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Il y aura
probablement dans le monde un avant et un après le coronavirus Covid-19. Le
corona n'est pas seulement une pandémie. Elle n'est ni la première ni la
dernière dans l'histoire de l'humanité. Mais pour la première fois, une
épidémie n'est pas seulement mondiale mais mondialisée.
Cette pandémie est vécue, pour la première fois, simultanément, en temps réel, par l'humanité toute entière grâce à la révolution des technologies de communication. Nous vivons les mêmes sentiments, les mêmes inquiétudes, nous avons les mêmes questions, les mêmes interrogations. A Rome, comme à Paris, comme à New York, comme à Alger et comme à Beyrouth, nous voyons les mêmes images, des rues vides, des grandes villes désertes, des monuments déserts, comme si l'humanité avait disparu de la Terre. Le virus est redoutable. Il s'attaque aux voies respiratoires. Paradoxalement, la Terre, elle, respire mieux. De l'espace, les satellites nous transmettent les images d'une atmosphère bien moins polluée. Aura-t-il fallu cela. Peut-être, serons-nous, à l'avenir, plus responsables, plus sages, par rapport à l'avenir de la planète. Une leçon d'humanité Le virus ne fait pas de différence, il peut atteindre chaque homme et chaque femme sur la planète. Il nous donne en fait une leçon d'humanité. Jamais nous n'avons eu le sentiment aussi total d'appartenir à la même espèce, un tel sentiment d'unité de destin de l'humanité. Mais en même temps et paradoxalement, jamais l'idée de nation n'a été aussi forte. Chacun se tourne, se retourne vers sa nation. Cette épidémie fonctionne comme un test des capacités sociales et morales de chaque nation à affronter l'épreuve, comme elle est révélatrice des rapports entre nations. Les pays dits avancés s'aperçoivent avec stupeur qu'ils sont démunis face à l'épidémie. Le manque cruel de masques de protection pour la population, et même pour le personnel soignant et les policiers, devient un scandale politique en France, à New York. Le peu de lits et de matériel de réanimation dans les pays occidentaux, y compris aux USA, suscitent des interrogations. Dans ce contexte, certains pays asiatiques, la Corée du Sud, Singapour, suscitent, eux, le respect et l'admiration pour leur discipline, leur solidarité nationale et leur capacité à tirer profit socialement de la technologie. La Chine émerge de l'épidémie avec une image qui s'est renforcée. Elle apparaît déterminée, pleine de confiance en elle et d'optimisme pour l'avenir, au contraire de l'Europe qui semble douter d'elle-même et en plein désarroi. L'Italie, la Serbie reprochent à l'Europe de les avoir abandonnées et trouvent de l'aide chez la Chine, la Russie et même auprès de la petite Cuba. Tout se passe comme s'il s'annonçait une gigantesque redistribution des cartes au niveau mondial, ainsi qu'une révision des repères. Beaucoup de ceux qui haranguaient les Algériens de l'étranger, et donnaient sans cesse en exemple les pays européens, regardent silencieux désormais la progression fulgurante de l'épidémie en Italie, en France, en Espagne, en Angleterre. On a même vu des Algériens, résidents à l'étranger, chercher à revenir en Algérie. Il y a donc un changement, d'où vient-il ? C'est comme s'il y avait un nouvel esprit. Serait-ce celui du Hirak ? L'esprit du Hirak Le vendredi 20 mars 2020, l'après-midi, la rue Didouche est étrangement calme. Sur le boulevard Che Guevara, d'où apparaissait à la vue le flot tumultueux des manifestants venant de Bab El Oued, on entend même le cri des mouettes. Dans cet incroyable feuilleton historique que nous vivons depuis un an, de rebondissement en rebondissement, qui aurait dit que la crise politique, du moins dans cette phase, se finirait ainsi. L'effet corona? Ou bien la fin était-elle déjà annoncée dans les élections présidentielles ? Peut-être les deux à la fois. C'était comme si la nation toute entière resserrait les rangs face au danger, reportant à plus tard la solution des questions qui demeurent, qu'on ne s'y trompe pas, posées. Avant le corona, et comme un signe du destin, nous avons eu deux chances: la première est le Hirak, la deuxième est la sauvegarde de l'État national grâce à la sortie constitutionnelle de la crise. Et si l'Algérie allait finalement mieux s'en tirer ? Il n'y a pas pour le moment de remède contre le corona. La gestion de l'épidémie n'est donc pas médicale. Elle est essentiellement sociale. L'influence, l'esprit du Hirak se font sentir d'évidence à travers la façon avec laquelle les Algériens affrontent la crise sanitaire, la discipline sociale, qui était celle du mot d'ordre de «silmiya», les actions de volontariat, la fraternité sociale, l'esprit d'unité nationale. D'autre part, qu'on songe un instant qu'on ait eu à affronter cette crise sans État, sans la complexité des missions et des moyens d'un État moderne, avec ses différents services, des services sociaux et sanitaires, jusqu'aux services de protection civile et de sécurité, avec son organisation économique, sociale, financière complexe, avec ses institutions dont la présidence de la République. Cela apparaît aujourd'hui, à tous, de façon évidente. Une contradiction ? Pour mieux parler ici des particularités de la pandémie de ce coronavirus, il est nécessaire de donner quelques chiffres. En Italie, le pays où il y a actuellement le plus de décès dus au corona (3.405 morts au 19 mars), la létalité (*) apparente de la maladie (beaucoup de porteurs sont sains ou non enregistrés), est de 8% et le taux de mortalité (*) est de 5 pour 100.000 habitants. En France, où le nombre de décès est, à la même date, de 372, le taux de létalité est de 3.3% et celui de mortalité due au virus de 5 pour 1.000.000 d'habitants. En Algérie, au 24 mars, le nombre de décès est de 19, le taux de létalité est de 7% (le nombre de cas de contamination étant probablement plus élevé que ceux confirmés) et celui de mortalité donc de 5 pour 10 millions d'habitants. Au niveau mondial, la létalité due au virus était, au 23 mars 2020, de 4% et la mortalité de 4 pour 100.000 habitants. De façon générale, on estime actuellement le taux de létalité entre 5% et 2%. C'est-à-dire que 95 à 98% des personnes contaminées, soit elles guérissent, soit elles connaissent des formes atténuées, voire asymptomatiques de la maladie. Les jeunes, notamment, ne sont pas en général menacés par cette nouvelle maladie. En d'autres siècles, tout cela serait peut-être passé inaperçu et mis sur le compte de l'âge et de la vieillesse ou d'un hiver particulièrement rigoureux. Tous ces chiffres sont à rapprocher de ceux d'autres épidémies. Le sida concerne actuellement 38 millions de personnes dans le monde, 75 millions en ont été infectées et 32 millions en sont mortes depuis le début de l'épidémie. En France, la grippe saisonnière est responsable de 15.000 décès chaque année. L'Algérie enregistre en moyenne chaque année 55.000 nouveaux cas de cancer. La canicule de 2003 a été la cause de 25.000 décès de gens âgés en France. Et il y a aussi la mortalité, disons courante: en Algérie, le taux de mortalité global est d'environ 4,5% et 190.000 personnes sont décédées l'année passée. En France, environ 600.000 personnes meurent chaque année. On y estime à 150.000 chaque année la mortalité naturelle dans les seules maisons de retraite, les EHPAD («Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes»). Voici donc quelques chiffres épars susceptibles de permettre de mieux cerner la question. Si, donc, ces chiffres paraissent relativiser la dangerosité de cette maladie du Covid-19, même si d'évidence elle est extrêmement contagieuse, n'y a-t-il pas là une contradiction: pourquoi alors les réactions intenses à celle-ci ? Seraient-elles exagérées, disproportionnées par rapport aux dangers qu'elle représente ? En effet, il y a non seulement l'émotion intense causée par cette maladie nouvelle, mais aussi ses conséquences économiques et sociales, de plus en plus grandes, au fur et à mesure du développement de la stratégie de confinement qu'elle impose. Les relations aériennes, les transports s'arrêtent progressivement, les échanges commerciaux ont chuté, l'économie tourne un peu partout au ralenti, les prix du pétrole s'écroulent. Comment concilier à la fois la nécessité du confinement pour arrêter la progression du virus et celle de la continuité de l'activité économique. Les conséquences économiques ne seraient-elles pas plus graves au bout du compte que les conséquences sanitaires avec les images apocalyptiques que décrivent certains: récession économique, troubles sociaux, pénuries alimentaires, famines, émigrations, et finalement pauvreté et morbidité économique...? C'est en tout cas la thèse de certains. Une question de civilisation Certains pays songent alors déjà à l'après-épidémie et à la nécessité d'en sortir en conservant leur position économique dans la concurrence et le rapport de force mondial ou même en l'améliorant. C'est un peu le calcul fait par le Président Trump qui se refuse à risquer d'arrêter l'activité économique. C'était le calcul aussi, du moins au départ, du Royaume-Uni qui avait estimé qu'il ne fallait pas entrer dans un confinement mais qu'il fallait tout simplement laisser l'épidémie se développer pour qu'elle s'arrête d'elle-même en atteignant 50 à 70% de la population car, estimait-on, c'est le seul moyen, en l'absence de vaccin, d'immuniser l'ensemble des habitants. On voit donc l'approche cynique qui pourrait se manifester. Le coronavirus met en danger essentiellement les personnes âgées, pas les jeunes. Pourquoi alors hypothéquer l'avenir, suggèrent certains. Si on applique le taux de létalité de 2% et qu'on estime que 50% de la population pourrait être atteinte au final par le virus, on aurait 420.000 morts dus au virus en Algérie, et 620.000 dans un pays comme la France, pour l'essentiel des gens âgés. Certes, toutes ces évaluations sont discutables car on ne sait évidemment pas comment va se comporter l'épidémie, et tout dépendra de l'efficacité de chaque pays, de l'évolution des traitements. Mais elles permettent de centrer la question sur l'essentiel: peut-on accepter cet immense carnage pour des raisons dites économiques. L'essentiel n'est pas économique, il est humain. On a du coup l'explication de la contradiction apparente dont on a parlé plus haut. L'opinion mondiale ne s'y trompe pas. Et c'est la raison, partout, de l'adhésion profonde à la politique de confinement, malgré ses conséquences économiques. Il ne faut surtout pas conclure que l'épidémie est moins dangereuse parce qu'elle menace surtout la vie des anciens, des aînés. Bien au contraire, elle est précisément dangereuse pour cette raison. Tout le monde comprend de mieux en mieux désormais que si les jeunes, en général, n'ont pas leur vie menacée par l'épidémie, ils peuvent en être les vecteurs dans la population âgée. Pour dire les choses autrement, la politique de confinement n'est pas seulement une nécessité sanitaire, celle d'empêcher la propagation de l'épidémie, elle est une nécessité morale, celle d'empêcher ses conséquences sur la partie la plus fragile de la population. On touche alors au fond du problème: il s'agit d'une question de civilisation. Il s'agit d'une question fondamentale pour les valeurs humaines, du prix donné à la vie humaine. A quoi peut bien servir le développement économique s'il conduit à perdre son âme ? Et d'ailleurs, serait-il lui-même possible sans sa finalité humaine ? Il y a 11 millions de gens âgés de plus de 60 ans en Algérie, le quart de la population. Partout dans le monde, l'espérance de vie a augmenté considérablement. Et elle intéresse tout le monde, les jeunes comme les anciens. Peut-être que cette crise pourra apparaître plus tard comme un tournant dans l'évolution humaine et dans la manière d'aborder les questions de développement et de civilisation. (*) Le taux de létalité est le rapport des décès dus à une maladie à celui des personnes touchées par cette maladie. Il mesure donc la virulence d'une maladie. Le taux de mortalité est le rapport des décès dus à une maladie à celui de la population totale. Il mesure donc l'impact d'une maladie sur toute la population. |
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