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Il est de coutume de décrire
l'histoire comme un ensemble de faits et d'événements qui se retournent dans le
temps. Ainsi, les hommes n'inventent rien réellement, ils ne font que
transformer les décors de scènes déjà vécues. Ils construisent et déconstruisent
les mêmes idées qu'ils calquent sur des conjonctures différentes, tout en
gardant l'essentiel du contenu de leur démarche intacte d'une époque à une
autre.
La remarque s'applique certainement aux changements historiques qui se produisent actuellement en Algérie. En effet, l'histoire revient incontestablement avec des engagements populaires similaires à ceux d'une autre époque. Celle de l'indépendance de l'Algérie en 1962. Voilà que les Algériens se révoltent pour se débarrasser d'un système de gouvernance aussi inique que celui exercé autrefois par le colonialisme. Voilà que le peuple se remet au même combat, sans armes pour cette fois, avec des acteurs dissemblables dans leurs formes, mais dont le contexte est assez comparable à celui des figurants d'une révolution révolue. Voilà que l'esprit maquisard s'approprie la rue. Une fois de plus, les Algériens retournent ensemble à la case d'un ancien départ, revenus de loin comme si le temps n'a jamais bougé. Ils se mobilisent. Ils marchent massivement partout dans le pays, dans un rebond fantastique chargé d'émotions patriotiques pareilles à celles éprouvées par les aïeux, jadis lorsqu'il s'agissait de se battre pour libérer le pays. Ils cherchent, encore une fois, à former un gouvernement provisoire, pour instaurer des accords « spéciaux » et discuter des alternatives susceptibles d'aboutir à un Etat de paix dans une autre nouvelle Algérie. « Tahya el djazair », vive l'Algérie, un cri qui se répète encore aujourd'hui, exactement comme aux jours de la grande révolution. Les youyous retentissent également, les mêmes que celles qui ont accompagné la lutte des pères pour recouvrer la liberté. Comme la nature, les événements tournent dans le temps sans respecter les calculs du calendrier. Comme au début, il faut organiser des élections pour désigner un nouveau président. L'histoire va vite. Elle revient munie des mêmes événements pour chuter dans le présent qui court, quand l'édifice de sa propriété collective est fondé sur des principes individuels. Le passé se réincarne dans l'actualité quand les erreurs commises n'ont pas été réparées, les promesses tenues jamais honorées, ou bien quand les vérités nécessaires à sa continuité ont été faussées, falsifiées, trahies, détournées de leurs velléités premières rendues à coût de sacrifices impossible à estimer. Les événements se ressemblent d'une manière incroyable. Le sentiment de l'inquiétude vécue pendant la guerre d'Algérie est là, sauf que le frère n'était pas son premier ennemi pendant ce temps. La peur de sombrer dans une situation de « non-Etat » après le désengagement du gouvernement en place est là aussi, la nécessité de rassembler les compétences humaines pour former un autre GPRA s'impose comme l'unique solution pour garder la machine des institutions en marche. Aller aux urnes pour l'élection d'un chef d'Etat et la composition d'une équipe pour diriger le pays demeure une résolution urgente. Pareillement à l'effervescence de 1962, les manifestations actuelles portent une sensation d'allégresse flegmatique collective. Elles rappellent l'excitation fougueuse d'une population qui découvre enfin le goût d'exister dans une patrie libre. Elles inspirent le repos de se délivrer d'une junte dirigeante qui a pour longtemps, pour toujours, gouverné le pays avec une politique opaque, appuyée par des lois illusoires et restrictives qui servent les intérêts personnels du cercle oligarchique emmuraillé autour du trône de la république. Comme autrefois, la mobilisation euphorique qui prévaut aujourd'hui hume des arômes excellents, ce sont les odeurs de la dignité. Si les manifestations de l'été 1962 exprimaient la joie de recouvrer l'indépendance du pays, l'événement présent a pour objectif de conquérir cette même indépendance, spoliée après par un régime dérouté des vraies raisons, tracées principalement dans les préceptes de sa propre révolution. La patience du peuple a expiré. Il a toujours supporté son train de vie misérable, il a vécu avec le rêve d'une existence correcte qui ne s'est jamais exaucé. La sagesse de son indulgence a fini par dépasser sa peur. Il termine par déborder des limites de l'aptitude humaine en déchargeant la hargne de son refus dans les rues de tout le pays. Le peuple se soulève pour réclamer le départ de l'autorité gouvernante dont la mandature tire à son échéance dans quelques semaines. Il exige l'éradication inconditionnelle du système politique avec toutes les institutions et tous les organismes qui s'y attachent. Le peuple le dit à haute voix dans la rue, il n'en veut plus de ses gouverneurs qu'il traite ouvertement de corrompus, de voleurs, d'escrocs et même d'assassins. Le peuple est plus nationaliste que ses gouverneurs, lesquels sont plutôt distraits par leurs affaires intimes, par leurs engagements officieux ou par leurs magouilles mafieuses entreprises avec les derniers publics. Le peuple aime le pays bien mieux que ses gérants administratifs, il est sorti à la rue quand il a vu que la nation allait à la dérive. L'histoire obéit à l'appel du peuple et revient avec sa pleine volonté d'autrefois, pour insuffler sa détermination de force et forger sa résistance de vigueur. Elle retourne avec ses souvenirs pour taper dans les mémoires et rappeler les esprits au droit chemin, celui qui mène à un Etat de droit pour lequel des millions d'hommes ont sacrifié leurs vies. Elle porte également les leçons de tous les périples que le peuple a connus pour consolider son éveil afin d'éviter les bavures déjà effectuées, et les traits de bravoure et de rigueur pour modeler chez lui une conduite honorable et un comportement de citoyenneté exemplaire. L'histoire ramène presque tout dans ses bagages, ses antiquités sont remises à l'état neuf dans ses retournements mémoriels. Les martyres sont là, on sent leurs âmes circuler parmi les foules des manifestants, on voit leurs images affichées dans des pancartes hissées entre les couleurs des drapeaux et les banderoles aux écrits largement expressifs. Les ennemis de la nation sont présents aussi, ils traînent aux pieds de l'histoire en glissant leurs bâtons dans ses roues pour empêcher la bonne marche de la société. L'histoire est justement revenue pour rendre justice à qui de droit. Elle dévoile les traîtres à la volonté du peuple, elle dénonce les figures des caméléons hypocrites, ceux qui voguent sur tous les vents et surfent sur toutes les vagues. L'histoire est juge. C'est elle qui va congratuler les âmes propres qui seront éternellement citées dans les pages honorifiques de son livre d'or. C'est elle encore qui va condamner les malfaisants à périr pour toujours dans la décharge parmi ses ordures. * Ecrivain |
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