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Suite et fin Le conflit entre Moscou et Kiev à propos des livraisons de gaz naturel russe à l’Ukraine représente l’aboutissement logique de la dégradation continue des relations bilatérales depuis la «révolution orange». Prévisible compte tenu du soutien du Kremlin à l’adversaire de Viktor Iouchtchenko, le premier ministre sortant Viktor Ianoukovitch, lors de l’élection présidentielle, et des sympathies atlantistes du nouveau pouvoir ukrainien, cet antagonisme s’est nourri, tout au long de l’année 2005, de visions divergentes sur la plupart des dossiers économiques et politiques à l’ordre du jour (espace économique commun, OMC, relations avec l’UE et l’Otan, etc.). Survenant quelques semaines avant les élections législatives ukrainiennes du 26 mars 2006, la «guerre du gaz» constitue donc une épreuve de vérité. «Groggy» après sa piteuse déconvenue de l’automne 2004, la Russie a conscience de jouer l’une de ses dernières cartes afin de ralentir la «dérive» occidentale de l’Ukraine. Dans sa «guerre du gaz» avec Kiev, le Kremlin cherche à discréditer doublement Viktor Iouchtchenko et la «révolution orange». Tout d’abord aux yeux de la population ukrainienne, en faisant le pari qu’elle sanctionnera dans les urnes l’incapacité de son gouvernement à trouver un compromis (un pari en grande partie gagné si l’on en juge par le résultat des élections législatives du 26 mars, qui ont vu le parti pro-présidentiel «Notre Ukraine» arriver en troisième position, derrière le parti pro-russe de Viktor Ianoukovitch et le Bloc Ioulia Timochenko). Ensuite aux yeux de l’UE, en attribuant à l’Ukraine la responsabilité d’éventuels problèmes d’approvisionnement des consommateurs ouest-européens et en la faisant ainsi apparaître comme un pays de transit peu fiable. L’affaire Ioukos la compagnie pétrolière russe Ioukos, était contrôlée par contrôlée par le millionnaire Mikhail Khodorkovski et plusieurs hommes d’affaires. Son actuel PDG est Steven Theede, jusqu’en juillet 2004, Ioukos était une des plus grandes compagnies pétrolières privées au monde. Elle produisait 20% du pétrole en Russie, soit 2% de la production mondiale. En 1995, au milieu de la vague de privatisations des biens de l’État russe par distribution de parts (vouchers) aux habitants puis ventes aux enchères, Khodorkovski rachète le groupe Ioukos pour 10 000 roubles (300 euros). En avril 2003, une fusion a été formellement conclue avec l’entreprise Sibneft présidée par Roman Abramovich, mais elle ne fut pas suivie d’effet à cause de l’arrestation du président de Ioukos, Mikhail. Khodorkovski, en octobre 2003, qui purge actuellement une peine de neuf ans de prison pour fraude fiscale. Le 31 octobre 2003, le gouvernement russe a gelé 44% des actions de la compagnie pour éviter sa vente par un groupe d’actionnaires menés par Khodorkovski. Depuis lors, Ioukos investit massivement dans des entreprises étrangères, de manière à se protéger légalement contre toute nationalisation. En juillet 2004, le fisc russe a réclamé un arriéré d’impôts d’un équivalent de plus de 3 milliards de dollars/US à la compagnie Ioukos. Le 7 juillet, faute de paiement, le fisc a commencé à saisir les biens de l’entreprise, dont l’avenir reste incertain. Loukos ayant racheté une entreprise états-unienne, elle a pu se déclarer en faillite et se placer sous la protection de la loi relative aux faillites, ce que le tribunal des faillites de Houston (Etats-Unis) a confirmé le 16 décembre 2004. Ioukos est ainsi protégé contre un éventuel rachat, au moins vis-à-vis de la loi américaine. Le 19 décembre 2004 a eu lieu la vente aux enchères de la principale filiale de Ioukos, Iouganskneftegas. Deux entreprises se sont présentés: Gazpromneftegtaz, une filiale de l’entreprise publique russe Gazprom; Baikalfinansgroup, groupe financier appartenant à Rosnef. En quelques minutes, la vente a été conclue et Baïkalfinansgroup a acheté Iouganskneftegas pour la somme de 6,975 milliards d’euro. Ce groupe financier a été créé quelques jours avant la mise aux enchères. Pour l’instant, personne ne sait vraiment qui est derrière lui (le Kremlin, Gazprom ou une autre entreprise proche du Kremlin telle que Sourgoutneftegaz). Quoi qu’il en soit, l’affaire Ioukos annonce la reprise en main par l’État d’une rente pétrolière et gazière que gonflent la croissance enregistrée depuis 1999 dans le secteur énergétique et la hausse des cours mondiaux des hydrocarbures. Elle marque, aussi, la fin d’un cycle politique et fait émerger de nouveaux rapports de forces au sein du pouvoir russe. Les derniers représentants de l’équipe Eltsine - en particulier Alexandre Volochine, chef de l’administration présidentielle, et Mikhaïl Kassianov, Premier ministre, qui avaient fait connaître leur opposition au démantèlement de Ioukos - sont évincés entre l’automne 2003 et le printemps 2004. L’écrasante victoire du parti du pouvoir, Russie unie, aux législatives de décembre 2003, puis la réélection, en mars 2004-dès le premier tour, avec 71% des suffrages - de Vladimir Poutine confortent la légitimité du maître du Kremlin. Celui-ci a désormais toute latitude pour mettre en oeuvre sa politique. De fait, l’affaire Ioukos est le catalyseur de plusieurs processus à l’oeuvre depuis l’entrée en fonctions de Poutine en 2000 mais qui avaient été, jusqu’alors, contrebalancés par la relative hétérogénéité de l’équipe en place. Quels sont les motifs ayant conduit le pouvoir russe à faire de Ioukos la cible principale de sa «chasse» sélective aux oligarques? Le soutien financier accordé par Mikhaïl Khodorkovski à certaines formations d’opposition aurait contrevenu au «marché» conclu en 2000: l’État s’était alors engagé à ne pas remettre en cause les privatisations des années 1990 ; en échange, les milliardaires devaient se retirer de la sphère politique. Mais ce n’est pas la seule raison. La stratégie de noyautage de la Douma mise en œuvre par Ioukos; le doute entretenu à dessein sur d’éventuelles ambitions politiques de son chef ; ses prises de position sur la nécessaire évolution institutionnelle de la Russie vers une république parlementaire... autant d’éléments qui, conjugués à la force de frappe financière de Khodorkovski, ont sans doute également pesé lourd aux yeux d’un régime soucieux d’étouffer tout contre-pouvoir avéré ou potentiel. Autre facteur d’explication: l’activisme d’Ioukos sur la scène internationale. L’éphémère «lune de miel» entre Moscou et Washington consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 a abouti à un «partenariat énergétique» bilatéral célébré avec éclat lors du sommet de Houston en novembre 2002. Ioukos en avait été l’un des protagonistes les plus actifs. Au moment où elle a subi l’assaut du pouvoir, la compagnie de Mikhaïl Khodorkovski était en contacts très avancés avec ChevronTexaco et ExxonMobil pour la vente d’une partie de son capital (de 25% à 50% des parts selon les sources). Considérant que la fusion TNK-BP avait levé un tabou, les dirigeants de Ioukos n’avaient apparemment pas jugé utile d’informer le Kremlin de leurs intentions. Or ce dernier n’entendait pas être placé devant le fait accompli. On peut, en outre, supposer qu’entre-temps la guerre en Irak avait accru la sensibilité du gouvernement russe au facteur pétrolier et à la présence américaine dans ce secteur. L’oléoduc Irkoutsk-Daqing (Chine), dont Ioukos était le maître d’œuvre, est le dernier dossier qui a contribué à sa disgrâce. Ce projet était, en effet, incompatible avec la volonté des autorités publiques de préserver le monopole de la société d’État Transneft sur les oléoducs d’exportation. Création d’un marché gazier russe Le 19 décembre 2004, Baïkal Finance Group (BFG)-une société jusqu’ici inconnue, au capital de 10 000 roubles (soit à peine 300 euros!), domiciliée dans la ville provinciale de Tver - remporte, à la surprise générale, les enchères sur Iouganskneftegaz, la principale filiale de production de Ioukos, pour la somme de 9,4 milliards de dollars. Quelques jours plus tard, la compagnie pétrolière publique Rosneft annonce s’être porté acquéreur de BFG. Elle devient ainsi le nouveau propriétaire de Iouganskneftegaz. Dans la foulée, l’opération est avalisée par le Service fédéral anti-trust. Ce montage, à l’origine de l’un des plus importants transferts d’actifs de la Russie post-soviétique, comporte de nombreuses zones d’ombre. En revanche, les intentions du Kremlin sont parfaitement claires: il s’agit de créer un pôle énergétique sous contrôle de l’État autour de Gazprom, lequel doit phagocyter la nouvelle entité née du rachat de Iouganskneftegaz par Rosneft. L’objectif est de créer un «champion», un major russe réunissant des actifs gaziers et pétroliers. Ce scénario va cependant dérailler et révéler d’importants clivages entre les différents clans qui gravitent autour de Vladimir Poutine. Début février 2005 apparaissent les signes annonciateurs du conflit qui va, plusieurs mois durant, opposer les PDG de Gazprom et de Rosneft, Alexeï Miller et Sergueï Bogdantchikov, respectivement soutenus par le chef de l’administration présidentielle, Dimitri Medvedev, et par son adjoint, Igor Setchine. Ce dernier, chef de file des «siloviki» les organes «de force», c’est-à-dire le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Défense et le FSB), milite pour le maintien de la compagnie pétrolière publique en tant qu’entité indépendante de Gazprom, contre l’avis de son supérieur hiérarchique, qui occupe également les fonctions de... président du conseil d’administration de Gazprom. Ce sourd conflit d’intérêts au coeur du pouvoir, qui illustre également la confusion des rôles entre l’État et les compagnies énergétiques, s’est dans un premier temps soldé par l’apparente victoire du tandem Bogdantchikov-Setchine. Le gouvernement décide, en effet, de renoncer à la fusion de Rosneft avec Gazprom. Mais, fin septembre, le Kremlin donne son aval à la plus importante fusion-acquisition de la jeune histoire du capitalisme russe : le rachat par Gazprom, pour 13 milliards de dollars, de 72,663% des actions de la cinquième compagnie pétrolière de Russie, Sibneft, à la holding Millhouse Capital, qui abrite les intérêts du patron de Sibneft, Roman Abramovitch, et de ses associés L’honneur est sauf pour le géant gazier. Ces mouvements risquent d’avoir d’importantes implications politiques à l’approche du cycle électoral de 2007-2008. Dans un contexte de tensions prévisibles entre les différents clans de l’entourage de Vladimir Poutine, le contrôle des flux financiers sera décisif. Certes, le dernier mot sur sa propre succession devrait en principe revenir au président actuel ; mais l’issue du rapport de forces entre «technocrates pétersbourgeois» et «siloviki» (groupe au demeurant moins homogène qu’il n’y paraît car traversé par de nombreuses rivalités) dépendra également des ressources financières et médiatiques que les deux camps seront en mesure de mobiliser, notamment lors des campagnes électorales. De ce point de vue, aucun autre secteur de l’économie nationale - à l’exception peut-être de l’agence d’exportation d’armements, Rosoboronexport, et des chemins de fer, dirigés par un proche de Poutine, Vladimir Iakounine, également présenté comme un successeur potentiel - ne font le poids face aux compagnies pétrolières et à Gazprom. La Russie, nouvel «empire de l’énergie» L’attribution de licences d’exploitation à des sociétés étrangères pour des gisements situés en Sibérie ou en mer de Barents est un argument qu’utilise également Gazprom dans les négociations qu’elle conduit avec ses partenaires européens. L’attribution de ces licences sert alors de «monnaie d’échange» dans la perspective d’un accès aux réseaux de distribution de certains pays jugés prioritaires (Allemagne, France, Italie). Sur le plan international, la Russie a, certes, enregistré d’importants succès grâce au «facteur énergétique». La présidence du G8-qui prendra fin en juillet après le très attendu sommet de Saint-Pétersbourg - aura, espère-t-elle, valeur de reconnaissance de son rôle dans les grands équilibres mondiaux. La « guerre du gaz » pourrait cependant avoir marqué un tournant dans la perception occidentale de la politique de Moscou. L’Union européenne, qui vient de publier un « Livre vert » censé aiguillonner sa réflexion en matière énergétique, paraît de nouveau s’inquiéter de la diversité de ses approvisionnements, notamment gaziers. Ceux des États de la CEI (Ukraine, Moldavie, Géorgie) qui ont dû subir les pressions de Gazprom paraissent plus déterminés que jamais à se placer sous la protection de Washington, relayés dans leurs aspirations par leurs alliés polonais, partisans de la constitution d’une « Otan de l’énergie ». Conclusion : L’Algérie, avec 4500 milliards de m3, a fait de son gaz un outil stratégique dans ses relations extérieures. Important fournisseur de l’Europe par l’entremise des sociétés européennes alliées à Sonatrach, la compagnie nationale algérienne, le pays a signé des contrats d’exploitation avec Gazprom. C’est l’Algérie qui a évoqué en premier l’idée de créer un cartel gazier sur le calque de l’Organisation des pays exportateurs du pétrole (OPEP) aux côtés de la Russie, l’Iran et le Venezuela. La Russie propose maintenant la création d’une OPEP du gaz regroupant l’axe : Russie-Qatar-Iran-Algérie, ne sera-t-il pas l’arme fatale qui renversera la vapeur? *Expert en énergie |
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