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Azouz Begag (écrivain et ancien ministre de Jacques Chirac) au «Le Quotidien d'Oran»: «L'Islam est une vraie hantise au pays de la fraternité»

par Entretien Réalisé Par Amine Bouali

Azouz Begag est né le 5 février 1957 à Lyon, en France. Ses parents sont originaires de l'Est algérien. Enseignant-chercheur en économie et sociologie, il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont le roman «Le Gone du Châaba », paru en 1986 aux éditions du Seuil à Paris, un texte qui l'a fait connaître du grand public. De juin 2005 au 5 avril 2007, il a occupé la fonction de ministre délégué chargé de la Promotion de l'égalité des chances dans le gouvernement de Dominique de Villepin, sous le présidence de Jacques Chirac. Se définissant de longue date comme un «militant de la cause des cités et des banlieues populaires françaises», Azouz Begag est un homme de conviction et de combat. À la veille d'élections législatives déterminantes en France, il a accepté de répondre à quelques questions du Quotidien d'Oran.

Le Quotidien d'Oran : M. Azzouz Begag, la situation politique en France est en ébullition et peut-être à la veille d'un grand chamboulement, inédit dans l'histoire de la cinquième République. L'extrême-droite est aux portes du pouvoir. Le score du parti du Rassemblement national aux dernières élections européennes, parti qui a fait de l'hostilité à l'émigration extra-européenne son cheval de bataille, est d'un peu plus de 31%. Suite à la dissolution de l'Assemblée nationale par le Président Macron, des élections législatives sont prévus le 30 juin et le 7 juillet prochains. Que vous inspire la situation politique actuelle de la France ?

Azouz Begag : C'est une tragédie française ! Une éruption volcanique ! Il n'y a plus de pilote dans l'avion d'Air France ! Pour un pays qui a fait de le fraternité sa devise internationale, c'est un comble. Quelle tristesse. Mais on s'y attendait. Le chemin pour le Rassemblement National était pavé par le pouvoir en place, ces dernières années, avec la loi «immigraton», Gabriel Attal et sa sortie sur l'abaya lorsqu'il fut nommé Ministre de l'éducation... Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy en leur temps avaient aussi jeté de l'huile sur le feu avec l'immigration et l'identité nationale. Pour être plus juste, depuis les années 1973-75 avec le lancement du Front National par Jean-Marie Le Pen, et son slogan «La France aux Français», l'immigration est dans le collimateur de l'extrême-droite et les immigrés des boucs-emissaires. En 2002, Le Pen accédait au second tour, contre Jacques Chirac, de la Présidentielle en battant Lionel Jospin. Aujourd'hui, sa fille est aux portes de l'Elysée. Le processus a été lent mais efficace. La menace extrême-droite est très forte. Mais pas seulement en France, dans d'autres pays européens aussi... Regardez comment en Italie Georgia Meloni s'est installée tranquillement au pouvoir... Le processus est engagé pour la France. Je dirais même «le pronostic vital...»

Q.O.: Trois blocs politiques se dégagent à la veille de ces élections législatives charnières : le bloc de l'Union de la gauche, celui de la majorité présidentielle réunie autour de la personne du Premier ministre Gabriel Attal, et celui de l'extrême-droite dirigé par le parti de Marine Le Pen. Est-ce que, selon-vous, l'arrivée de l'extrême-droite au pouvoir est inéluctable, dans quelques semaines ou lors des prochaines présidentielles ?

A.B.: Le RN a gagné les Européennes, c'est déjà énorme. Pour lui, la victoire n'est pas encore acquise aux Législatives. Macron ne s'attendait pas à l'Union des gauches, si rapide et efficace. Cette union peut gagner les législatives, de peu, certes, mais elle peut battre le RN et surtout le parti du Président. Je pense que les Français qui auront un choix entre un candidat du Nouveau Front Populaire et un RN choisiront in extremis, celui de gauche. Mais c'est en 2027 que l'enjeu sera majeur. Là, les Français voteront pour une femme, Marine Le Pen... beaucoup disent qu'ils «n'ont pas encore essayé le RN et qu'il faut lui donner sa chance...» C'est dire à quel point l'extrême-droite s'est normalisée dans le pays. C'est comme si on disait «on n'a pas encore essayé le racisme institutionalisé...» Cela me permet de rappeler que la question de l'immigration, notamment celles venue d'Afrique et du monde arabo-musulman est devenue un enjeu politique central en France. Après des décennies de martèlement, l'islam est une vraie hantise au pays de la fraternité. Les médias du milliardaire Bolloré et... Eric Zemmour... ont largement contribué à ce seum (sentiment de colère, de dégoût. NDLR.) J'affirme aussi que nombre d'immigrés et leurs enfants ont leur part de responsabilité dans ce déclin. A Marseille, en 2023, 50 jeunes des quartiers sont morts dans les violences liées au narcotraficants...

Q.O.: Aujourd'hui, en France et plus généralement en Europe, les citoyens d'origine étrangère extra-européenne sont devenus les boucs émissaires de toutes les frustrations et de tous les problèmes qui déchirent ces sociétés. Pourquoi, d'après vous, on est-on arrivé là ?

A.B.: Les Français ont le sentiment qu'ils ne sont plus chez eux, que les immigrés, et surtout les musulmans, sont en train de les envahir et d'altérer ce que veut dire «être Français». Le thème du Grand Remplacement a été très efficace depuis des années, mais ce n'est pas la faute des immigrés si les Français ne font plus d'enfants ! Si, toujours, pour les travaux les plus durs et les moins bien payés, on ne trouve plus que des migrants à employer (Btp, hotellerie, restauration, livraisons...). Il n'empêche que les peurs demeurent quant à l'islam : en France, depuis 1989 avec l'épisode des «Foulards de Creil des collégiennes marocaines...» (En octobre 1989, deux élèves musulmanes sont exclues d'un collège de Creil (Oise) parce qu'elles ont refusé d'enlever leur voile en classe. NDLR) qui a gravé l'histoire, et les attentats du World Trade Center à New York puis ceux qui ont suivi partout dans le monde... Pour ajouter au malheur, il faut rappeler le déclenchement de la guerre à Ghaza le 7 octobre dernier qui a beaucoup influencé les élections européennes...

Q.O.: On a le sentiment, aujourd'hui, qu'en France, le délit d'antisémitisme (confondu volontairement- et malhonnêtement- avec l'antisionisme) est utilisé à tout-va pour jeter l'opprobre sur une partie de la population- et on devine laquelle !

A.B.: On devine laquelle ?? Mais il faut le dire franchement : les musulmans ! Le problème avec les «Arabes» ou les «Musulmans» de France, soit une douzaine de millions de personnes ou plus, c'est qu'ils ne forment pas une communauté. Une très grande partie d'entre eux ne votent pas. Ils ne sont pas citoyens. Ils ne parviennent pas à s'organiser. Ce n'est pas moi qui ai inventé la phrase : «Les Arabes se sont entendus pour ne jamais s'entendre !» mais je la trouve très juste. Alors je ne veux pas donner le flanc à une posture victimaire. Elle ne sert à rien. Elle est inefficace. Les Juifs s'activent pour combattre l'antisémitisme, les Musulmans n'ont qu'à le faire, ensemble, contre l'islamophobie. Une des solutions pour laquelle je milite est le vote obligatoire (comme au Brésil...). Quand je pense qu'il y a des Musulmans en France qui disent que voter c'est haram... Si tout le monde votait, plus rien ne serait pareil ! Chaque citoyen compterait et le racisme diiminuerait. Mais personne ne veut du vote obligatoire...

Q.O.: Vous avez été ministre-délégué à la Promotion de l'égalité des chances, de 2005 à 2007, dans le gouvernement de Dominique de Villepin, sous la présidence de Jacques Chirac. L'égalité des chances entre les divers citoyens qui composent la société française, a-t-elle régressé ou progressé, selon vous?

A.B.: Il faut savoir que de plus en plus de musulmans, les plus qualifiés, quittent la France pour aller travailler à l'étranger, notamment dans les pays du Golfe. Ils ne supportent plus la haine anti-islam. Pour beaucoup, la France est loin d'être le pays de la méritocratie ! Leurs talents ne sont pas pris à leur juste mesure. Enfants d'immigrés, ils deviennent à leur tour migrants... Mais ce qui est paradoxal, c'est qu'en France, tout le monde aime l'équipe nationale de football ! Le moins qu'on puisse dire c'est que les Bleus ne sont pas composés que de... Blancs ! Le meilleur joueur du monde ne s'appelle-t-il pas Kylian Mbappé ! Fils d'une Algérienne et d'un Camerounais ! Voilà, c'est ça aussi la France. Plus la diversité s'impose, plus le racisme progresse et plus l'extrême-droite en tire profit. Des joueurs de l'équipe nationale de football prenne la parole pour inciter les jeunes à aller voter ! C'est bien, mais quand le vote obligatoire sera instauré, on n'aura plus besoin de ces incantations... Puisque ce n'est pas perçu comme un devoir, il faut en faire une obligation.