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Le sens défiguré du travail

par Abdou BENABBOU

S'il y a une forte dénature de la saine signification du travail et de l'effort, elle réside malheureusement dans les espaces publics que squattent les gardiens des trottoirs autoproclamés. Elle n'est pas seulement la manifestation d'une piraterie grandissante, mais elle ternit aussi l'image de l'Etat et tend à démontrer qu'il est absent sinon qu'il n'existe pas. Elle n'est pas simple excroissance car elle étale une culture dépravée en accordant une définition infantile à l'effort et au travail.

Le phénomène n'est pas innocent et tend à graver un esprit désastreux qui inverse l'ordre des valeurs sociales où la rapine et le miroitement du baston priment sur la saine connaissance, le réel savoir-faire et la sueur. Le drame dans cette désolation est que les pirates en s'accordant un statut particulier, à ciel ouvert, au vu et su de tous, sont convaincus, dur comme fer, qu'ils sont dans leur droit et que l'espace public leur appartient.

On accuse le chômage à la va-vite et la difficulté pour une catégorie d'Algériens de parer aux nécessités de subsistance quotidienne pour penser qu'il est exigé des autorités publiques de fermer les yeux sur un brigandage que la majorité des automobilistes répugne. Stationner aujourd'hui équivaut à se prêter à une agression morale et parfois physique. Pourtant l'Etat n'a pas lésiné à puiser dans son budget pour distribuer une prime de chômage relativement conséquente à plus de trois millions de sans-emplois. Et il est fort à parier que la plupart des squatteurs des rues et des parkings en bénéficient alors que leurs recettes quotidiennes dépassent de loin celle d'un médecin.

La débrouillardise vorace instituée dans l'illégalité en règle générale propage une gangrène sociale dont le pays a eu longtemps à en souffrir. Si l'Etat a pris sur lui de s'attaquer à l'expansion de tous les secteurs où s'abritent les phénomènes illicites, il ne peut encore tourner le dos au réel piratage des rues. Ce danger est probablement plus important que celui des enseignes-casquettes des devantures de commerce. Car il pourrait être le premier signe visible du sous-développement et de l'absence de l'Etat.