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![]() ![]() ![]() Les règles bancaires mondiales peuvent-elles survivre dans un monde fracturé ?
par Howard Davies* ![]() LONDRES
Hivernale et glaciale, la météo n'est pas au beau fixe à Bâle. Le climat à
l'intérieur de l'impressionnante tour de la BRI siège de la Banque des
règlements internationaux, où des équipes multilingues d'économistes et de
régulateurs s'inquiètent de l'avenir n'est pas beaucoup plus agréable, les
tensions transatlantiques qui divisent l'OTAN commençant à se répercuter dans
l'univers financier.
Ceux qui ont de la mémoire ou à tout le moins une certaine connaissance de l'histoire savent que lorsque les plans de création de la BRI ont été élaborés dans les années 1920, les États-Unis ont refusé d'y participer. Leur siège potentiel était toutefois maintenu au chaud par J.P. Morgan. Lors de la conférence de Bretton Woods de 1944, les États-Unis ont fait valoir que la BRI n'était plus nécessaire après la création du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, et ont officiellement proposé sa suppression. Il a fallu l'intervention de John Maynard Keynes lui-même pour convaincre les États-Unis qu'il valait la peine de conserver la BRI en tant que lieu d'accueil pour les banquiers centraux. Aucun Américain n'a cependant jamais été à la tête de la BRI ; son nouveau directeur général, Pablo Hernández de Cos, est espagnol. Bien que la BRI ne soit pour l'heure pas menacée, ses quartiers généraux abritent une multitude d'organismes de réglementation, dont le fameux Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, le Conseil de stabilité financière (CSF) et divers groupes qui établissent des réglementations internationales concernant les assureurs, les systèmes de protection des dépôts, ainsi que l'essentiel de la faune et de la flore du monde de la finance. La BRI et ses organes affiliés se concentrent actuellement sur la finalisation de Bâle 3.1, un ensemble de règles relatives aux intermédiaires financiers non bancaires tels que les fonds de couverture et de capital-investissement, qui représentent une proportion croissante de l'octroi de nouveaux crédits et travaillent sur les défis que soulève l'univers des cryptomonnaies. Bien entendu, ils se préoccupent également de l'impact du changement climatique sur le secteur financier. Il s'agit là de domaines difficiles dans lesquels les régulateurs mondiaux, même s'ils s'efforcent de parvenir à des accords mondiaux lorsque c'est possible, peinent à atteindre un consensus. Bien que les détails de la réglementation financière ne figurent pas encore au plus haut de l'agenda de la nouvelle administration américaine, il est raisonnable d'affirmer que la vision du président Donald Trump s'inscrit largement hors des contours de Bâle. Plusieurs signes avant-coureurs s'observent d'ores et déjà. Au mois de janvier, la Réserve fédérale a quitté le Réseau pour le verdissement du système financier, un vaste groupe de banques centrales qui s'efforce d'isoler le système financier des effets déstabilisateurs du changement climatique ainsi que des conséquences involontaires des démarches d'atténuation de celui-ci. Avant cela, la pression exercée par les États américains contrôlés par les Républicains avait par ailleurs provoqué l'effondrement de plusieurs groupes créés par l'ONU et l'ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, tels que la Net-Zero Insurance Alliance. Il ne s'agit toutefois pas ici de pierres angulaires de l'édifice financier mondial. Une problématique plus urgente réside dans l'avenir du Comité de Bâle lui-même. La finalisation de Bâle 3.1 certains parlent de «dernier acte» est devenue un enjeu politique durant la campagne présidentielle américaine, après la proposition formulée par la Fed en faveur d'augmentations substantielles des niveaux de fonds propres obligatoires pour les banques. Les Républicains se sont farouchement opposés à ce plan, et dans la mesure où son principal défenseur au sein de la Fed a présenté sa démission le vice-président en charge de la supervision bancaire, Michael Barr l'avenir du projet apparaît très incertain. Dans le même temps, les régulateurs de l'Union européenne et du Royaume-Uni ont reporté leurs propres projets de réforme, le temps d'observer comment se déroule le débat aux États-Unis. Une issue rassurante semble toutefois de plus en plus improbable. Un monde dans lequel les exigences de fonds propres pour les banques américaines se situeraient nettement en dessous des contraintes imposées à leurs équivalentes européennes ou japonaises serait difficile à gérer. Et si la Fed abandonnait effectivement Bâle 3.1, à quoi servirait alors le Comité de Bâle ? Son agenda est déjà bien mince. Les États-Unis continueraient-ils ne serait-ce que d'y participer ? Remplacer la Fed par J.P. Morgan ne fonctionnerait pas cette fois-ci sachant de toute façon que les propos de Jamie Dimon, le PDG de JPMorgan Chase, sont orduriers concernant Bâle. Il en va de même pour le CSF, qui n'a jamais suscité l'enthousiasme des responsables politiques américains. L'ancien secrétaire au Trésor Larry Summers, que l'on ne peut pas qualifier de trumpiste, a tenté de tuer dans l'œuf le CSF, dont l'agenda actuel ne s'inscrit absolument pas en phase avec les priorités de la nouvelle administration américaine. Le CSF sollicite par exemple actuellement différents avis concernant l'imposition de limites à l'effet de levier pour les fonds spéculatifs une idée extrêmement impopulaire sur les parcours de golf de Floride. Sur le front des cryptomonnaies, les divisions sont de plus en plus visibles, notamment en ce qui concerne les monnaies numériques des banques centrales (MNBC). La Banque centrale européenne avance dans son projet de lancement de l'euro numérique, qu'elle considère comme une question de souveraineté monétaire. L'UE doit-elle continuer de se laisser chahuter par les vents de la politique étrangère américaine, sachant par ailleurs que les États-Unis ont déjà usé comme d'une arme du système mondial de paiement fondé sur le dollar, et qu'ils pourraient le faire à nouveau ? Cette question est d'autant plus pertinente que l'enthousiasme des dirigeants politiques américains pour les MNBC est peu prononcé. Trump a explicitement interdit à la Fed de travailler sur un dollar numérique, estimant que celui-ci ferait obstacle aux stablecoins et aux memecoins du secteur privé ce qui conduit en retour les régulateurs mondiaux à s'interroger sur les conséquences à long terme d'un euro numérique qui n'aurait pas d'équivalent américain. Si la BRI se situe à Bâle, c'est principalement parce qu'il y a un siècle, la configuration du réseau ferroviaire européen en faisait un point de rencontre idéal pour les gouverneurs des banques centrales. Aujourd'hui, ce ne sont plus des voies ferrées qui traversent Bâle, mais des lignes de fracture politiques, qui déstabilisent l'architecture financière mondiale. La tour de Bâle survivra-t-elle, ou deviendra-t-elle la tour de Babel des temps modernes un lieu aux langues diverses, au sein duquel les esprits ne se rejoignent plus ? *Ancien gouverneur adjoint de la Banque d'Angleterre, est président de NatWest Group. |
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