, des insultes, des délires ou des paroles offensantes pour nous conseiller de ne pas l'écouter. Pour ma part, j'ai trouvé depuis longtemps le moyen de me sortir de ce dilemme lorsqu'un auteur suscite ce genre de débat. Je ne le lis jamais ni ne veux l'écouter, en toute liberté de choix. Comme cela, les choses sont claires entre la lecture et l'écoute. |
|