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Faut-il croire qu'une page de l'histoire est réellement tournée ?

par Le Dr Baghli Abdelouahab*

La militarisation auto annoncée de l’Etat algérien indépendant s’est greffée de façon spontanée. Cette légitimité s’est imposée par la force. L’armée des frontières n’a pas hésité à faire un coup d’Etat au gouvernement civil symbolisé par le G.P.R.A., représentant légitime du peuple algérien. Instance non seulement reconnue par l’administration coloniale qui accepte qu’il soit le signataire des accords d’Evian, mais également par un certain nombre de pays.

La primauté du civil sur le militaire n’était que factice au cours de la Révolution, l’armée n’a jamais fait cas de cette structure civile, cette « coexistence » va voler en éclat ce premier jour de l’Indépendance.

En réalité la stratification de ces structures ne pouvait être maîtrisée que par Messali Hadj dont la stature charismatique et politique pouvait transcender sur les antagonismes. Sa mise à l’écart par Djamel A.Naceur va déstructurer ces équilibres.

Cette violation s’est imposée de facto, par la force des armes. Elle va se perpétuer directement ou indirectement dans les affaires de l’Etat. Sa domination sur la gestion de l’Etat s’exerce par le placement de son candidat à la présidence. Pour cela, elle lui offrait une garantie d’accession par le biais d’ une assise électorale confortable issue des casernes et par un soutien de l’administration de facto et sans faille.

En retour, un scellé de redevabilité s’installait illico.

A.Aziz Bouteflika est sollicité en 1994 pour la présidence par l’armée à la suite de la démission de Chadli Bendjedid. Le candidat a voulu imposer ses positions notamment celle de prendre son indépendance par rapport à l’armée. Celle-ci rejette ses exigences et fait appel Zeroual.

Jusqu’en 1999, le pouvoir est entre les mains de l’armée. Certes, ces derniers ont façonné à leur guise le climat politique, exécutif, législatif, économique et partisan du pays.

Cette même année, l’armée, est surprise par la démission de Zeroual. Le pays vit une situation dramatique, il est exsangue et très fragilisé suite à dix années de terreur. Il est confronté à une impasse multidimensionnelle gravissime, sans précédent. Au niveau du magasin de stockage, il ne reste plus grand monde, on est obligé de nouveau à faire appel à A.Aziz Bouteflika. Pour calmer le peuple angoissé, il fallait un personnage charismatique, d’envergure internationale à la hauteur des évènements internes et externes qui agitent le pays. Le staff de l’armée estimait que la réincarnation d’une figure de proue, faisant ressurgir l’aura de Houari Boumediene était la seule salutaire pour endiguer le malaise social, et qui mieux puisse prétendre le représenter sinon son poulain. Malgré la réticence d’un certain nombre d’ officiers et pas des moindres dont celle de Khaled Nezzar, sa candidature est maintenue. A.Aziz Bouteflika semble être en effet l’homme providentiel, et ceci à plus d’un titre. On ne peut plus le contourner. Etant donné la gravité de la situation, il n’y avait pas à cette époque meilleur représentant.

En veilleuse, l’obstacle majeur est le pouvoir sans partage prêché depuis longtemps par A.Aziz Bouteflika excluant les képis.

L’armée se résigne mais trouve une alternative en faisant seconder A.Aziz Bouteflika par Ali Benflis. Le choix de cet homme n’est pas fortuit, il n’est pas né de la dernière pluie. Il a de nombreux atouts, majeurs d’une part de par son père, parmi les premiers novembristes. Il a participé à toutes les actions sous la houlette de Benboulaïd qui fait partie des vingt deux. et d ‘autre part de par son oncle maternel Lakhdar ( Habibi), décédé en 2008, appelé seigneur de la guerre des Aurès. « Il est de chez nous, on peut lui faire confiance », c’est un gage sûr pour la ré appropriation du pouvoir par l’armée.

Benflis à l’instar de tous les Algériens tant imprégnés par le consensus populaire « celui qui est proposé par l’armée sera le futur président » va accepter.

Ali Benflis « tiendra en laisse » à A.Aziz Bouteflika. Il sera bichonné par l’armée, il évoluera en flèche de directeur de campagne, il devient le chef du cabinet, puis chef de gouvernement et secrétaire général du Parti F.L.N. Cette ascension fulgurante est programmée. On voulait que la stature de Benflis se rapproche de celle de A.Aziz Bouteflika en lui donnant assez d’atouts pour devenir une personnalité d’envergure nationale, et pouvoir bénéficier ainsi d’une audience populaire à même d’attirer l’intérêt de l’opinion publique.

Les inquiétudes de l’armée ne tarderont pas à se vérifier, sitôt que Bouteflika est investi pour le premier mandat, il va dénoncer la main mise encombrante de l’armée et déclare qu’il refuse d’être un président « trois quarts ». Il prend à témoin le peuple et attire sa sympathie « je suis livré seul dans une arène pleine de fauves ».

Graduellement A.Aziz Bouteflika, entreprend de mettre fin à l’ingérence des militaires dans le pouvoir et s’engage dans une purge parmi les hauts gradés pour affaiblir ses opposants militaires.

L’armée s’agite, mais ne peut rien faire, elle prend son mal en patience. D’autant plus que Khaled NEZAR, pourtant son rival, a été sauvé in extremis par Aziz Bouteflika des mains de la justice française. Elle doit attendre le bon moment pour réagir, et comme il était prévu, lors du renouvellement du deuxième mandat présidentiel.

La préparation de la mise en scène ne souffre d’aucune imperfection. Le complot pour que Ali Benflis arrive à El Mouradia est savamment orchestré. Il est fin prêt pour le rendez-vous électoral :

- une grande partie de l’armée, soutient le futur candidat

- le nerf de la guerre : Khalifa - Bank a été créé pour financer la campagne électorale. A.Moumène Khalifa va bénéficier d’un montage financier défiant toute logique. L’argent va couler à flot. Toutes les entreprises sont sommées d’y déposer leurs capitaux. Les épargnants seront quant à eux alléchés par un taux d’intérêt illicite,

- le parti F.L.N dont il est devenu le secrétaire général, devra entamer une campagne en envoyant ses cadres au niveau de toutes les wilaya pour assurer des meetings et entreprendre des contacts de sensibilisation de proximité, les militants de la base auront quant à eux la charge de la mobilisation locale.

- un média lourd : un chaîne de télévision Khalifa- T.V, financée par Khalifa - Bank va émettre à partir de la France. Elle doit soutenir la campagne électorale de Benflis, rehausser son prestige, par reportages, interviews, …

Dès l’annonce des candidatures pour les présidentielles en 2004, la guerre est déclenchée entre les deux candidats.

Toute fois, si une grande partie de l’armée sous la houlette d’un certain nombre de généraux suit BENFLIS, la sécurité militaire, elle, restera fidèle à Bouteflika. L’opinion algérienne se trompe. Ce n’est pas l’armée qui tient le pouvoir, mais la sécurité militaire. La tête pensante de ce corps est bien la sécurité militaire, le patron incontesté de l’Algérie est bien la sécurité militaire.

Malheureusement la modification de la loi en 2003 du code électoral, empêchait les militaires de voter à l’intérieur des casernes. Benflis ne peut plus bénéficier des garanties ataviques relevant de l’assiette électorale promise par l’armée.

Ce qui faisait perdre au candidat de l’armée cette opportunité.

Tandis que le président en exercice s’attelle lui, à remplacer les casernes par les zouis. La vision est ingénieuse. La tunique seulement change, peu importe qu’elle soit kaki ou blanche, l’important est le profil de la structure remplaçante:

- Les mêmes échelons, ici appelé clergé au lieu de grades : c’est le cheikh à la place du général et du taleb à la place du militaire.

- les mêmes attributs qui sont la discipline et les faveurs du gradé obligent dans ce cas les fidèles à respecter la volonté du cheikh.

La notoriété du cheikh était proportionnelle à sa smala. A part quelques zoui, toutes ces structures religieuses ne jouissaient pas d’une assise populaire importante, N’oublions pas que Houari Boumediene les avait combattu. Leur audience était insuffisante étant donné l’importance de l’enjeu électoral. Pour agrandir leur périmètre d’allégeance, un intérêt particulier sera accordé aux chioukh par les plus hautes autorités du pays. Elles vont connaître un regain d’intérêt, salutaire pour leur redéploiement, leur cour s’agrandit de jour en jour. Il va de soi que cette aliénation a été rétribuée par un gain d’autorité qui s’est exercé d’ailleurs aussi bien sur la population que sur les gens du sérail. Le déploiement fonctionne bien, le nombre de voix tend à remplacer le plateau de la balance jadis promis par l’armée.

Le résultat est concluant. Le matelas électoral est assuré dorénavant par la communauté des zouis

L ’administration quant à elle, chapeautée par la sécurité militaire reste fidèle au président en exercice.

Ni l’argent, ni les médias ne feront défaut à la campagne de Bouteflika

Quant au F.L.N il va subir un séisme.

Une partie des militants suivra Bouteflika, c’est le mouvement des redresseurs qui va naître, les autres se disent fidèles au choix du parti en la personne de Benflis et se déclarent légalistes.

Je suis le premier député à me révolter contre Benflis. Après avoir demandé par l’intermédiaire de Mekhalif, alors responsable du groupe F.L.N au niveau du parlement, un rendez-vous avec Benflis, à l’époque chef du gouvernement et secrétaire général, il ne tarde pas à me recevoir le lendemain à 10 heures. Notre discussion porta sur son éventuelle candidature. Je lui ai fait part de mon refus quant à cette décision. Il me fait savoir « que depuis le temps que tu es militant, c’est la première fois que tu accèdes à une promotion et si tu as été maintenu député c’est grâce à moi ! ». Il continue en jurant trois fois de suite « lorsque Tayeb Louh, comme tête de liste est venu retirer la liste des candidats des législatives de 2002, il a exigé de moi que je te supprime de la liste. Il m’a dit qu’ « il n’a aucune moralité et qu’à ce titre, il vaut mieux qu’il ne figure pas ». Ce à quoi a répondu Benflis. « c’est une des plus grandes familles de Tlemcen, il est chirurgien, il est président du C.R.A, il a les moyens, c’est lui qui vous apportera les voix, vas et comptes sur Dieu ».

Avant de se quitter, il m’a demandé « ou tu es avec moi ou tu es contre moi ». Je lui ai répondu que je demeure fidèle à Bouteflika. « Alors tu es rayé de liste du F.L.N » a-t-il tranché.

Avant cette liste je n’ai jamais vu Tayeb Louh et il ne m’a jamais vu. D’ailleurs il n’a jamais été F.L.N avant 2002.

Le premier noyau de la cellule des députés du mouvement de redressement était constituée par Dr Baghli Abdelouahab, MM Harir Belarbi et Raouia Khaled députés de Tiaret

Le mouvement du redressement, minime au départ prendra une extension rapide, au détriment de l’autre courant qui se rétrécira comme une peau de chagrin. Des épopées restent à écrire sur cette page du F.L.N. La majorité des militants de l’ensemble du territoire se sont mobilisés pour braver celui qui a osé trahir son « frère ».

Bouteflika entreprend une campagne à l’américaine, il sillonne toute l’Algérie. Des milliers de permanences voient le jour. Il est accueilli au niveau de chaque wilaya par les chioukh qui lui confirment leur attachement et lui témoignent leur fidélité ; par les militants du mouvement de redressement ainsi que par un raz de marée populaire.

La campagne de Bouteflika était de loin la plus auréolée.

Benflis parcourt le pays, mais l’accueil qu’il soit celui de la population ou celui des militants est demeuré faible.

Avant le scrutin, la victoire était en faveur de Bouteflika.

Les urnes confirmeront le reste. Bouteflika succède à sa propre candidature dans une liesse sans pareil

Lors de ce 2ème mandat, Bouteflika vit le soutien de l’armée pour Benflis comme un coup de couteau dans le dos. Il va reléguer l’armée dans ses strictes prérogatives et la confine à l’intérieur des casernes.

Il va renforcer la police, par un recrutement sans précédent. La sécurité à l’intérieur du pays sera désormais assurée par la police, il ne va plus faire appel à l’armée qui aura à charge de combattre les irhab au niveau des maquis

C’est vers un pouvoir civil que se dirige Bouteflika. La parenthèse ouverte de la main mise de l’armée sur les affaires de l’Etat depuis la mise à l’écart de Messali a-t-elle été fermée par Bouteflika ?

 


* Membre de l’Instance exécutive du F.L.N. - Ex Député