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LE TEMPS DES «SACHANTS»

par Belkacem Ahcene Djaballah

Ces derniers temps, on a vécu, en Algérie, trois événements qui, «exploités» par les malfaisants d'ici et d'ailleurs, ont donné une image plutôt assez négative de notre société profonde. Et, hélas, on en a bien d'autres. On a eu, d'abord, dans une ville de l'intérieur du pays, organisé par un «sachant» se disant «raqui», un énorme rassemblement (dans une grande salle) de concitoyens venus chercher, auprès de sa «bonne parole», du soulagement (quand ce n'est pas la guérison) à leur mal-être et/ou à leurs maladies. La justice (plutôt des juges), saisie de dossier par les autorités, l'a, nous dit-on, finalement acquitté. Le risque est, désormais, grand de voir «fleurir» (sic !), ici et là, cette forme de «médecine». Fleurir, tant il est vrai que les âmes tourmentées, réelles ou supposées, ne manquent pas. On a eu, ensuite, toujours à l'intérieur du pays, l'extraordinaire cas d'une prise d'otage qui a duré près de trente ans. Incroyable mais vrai ! La victime qui avait 16 ans au moment de sa disparition en 1996, a été retrouvée vivante après avoir été séquestrée par son propre voisin. Omar a été découvert caché dans un cachot souterrain sordide, enfoui sous des couches de paille dans le hangar de son ravisseur, un homme de 60 ans, fonctionnaire de son état, vivant seul, célibataire et sans enfants.

Cet homme, connu pour son isolement, avait réussi à cacher son crime pendant des années, sous le nez de ses voisins et des autorités. Il a fallu, semble-t-il, une dénonciation, car certains proches «savaient». Affaire de sorcellerie ? Ou, autre chose. La justice suit son cours. On a eu, enfin, à Alger même, des cinq enfants noyés (une plage en plein centre de la Capitale !) lors d'une excursion organisée par des associations et ce, semble-t-il, sans se soumettre préalablement aux règles de base élémentaires encadrant obligatoirement les excursions d'enfants et de scolaires : «négligence et non-respect des règlements et mesures organisationnels régissant de telles activités», «non-respect des mesures de prévention et de sécurité nécessaires pour la préservation de l'intégrité physique de ces enfants» et j'en passe. La justice, saisie du dossier, suit son cours, mais, on a déjà entendu des parents de jeunes victimes «excuser» l'encadrement. En attendant que la justice tranche sur tous ces douloureux et graves cas, le risque est désormais grand de voir «fleurir» mille et un petits pardons (on sait où le «grand pardon» des années 2000 nous a menés), porte ouverte à bien des lacunes organisationnelles d'une société qui se veut officiellement moderne. Trois événements, trois démarches qui montrent et démontrent que nous nous trouvons encore bien loin de ce que nous ambitionnons d'être, comme modernité. Publiquement. La faute à qui ? Pas à Voltaire. Pas à Rousseau. Les deux totalement bannis de notre culture. Et encore moins à «notre» immensitissime Ibn Khaldoun, ce grand oublié. Ne nous restent que nos innombrables télé-numériques «sachants», grands manipulateurs de l'anecdotique et de l'au-delà.