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Certains
intellectuels ayant choisi de taire leur parole et de se maintenir dans le rôle
de spectateurs fatalisés face à «une société qui s'abandonne» (dixit Arezki Derguini) et qui n'a plus le sens de la valeur, ont le
sentiment que la régression prend du terrain. Généralement, ce sentiment étant
l'expression d'une grande inquiétude devant «l'islamisation rampante» de
l'Algérie post-1990, les oppose à une masse d'intellectuels ayant fait le choix
stratégique du conformisme et de l'opportunisme. La régression traduirait, au
préalable, la réussite d'un processus entamé, consommé et intégré par le
pouvoir actuel, supposément démocrate, et l'échec honteux des islamistes
médiocrement politisés de la décennie 1990. Elle témoignerait aussi, et
surtout, de la perversion de l'esprit de l'intellectuel algérien, qui l'a
conduit à s'accommoder des méthodes administratives et bureaucratiques comme
celles qui s'enracinent dans les milieux universitaires, et à ne plus
revendiquer le droit à la liberté d'esprit.
Certes, nous pourrions croire par tentation sublimée que la régression redoutée est liée uniquement à la religion, à l'islam, à un islam consensuel et fantasmé lequel n'existe pas réellement, surtout si nous partons de l'idée que depuis la mort du Prophète Mohamed, les musulmans ont abandonné une bonne partie de l'islam prophétique plutôt universel qui suggérait une place pour toutes les différences au profit d'islams se succédant au pluriel qui ont horreur de la différence au point de ne pas la reconnaître et de la combattre violemment. Cette association de la régression presque originelle de « l'islam pluriel » à l'islamisme qui ne se confond pas forcément avec le terrorisme armé, demeure, cependant, insuffisante pour expliquer les déstructurations sociétales, par rapport au contexte sociopolitique et économique largement instable et faillible de l'Algérie. D'abord, nous savons tous que ce sont des islams différents, parfois opposés, nihilistes entre musulmans, qui circulent à travers le monde dont les plus discutables, voire dangereux, sont ceux qui sont en activité dans des pays musulmans en guerre actuellement, comme l'Irak, la Syrie, l'Afghanistan et dans la grande région sahélienne. Ces islams ont choisi la voie armée pour s'affirmer à priori contre l'occidentalisation malsaine, et ses outils économiques qui symbolisent l'asservissement et la dépendance internationaux. Nous pourrions croire (et c'est ce que certaines lectures politiques ont suggéré) que nous sommes en plein processus de vivification des exterminations des guerres de croisades, seulement cette fois-ci, les rôles sont inversés puisque ce sont les musulmans islamisés qui croisadent en enferrant les prétentions du monde non-musulman, et en proclamant la nécessité de l'assujettir à leurs terreurs. Toutefois, cet islamisme n'est pas qu'armé, il est médiatique et aussi violent que celui que nous venons d'évoquer. Les médias algériens donnent la parole à des commentateurs islamisés et islamisants qui sont généralement porteurs de discours à la fois identitaires et exclusifs. Ils servent à alimenter la peur lancinante contre toute velléité menaçant les valeurs islamiques. Souvent, peut-être par manque de formation, les présentateurs peinent à cacher leurs partis pris et les commentateurs invités n'hésitent pas à opposer, comme à l'occasion des cents jours du bac, les jeunes bacheliers en costume aux jeunes bacheliers en djellaba. La réactivation de l'esprit conflictuel est un sujet vendeur. Elle est, du coup, permanente et va dans le sens de la mécanisation et l'entretien des divisions sectaires qui affectent les mondes musulmans, et qui ne fait pas donc de l'Algérie une exception. Les analyses que proposent les télévisions n'expliquent rien généralement, elles ne font que reprendre ce que le citoyen lambda sait déjà. Cette situation est à priori le résultat de la marginalisation choisie des véritables professionnels des questions sociales, économiques, politiques, etc. Les télévisions font appel à de pseudo-experts qui n'apportent aucune plus value à l'information et l'événement présentés et contribuent à l'asseoiement des archaïsmes résultant de la «modernophobie». Sans oublier que les véritables penseurs de la chose publique, en Algérie, sont pour la plupart francophones, et n'ont pas donc un accès facile aux espaces publics télévisés. Encore une fois, ce propos n'a aucun sens s'il n'est pas rattaché à une conception de la régression plus globale. Le monde est sous tension ; une tension qui ne s'explique pas que par la résurgence des replis religieux, communautaristes comme c'est dit, en particulier islamistes même si, paradoxalement, ces derniers font la une des médias nationaux et internationaux. Nous pouvons considérer que l'islamisme représente en réalité l'effet imagé, le résultat d'une activité politico-économique sous-jacente que les frontières classiques ne contiennent plus à cause des réseaux sociaux. Les intérêts régissant la dynamique des milieux islamistes actifs ne sont jamais divulgués de manière précise. D'une part, ils font l'objet d'analyses devenues désormais traditionnelles, voire populaires, et d'autre part, ils maintiennent le mystère sur les modes d'organisation et d'accointances des activistes. Il faut dire que c'est en ce sens que nous avons été amenés à penser que l'organisation actuelle des Etats est dépassée de ce fait qu'elle ne correspond plus aux enjeux contemporains de plus en plus fluides et matriciellement fictifs. «Jamais le destin du monde n'a été aussi planétaire que depuis qu'Internet existe». Cette hypothèse a pour force d'interroger jusqu'à même remettre en cause une grande partie des formes de gouvernance de toutes échelles. La communication fictive est un enjeu de sécurité crucial qui échappe au contrôle des Etats classiques. Ayant pris conscience de ce décalage du géopolitique des Etats dépassés avec le géo-communicatif de l'espace fictif, les islamistes l'ont du coup investi de toutes leurs forces pour déstabiliser les Etats les plus développés. L'Europe, comme en Algérie, connaît des collisions plus qu'alarmantes entre islams variés. Des musulmans affirment par exemple ne pas se reconnaître dans les déviances des islams extrémistes, pour la plupart banlieusards (à lire «Les banlieues de l'islam» de Gilles Kepel), et ne comprennent pas d'ailleurs la tolérance que leur témoigne la communauté européenne. Des musulmans estiment avoir quitté leurs pays d'origine pour échapper à leurs archaïsmes (dixit Akram Belkaïd), et se retrouvent en fin de compte soupçonnés, à cause des extrémistes expatriés, de participer aux déséquilibres qui menacent l'Europe traditionnellement chrétienne. Si certains musulmans ont choisi l'Europe comme espace privilégié de confession relevant du domaine privé, d'autres ont décidé d'y imposer leur différence et de s'opposer aux règles républicaines en vigueur. Ces phénomènes qui méritent d'être expliqués de la manière la plus objective possible par nos sociologues absents de la scène publique, sont selon certains observateurs le reflet de ce qui se trame dans de nombreux pays musulmans, où nous pouvons constater, effectivement, la recrudescence du nombre de femmes voilées en milieux universitaires, et la domination des kamis dans de nombreux quartiers populaires algériens. Toutefois, nous ne prenons pas le risque de confondre la qualité vestimentaire avec la qualité de l'espace public, car nous perdons de vue très souvent que l'islamisme est plus une idéologie qu'un critère lié à l'apparence. Mais ce que nous ne devons pas oublier de dire, c'est que la République algérienne doit se ressaisir et fixer des règles qui contribuent à l'organisation «des espaces publics» (à lire «L'espace public» de Thierry Paquot), donc à l'amélioration de son image? *Architecte-docteur en urbanisme |
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