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Le pouvoir
central et la cour suprême ne l'entendent pas de cette oreille et traitent tous
les membres de l'ex-gouvernement catalan comme des criminels, en plaçant certains
d'entre eux avec des prisonniers de droit commun.
Cependant, il est utile de signaler que dans l'un de ses arrêts le juge Llarena répond à la demande de sa mise en liberté introduite par l'ex-conseiller catalan de l'Interieur, Joaquim Forn, que ce dernier ne peut être libéré pour son «idéologie», et pour ses «idées indépendantistes». Pour beaucoup d'analystes le juge de la cour suprême donne ainsi raison, malgré lui, au mouvement indépendantiste qui dénonce la détention de ses leaders, justement, pour leur «idéologie» et leurs «idées». Dans le même esprit, la question du concept de prisonnier politique draine derrière elle dans le conflit catalan le thème de la complémentarité entre démocratie et loi. De même, la crise catalane met à nu le principe de l'indépendance de la justice par rapport au pouvoir exécutif, quand il y a au-dessus de tout une Raison d'Etat. La situation en Catalogne révéle aussi que lorsque les idées de démocratie, légalité, lois...sont galvaudées, utilisées à tort et à travers, ou instrumentalisées dans la presse, sur les plateaux de télévision espagnols par certains «analystes», ou par certains hommes politiques, ils peuvent justifier n'importe quelle dérive autoritaire. L'indépendance de la Catalogne, une revendication récurrente Ce qui est exposé plus haut dépassant le cadre de cet article, il faut peut-être signaler aussi que la revendication d'indépendance de la Catalogne ne date pas d'aujourd'hui, si l'on étudie l'histoire de l'indépendantiste catalan Lluis Campanys, une figure bénie par les partisans indépendantistes catalans mais honnie par les non-indépendantistes. Lluis Campanys fut le président régional de Catalogne durant la 2ème république espagnole (de 1931 à 1939, année qui marque la fin de la guerre civile espagnole et la victoire des troupes du général Franco). En Catalogne, Campanys est connu comme l'homme qui osa défier le gouvernement central de la république espagnole des années 30 en proclamant le 06 octobre 1934 «l'Etat Catalan, dans la Répubique Fédérale Espagnole». Exilé en France occupée par les allemands durant la Seconde Guerre mondiale, il fut capturé par la Gestapo à la demande des autorités franquistes espagnoles. Jugé sommairement en Espagne par un tribunal militaire, il fut fusillé en octobre 1940. Le destin de Lluis Campanys peut être raconté par n'importe quel collégien catalan, qui découvre aujourd'hui une étrange coïncidence entre le cas Campanys et le cas Puigdemont: les deux ont occupé la fonction de président régional de la Catalogne, les deux sont des exilés politiques, les deux ont été arrêtés par des agents allemands (dans des circonstances différentes «par bonheur», pour Puigdemont), les deux sont accusés de rebellion, délit puni par plus de 20 ans de prison par la justice espagnole... Un ami espagnol me disait que la revendication de l'indépendance en Catalogne était cyclique, et cette coïncidence semble le confirmer fortement. La montée de l'indépendantisme catalan On ne peut pas rendre tous les détails de l'origine de la situation actuelle en Catalogne, mais on peut dire sommairement que l'un des points fondamentaux reste la révision de son statut d'autonomie, notamment la question du financement et des impôts, leitmotiv depuis les années 2000. La Catalogne est l'une des plus riches régions d'Espagne. Depuis 2008 les gouvernements régionaux qui s'y sont succédé ont revendiqué au gouvernement socialiste de l'époque, puis au gouvernement conservateur du Parti Populaire, à partir de 2011, la révision du statut d'autonomie de cette région. Revendication qui est restée lettre morte. Artur Mas, le président du gouvernement régional catalan brandit alors l'étendard de l'indépendantisme catalan, qui prend de plus en plus d'ampleur dans les années 2012 et 2013, mais ni le Parti Populaire ni le Parti Socialiste ne prennent au sérieux l'ébullition qui commence à prendre forme pour la «déconnection avec le territoire espagnol» (terme officiel utilisé alors pour signifier le séparatisme), jusqu'au référendum du 09 novembre 2014. Les deux partis nationaux accusent le gouvernement régional catalan de vouloir masquer les cas de corruption politique qui existent en Catalogne sous couvert de la question de l'indépendance de la région. Grave erreur d'appréciation du Parti Populaire au pouvoir, qui tarde à «prendre le taureau par les cornes», selon les observateurs, et qui mènera à la crise politique et l'imbroglio judiciaire actuels. La rupture L'émergence de la question de l'indépendance en Catalogne a eu pour conséquence une fracture sensible dans la société catalane et des retombées dans toute l'Espagne. Face à la mouvance indépendantiste, il existe aussi un fort mouvement de résistance en Catalogne même, en faveur de son maintien au sein de l'Espagne, comme on l'a précisé au début de cet article. Très discret au début, ce mouvement s'est consolidé petit à petit à travers des organisations civiques comme Société civile Catalane qui a organisé à Barcelone le 29 octobre 2017 la plus grande manifestation en faveur de l'unité de l'Espagne, avec plus d'un million de participants selon les organisateurs Les données des sondages et des dernières élections en Catalogne montrent que le mouvement indépendantiste en Catalogne compte sur environ 48% des personnes en âge de voter, les 52% restant allant aux non indépendantistes. Cependant, comme on l'a vu plus haut, grâce au système proportionnel, ce sont les indépendantistes qui disposent de la majorité des sièges au parlement catalan. Comme on l'aura perçu au long de cet exposé le bras de fer singulier qui oppose le mouvement indépendantiste catalan au reste de l'Espagne met en branle des leviers politiques, économiques, mais aussi des passions identitaires et des charges émotionnelles puissantes qui réveillent les vieux démons du nationalisme de part et d'autre. Au niveau politique formel la question de l'indépendance de la Catalogne est transversale et non partisane. La ligne qui sépare indépendantistes et non-indépendantistes montre deux blocs idéologiquement hétérogènes : dans le bloc indépendantiste on retrouve le parti conservateur de droite PdCat, de Puigdemont, allié à Esquerra republicana (gauche républicaine), et à la CUP, parti d'extrème gauche. Formations dont le socle politique reste l'idéal indépendantiste et républicain. Le bloc non indépendantiste regroupe, au niveau national et en Catalogne, le Parti Populaire (droite), le Parti Socialiste, le parti de Ciudadanos (centre-droit). Le parti national de Podemos (gauche) est representé au parlement catalan par l'alliance Podem. Cette dernière formation se déclare non indépendantiste mais milite en faveur du droit à l'autodetermination des Catalans et l'organisation d'un référendum légal en Catalogne, ce qui la singularise parmi les autres partis non independantistes qui sont viscéralement contre l'indépendance de la région. Que cela soit pour l'un ou l'autre bloc, c'est donc la question de l'indépendance qui regroupe ou divise, au détriment des principes idéologiques et de la perspective stratégique, le bloc indépendantiste se prévalant du «mandat démocratique du référendum du 01 octobre» et le bloc non indépendantiste, mettant en avant l'obligation de se plier à la légalité, laquelle permettrait de tuer dans l'œuf toute velleité indépendantiste, notamment par la mise en branle des mécanismes sécuritaires et judiciaires dont dispose l'Etat espagnol. Au niveau social, la rupture entre partisans et opposants à l'indépendance de la Catalogne a permis d'alimenter le terreau du nationalisme espagnol, récupéré rapidement par les groupuscules d'extrème-droite ( à cet effet, il est bon de savoir qu'à côté du procureur général, c'est Vox, un parti xénophobe et raciste qui s'est constitué partie civile contre les inculpés de l'ex-gouvernement catalan). D'autres manifestations de la population opposée à la cause indépendantiste catalane ont eu lieu en différents points du territoire espagnol, lorsque des unités de la Guardia Civil (gendarmerie) sortaient de leur casernes pour aller renforcer le dispositif de sécurité mis en place la veille du référendum du 01 octobre : des dizaines, sinon des centaines de personnes saluaient les agents aux cri de «A por ellos !!..» (Sus à eux !!..).. «Eux», les indépendantistes catalans, contre l'unité de l'Espagne, et contre «Nous», pourrait-on comprendre...Une attitude qui n'a pas plu à beaucoup d'Espagnols mais qui reste symptomatique. Et maintenant ? Dans un tel contexte, l'indépendance de la Catalogne demeure au niveau de l'utopie. Quel poids peuvent avoir dans l'état actuel des choses un peu plus de deux millions de citoyens résidents dans cette région, favorables à cette option, face à quelques 38 millions d'Espagnols et 500 millions d'Européens qui leur tournent le dos ?.. Mais aussi quel interêt le gouvernement espagnol aux mains du Parti Populaire, a-t-il à criminaliser la cause indépendantiste, alors que des avis surgissent au sein même de la magistrature espagnole pour dire que c'est une erreur et que sur le terrain politique, médiatique, ou au niveau social, des voix s'élèvent plaidant pour la recherche d'une voie pacifique et d'une solution politique ? Une solution politique pour une crise politique, sauf pour ceux qui ont décidé de ne pas la voir sous cet aspect et qui préfèrent une confrontation qui laissera forcément des cicatrices. |
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