Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

D'une Nakba à une autre

par Mustapha Aggoun

Si la Nakba de 1948 n'a pas bénéficié d'une couverture médiatique, les tentatives actuelles de dissimuler les massacres dans la bande de Ghaza n'ont jamais cessé. L'occupation revient, envahissant des zones que les civils croyaient libérées, illustrant ainsi la tromperie en temps de guerre et l'aggravation des crimes contre des civils qui avaient retrouvé un semblant de sécurité. Ces civils retournent dans leurs maisons détruites ou semi-détruites, rassemblant leurs proches parmi les décombres et cherchant des abris précaires.

L'endroit où une personne a vécu sa vie lui procure un sentiment de sécurité et de stabilité, même si chaque endroit dans le secteur lui appartient. Cependant, par nature, l'être humain ne se sent à l'aise que chez lui. Un habitant de Ghaza-ville ne se sentira pas à l'aise s'il vit pendant des mois chez un parent à Khan Younès, même si ce parent l'accueille bien malgré le manque de ressources, la rareté de la nourriture et les services insuffisants. La nostalgie pousse les gens à retourner aux lieux de leur enfance et de celle de leurs enfants, même si ces endroits sont devenus des ruines.

Cette Nakba est continue, séquentielle et ininterrompue. Elle ne s'est pas achevée avec les ordres d'évacuation du nord de Ghaza, ni avec les massacres dans les zones considérées comme sûres par l'ennemi. La mort et la destruction poursuivent les gens partout, rendant impossible de dire qu'il existe un endroit sûr ou un seul mètre carré sécurisé dans tout le secteur de Ghaza, du nord au sud, de l'est à l'ouest.

Bien que les parents et grands-parents se soient installés dans des tentes après leur expulsion de leurs villes et villages, la mort s'est arrêtée aux frontières du secteur. Les déplacés ont alors engagé une nouvelle guerre pour trouver de quoi vivre. Ils ont vécu des années sous des tentes avant de pouvoir obtenir les premiers murs en terre crue pour les abriter au lieu des toiles de tente.

Si la Nakba de 1948 a changé l'histoire palestinienne, celle de 2024 l'a encore plus modifiée. Elle a redessiné la géographie du secteur, désagrégé le tissu social, séparé les mères de leurs enfants, les petites familles de leurs familles élargies, et causé des milliers de pertes parmi les orphelins, les veuves et même les couples qui ont perdu leurs conjoints.

En comparant la population de 1948 avec celle de 2024, on découvre que chaque Nakba a abouti à l'extermination d'une grande partie de la population palestinienne, en plus des déplacements forcés. Les nouvelles indiquent un nombre croissant de personnes quittant Ghaza depuis le début de la guerre, un chiffre préoccupant qui pourrait augmenter si le passage de Rafah est rouvert et que les voyages sont facilités. Le Palestinien qui a été forcé de se déplacer en 1948 est le même qui continue de le faire aujourd'hui, car l'ennemi utilise les mêmes méthodes depuis trois quarts de siècle : extermination, massacres, destruction, et éradication des moyens de subsistance. À cela s'ajoutent les coupures de routes entre les villes et gouvernorats de Ghaza, rendant la vie difficile avec une infrastructure détruite dans les zones que l'occupation prétend avoir quittées. En revenant, les habitants découvrent qu'ils retournent à un désert.

Une récente statistique officielle indiquant que 5% de la population de Ghaza a été tuée ne peut pas être considérée comme définitive tant que la Nakba se poursuit. Cette catastrophe continue de s'étendre avec ses tentes de réfugiés, ses déplacements forcés, la faim, la peur constante, l'errance et la dispersion des familles. La souffrance ne se limite pas à la perte de vies humaines; elle englobe également les traumatismes psychologiques intenses subis par ceux qui survivent, contraints de vivre dans une insécurité perpétuelle.

Les tentes de fortune, abris temporaires censés être transitoires, sont devenues des symboles de la persistance de la tragédie. Les déplacements forcés se multiplient, obligeant les familles à fuir leurs maisons encore et encore, chaque déplacement arrachant un peu plus de leur dignité et de leur espoir. La faim est omniprésente, aggravée par les blocus et les restrictions sur les approvisionnements, rendant chaque repas une lutte pour la survie.

La peur, quant à elle, est une compagne constante. Les bombardements imprévisibles, les incursions militaires et les menaces de violence ajoutent une couche de terreur qui hante les nuits et les jours des habitants de Ghaza. L'errance et la dispersion sont devenues le quotidien, des familles entières se retrouvant séparées, des parents cherchant désespérément leurs enfants, et des communautés autrefois soudées se disloquant sous la pression incessante de l'oppression.

Les effets psychologiques sont dévastateurs. Les survivants de Ghaza vivent une mort lente, un traumatisme perpétuel que le monde observe, souvent en silence. L'anxiété, la dépression et le stress post-traumatique se répandent, affectant gravement la santé mentale des habitants. Les enfants, en particulier, grandissent dans un environnement où la normalité est synonyme de violence et de peur, compromettant leur développement et leur avenir.

Le monde regarde, y compris les nations sœurs, sans agir. La communauté internationale, malgré les cris d'alarme et les appels à l'aide, semble incapable de mettre fin à cette souffrance. Tant que la Nakba continue avec ses multiples formes de souffrance et de destruction, aucune statistique ne pourra capturer l'ampleur de la tragédie qui se déroule à Ghaza...