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Le
tourisme commence à reprendre des couleurs en Tunisie après la période de
vaches maigres qu'a connue le pays suite aux attentats de 2014 et 2015. Et pour
de nombreux opérateurs du secteur, le crash a été évité grâce aux nombreux
Algériens qui ont choisi la destination Tunisie pour leurs vacances lorsque les
Européens l'ont pratiquement désertée. On parle de solidarité des Algériens
avec les Tunisiens.
Pour 2017, il y a eu 2,6 millions d'Algériens qui ont passé leurs vacances dans le pays. Un chiffre qui prend en compte, uniquement, ceux de nos compatriotes qui ont séjourné dans les hôtels. D'autres ont préféré louer des appartements et des villas auprès de particuliers. Et ils sont nombreux, nous dit-on. Les opérateurs du secteur du tourisme, particulièrement les hôteliers, que nous avons rencontrés lors de notre séjour en Tunisie, nous disent que Hammamet et Sousse sont les destinations privilégiées des vacanciers algériens, mais la donne commence à changer. Aujourd'hui ce sont pratiquement toutes les stations balnéaires qui comptent des Algériens parmi leurs clients et même parmi les plus fidèles, que ce soit en basse ou en haute saison. Cette «tendance» ne passe pas inaperçue chez les opérateurs du tourisme des villes comme Mahdia, Monastir ou encore Djerba, qui veulent, eux aussi, avoir leur part de ce marché algérien, le deuxième après celui domestique. Nous sommes invités par l'Office national tunisien du tourisme (ONTT) dans plusieurs villes côtières du pays. Notre guide, Saad Khemiri, est le responsable de l'ONTT pour l'ouest algérien. Il fait le voyage avec nous depuis Oran, sur un vol Tunisair. Notre voyage coïncide avec les vacances de printemps, période durant laquelle de nombreux Algériens choisissent la Tunisie pour y passer quelques jours. On nous dit que le marché algérien est porteur et que la Tunisie peut en profiter beaucoup plus. Au siège de l'ONTT de Yasmine Hammamet, nous rencontrons Amel Gueddiche, commissaire régionale du tourisme, Zoghmati Omar Anis, le directeur général de la société d'études et d'aménagement, Marina Yasmine Hammamet et Walid Derouiche, celui de Diar Lemdina, une sorte de Disneyland, avec des particularités bien tunisiennes. Le directeur de la Marina nous explique que celle-ci est composée du port de plaisance avec ses 740 anneaux (places pour bateaux), et une partie immobilière avec des appartements, des villas et des locaux commerciaux. Si les appartements ont tous été vendus, il reste encore des commerces qui ne tarderont pas, cependant, à trouver preneurs. Des Algériens propriétaires de logements ? «Oui, bien sur !», nous répond M. Zoghmati. Le port de plaisance, entré en exploitation en 2001, peut recevoir des bateaux pouvant atteindre jusqu'à 110 mètres de longueur. Et toutes les prestations sont disponibles pour les plaisanciers. S'agissant des pavillons qui accostent à la Marina, notre interlocuteur dira qu'en tête, il y a les Français, viennent ensuite les Italiens, les Anglais et les Belges. Selon notre interlocuteur, les marinas tunisiennes disposent d'atouts qui font que de nombreux plaisanciers européens la préfèrent à d'autres ports du pourtour méditerranéen. Il explique que la location d'anneaux dans les marinas tunisiennes est 30 à 40% moins chère qu'en Turquie ou en Grèce, et ce pour services équivalents. Autre atout et non des moindres, la Tunisie dispose d'une période propice à la navigation beaucoup plus longue que d'autres pays d'Europe. Le Maroc commence lui aussi à bouger sur le marché de la plaisance, avec la réalisation, depuis deux, ans de marinas. Mais le royaume chérifien cible surtout la clientèle espagnole, qui ne constitue pas pour la Tunisie une clientèle traditionnelle. Notre interlocuteur avoue cependant que pour la saison 2016-2017, les rentrées ont été de 2,5 millions de dinars tunisiens, en baisse de 30% par rapport à la saison d'avant. Une baisse qui n'est pas liée exclusivement à la situation sécuritaire, mais aussi à l'entrée en exploitation, ces deux dernières années, de deux autres ports de plaisance à Bizerte et Gammart. Les Algériens dépensent plus que les Européens Des clients algériens du port de plaisance ? Une dizaine, soutient notre interlocuteur. L'entreprise de gestion de la marina est mixte : il y a l'Etat et des privés, des nationaux et des Koweïtiens. En Tunisie, il existe huit ports de plaisance, dont deux seulement sont publics. En cette fin de mois de mars, le taux de remplissage est de 37% à Yasmine Hammamet. L'année dernière à la même période, il était de 30%. Et ici, nous dit-on, les Algériens sont considérés comme des Tunisiens. D'ailleurs «les déclarations au niveau de la police pour la location d'un logement auprès d'un particulier ne se font plus lorsqu'il s'agit d'Algériens». Depuis le début de l'année au 20 mars, ce sont 16.525 Algériens qui sont arrivés à Yasmine Hammamet. Ils étaient 16.142 pour la même période de l'année dernière, une progression de 2,4%. Paradoxalement, le nombre de nuitées enregistrées dans les hôtels a baissé. L'explication, selon des responsables de l'Office national du tourisme tunisien (ONTT), est que de plus en plus d'Algériens préfèrent louer des appartements ou des villas auprès de particuliers tunisiens. Nos interlocuteurs vont jusqu'à dire que les Algériens sont plus dépensiers que les Européens. Généralement ces derniers prennent la formule dite «tout inclusif», autrement dit une prise en charge totale, en hébergement et en nourriture, ainsi que des circuits touristiques et des visites guidées. Les Algériens préfèrent, eux, la demi-pension, ce qui leur permet d'être plus libres, de déjeuner et de diner à l'extérieur de leurs lieux de résidence, de visiter l'intérieur du pays, et de faire du shopping, à leur guise. Le tourisme médical ? Beaucoup plus visible à Sousse, nous dit-on ! A Yasmine Hammamet, c'est plus le tourisme du bien-être. Pour nos interlocuteurs, de plus en plus d'Algériens viennent en Tunisie pour se soigner ou encore acheter des médicaments. En Tunisie, contrairement à ce que l'on pourrait penser, les étrangers ne viennent pas pour la greffe de cheveux ou encore la chirurgie esthétique, plaide-t-on. On se vante d'avoir de très bons rhumatologues, ophtalmologues et autres. «Dans certaines cliniques à Sousse vous ne trouverez que des Algériens et des Libyens», nous assure la commissaire de l'ONTT pour la région de Hammamet. Saad Khemiri nous dira qu'il y a même des agences de voyages en Algérie qui ce sont spécialisées dans le tourisme médical. On nous assure qu'il y a des conventions entre la Tunisie et l'Algérie en matière d'assurance maladie et les Algériens peuvent se faire rembourser pour certaines prestations fournies en Tunisie ( !?). Les côtes de Sousse, Hammamet et Nabeul, sont très prisées des vacanciers algériens. Mais ces derniers temps, nos compatriotes poussent plus au sud, à Djerba notamment. Même s'il y a eu renforcement des dessertes aériennes entre l'Algérie et la Tunisie, beaucoup reste à faire, selon nombre de nos interlocuteurs. Nos hôtes déclarent que des investisseurs algériens se sont installés en Tunisie. Il y a qui ont loué des hôtels et des restaurateurs, dont au moins deux viennent de la région de Annaba. D'autres sont intéressés par l'achat de complexes hôteliers. «L'investissement dans le secteur du tourisme est libre pour tout le monde en Tunisie», disent nos interlocuteurs. Walid Derouiche, responsable d'exploitation de la Medina Mediteranea, soutient qu'il y a beaucoup de démarches en direction du marché algérien. «La semaine dernière nous avons eu une première expérience avec l'organisation de journées algériennes à la médina, en collaboration avec trois chaines de télévision algériennes. Nous avons diffusé des spots gratuits pour la promotion du complexe et en contrepartie nous avons abrité des spectacles animés par des artistes algériens», dira-t-il. La médina est riche et variée. Les Algériens, nous dit M. Derouiche, sont attirés par Carthage Land, une sorte de Disneyland, avec différentes attractions et qui est très connu et très prisé. Il y a aussi un parc d'attraction, avec des annexes, des cafés, restaurants, commerces. La médina offre trois ensembles architecturaux pour l'hébergement. Il y a Diar Erriadh, qui reproduit le style persan, Diar El Boustan, inspiré de l'architecture andalouse et enfin Diar Sidi Bousaid, réalisé dans un style purement tunisien avec ses couleurs bleue et blanche caractéristiques. La médina, c'est aussi un espace pour abriter conférences, congrès, journées et autre expositions, pour les professionnels. Walid Derouiche, fier de nous présenter la salle polyvalente Hannibal pouvant accueillir 2200 personnes, nous dit au cours d'une visite des lieux que c'est le style tunisien qui a été choisi, pour l'architecture et la décoration. Sousse et son patrimoine mondial La médina de Sousse est classée au patrimoine universel par l'UNESCO. Le musée archéologique, situé à la Casbah abrite des mosaïques d'une valeur inestimable. Elles représentent les rituels funéraires des époques lybico-punique, romaine et de l'antiquité chrétienne. Tous ces trésors ont été découverts à Sousse et dans sa région. A l'extérieur du musée on se rend compte que l'édifice fait partie d'une sorte de forteresse avec des vues sur toute la médina. A Sousse, il y a aussi le Ribat, une sorte de rempart, bâti à la fin du VIII siècle. Le responsable du musée nous dit qu'il ya deux tarifs pour les visites. Sept dinars pour les étrangers et cinq pour les Tunisiens et les? Algériens, «ce sont eux aussi des Tunisiens !», lance notre hôte. La grande mosquée de Sousse est un autre chef-d'œuvre architectural à visiter. Sousse a aussi sa station touristique. C'est El Kantaoui Port qui s'étend sur une surface de 340 hectares. El Habib Amar, PDG de la société d'études et de développement de Sousse Nord et du port de plaisance El Kantaoui, insiste pour dire que «c'est l'original». Autrement dit, le concept de ce genre de station est né ici et a été reproduit dans les autres villes côtières de Tunisie. Un véritable complexe, avec port de plaisance, appartements, villas, restaurants, hôtels, commerces, équipements de loisir et de sport et même des parcours de golf. Le port de plaisance peut recevoir jusqu'à 300 bateaux. La station dispose de deux sites d'hébergement. Diar El Bahr et Diar El Hadaiek. Ici, Algériens et Tunisiens représentent 60 à 70% de la clientèle. Là aussi, le complexe est à capitaux mixtes. Il y a l'Etat tunisien, le Fonds d'investissement d'Abu Dhabi, et l'Arab International Bank. «L'actionnariat public privé a bien réussi au secteur du tourisme en Tunisie», lance notre interlocuteur. Saad Khemiri nous apprendra ensuite que dans toute la Tunisie ne subsiste qu'un seul hôtel public, celui de Sidi Boussaid et dont la vocation est surtout limitée à la formation en hôtellerie. Monastir, la ville de Bourguiba. Son mausolée et son musée. Le mausolée, en plus d'abriter la dépouille du défunt Bourguiba, renferme aussi des photos et des statues de celui qui est considéré comme le père de la révolution tunisienne. Au musée dédié à Bourguiba, nous sommes les seuls visiteurs, à ce moment-là. Au rez-de-chaussée, il y a la voiture présidentielle et aux niveaux supérieurs, des meubles de sa résidence : son bureau, sa chambre à coucher, ses salons, ses salles de réception et même sa salle de bain? Non loin du musée dédié à Bourguiba, nous rencontrons Slim Dimassi, représentant de la fédération des hôteliers et le commissaire du tourisme pour la région. Pour M. Dimassi, le marché algérien est porteur. Il nous explique que sa fédération participe aux décisions concernant le secteur et siège dans la commission de classement des hôtels. A une question relative au manque de dessertes entre l'Algérie et la Tunisie, il répond que la question est régie par un principe de quotas répartis entre Tunisair et Air Algérie. Il souligne cependant que sa fédération a saisi le ministère du Tourisme pour étudier la possibilité de les renforcer. Une Tunisie plus libre Monastir c'est aussi la côte et son sable fin et doré. Le Royal Thalassa Monastir, un complexe touristique, reçoit de plus en plus d'Algériens, selon son manager Sami Ben Mansour. D'ailleurs, en ces vacances de printemps notre regard tombe sur des voitures immatriculées en Algérie, à Constantine et Tébessa. M. Benmansour nous dit qu'il compte parmi ses clients de plus en plus de familles algériennes. Le complexe est un véritable village touristique qui compte de nombreuses attractions. Un toboggan géant, des piscines, des espaces dédiés aux enfants en fonction de leur âge, des commerces? tout est sur place. A Monastir, le conducteur du bus qui nous transporte, notre ami Slim, s'engouffre dans de petites rues, il cherche la route pour Mahdia. Nous passons à proximité de la délégation régionale de l'éducation, l'équivalent d'une direction de wilaya de l'éducation. Et là un tableau familier. Des dizaines de personnes brandissant des pancartes et scandant des slogans. Les manifestants gênent un peu la circulation, mais rien de méchant. Il s'agit d'enseignants vacataires demandant leur «permanisation». Dans la ville de Mahdia nous sommes conviés à visiter le Thalassa Mahdia Aquapark. Un des trois complexes de la chaîne Thalassa Hôtels -les deux autres unités sont situées à Sousse et Monastir. Pour une remise en forme, il n'y a pas meilleure adresse, nous explique Anis Bensalah. Mohamed Amine Mzoudi, directeur commercial, soutient, lui, qu'en matière de thalassothérapie, la Tunisie est classée deuxième après la France. Une visite guidée des lieux permet de découvrir «un véritable complexe de remise en forme». Au centre de Mahdia, on cherche une table de libre sur la terrasse d'un café. On demande à un septuagénaire assis seul la permission de s'attabler avec lui. A une question à notre guide sur la distance qui sépare Mahdia de Tunis, notre prochaine destination, c'est notre hôte qui répond : «190 kilomètres». L'homme aux cheveux gris sirote un café avec un nuage de lait, cigarette au bec. Il nous parle de la Tunisie qui, pour lui, ne va pas aussi bien qu'on le pense, mais croit que cela changera. Notre guide lui demande, «tu es doustourien (parti de Bourguiba) ?». «Non, je suis bourguibiste !», sans expliquer la nuance. Il dit être détenteur d'un magister en économie et avoir occupé des postes dans des directions centrales de l'administration publique. «Ghanouchi ?». «Il a des origines soudanaises», nous répond l'homme avec sérieux. Il soutient même connaitre Bouteflika. Notre guide met fin à la discussion, retour au bus pour un long trajet à destination de Tunis. Demain retour au pays. Une phrase dite par un Tunisien concernant la révolution. «Ca nous permet de parler politique aussi librement qu'on parle football. Maintenant, il faut passer à autre chose, à une Tunisie plus libre». Les Tunisiens y croient ! |
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